C’est l’intro de cette deuxième chronique, le truc que tu te prends dans la gueule sans avoir rien demandé donc je me dois d’être courtois, après tout notre cause est noble. Mais vraiment c’est compliqué quand je vois tous ces rappeurs brandis comme des totems d’immunité à la moindre occasion. À coup de « regardez-nous, on est ouverts, on a programmé de la musique urbaine ! », ça me fait penser à du Balenciaga. Le truc surcoté que certains paient une blinde juste pour faire croire… mais faire croire quoi en fait ? Qu’en portant une veste de chantier à plus de 3 000 balles ils prendront conscience du sort des ouvriers ? Non, ça fait juste d’eux des connards, du coup c’est pareil avec le rap.

Parce que si vraiment ils s’intéressaient à nous tu crois vraiment qu’ils auraient inventé cette saloperie de catégorie « musique urbaine » ? Non mais sérieusement, ça veut dire quoi ? Que l’electro, la chanson française, le rock, en gros tout ce qui est créé par des blancs vient de la campagne ? Non, urbain c’est juste un marqueur pour te rappeler que si tu es noir ou arabe tu ne peux pas vraiment faire comme eux, une affaire d’héritage culturel ou un truc du genre. Alors ils ont trouvé une astuce pour nous faire comprendre que même si on était invité à la fête on restera en coulisses, le bal c’est pour les gens civilisés et tant pis pour l’étymologie du mot urbain… 

Le pire dans tout ça c’est qu’ils ont vraiment l’impression de faire quelque chose de bien, d’être inclusifs quand ils nous invitent ou nous remettent des prix, ils ont même fait ajouter des trucs comme bienveillance ou respect des minorités dans leur charte, c’est bien la preuve qu’ils prennent tout ça au sérieux, non? Bah non. Alors on va arrêter de se voiler la face car quoiqu’il se passe, quoiqu’on fasse, pour eux ça restera toujours une sous-catégorie, une sous-culture, de la musique nègre.

Du coup ils viennent se servir, ils allaient pas changer leurs habitudes, leur fameux héritage culturel a déjà tellement le goût de l’appropriation qu’un peu plus ou moins, bref, on ne se refait pas. Non mais regarde l’évolution de la musique française sur les 20 dernières années : notre façon d’écrire, notre façon de produire, notre façon de composer. On a sauvé les miches de leurs artistes sans inspiration, on a sauvé leur variet’, et tant mieux finalement, y’a un côté comique à voir les mêmes qui critiquaient la pauvreté musicale du rap venir nous sampler, et de toute manière on doit se contenter de ça parce que le rap qu’on kiffe il est où ? Certainement pas chez eux c’est certain.

Bien entendu y’a toujours quelques exceptions, mais faut dire qu’elle a souvent la même gueule cette exception qui fait du hiphop. Bah ouais, ils allaient quand même pas dire que c’était du rap après avoir passé des années à construire un imaginaire collectif sur cette musique. Du coup ils ont sorti le hiphop de leur chapeau. J’ai jamais vraiment compris mais il semblerait que musicalement le hiphop c’est un peu comme du rap mais en mieux… c’est difficile de savoir, mais quand ils te parlent de hiphop tu sens qu’ils essayent de dire un truc gentil mais qui sonne faux, comme quand ils disent blacks parce que le mot noir leur fait peur.

Mais ce qu’ils préfèrent par-dessus tout c’est ce fameux mec qui fait du rap bien loin des clichés, qui a réussi à se défaire des carcans du rap bling-bling. Jte dis même pas si en plus le mec chante ses faiblesses, a les cheveux longs et porte de temps en temps du rose… Là c’est le jackpot, ils ont leur nouveau modèle du mec rebelle qui ne s’est pas laissé imposer un style, qui a su musicalement évoluer vers quelque chose de plus profond. Le rap, parce que c’est son nom, est la musique la plus écoutée au monde, du coup ils ont dû choisir qui mettre en avant, qui sera la nouvelle figure de proue pour être sûr que tout se passera bien et surtout que l’argent continue d’entrer alors que l’industrie musicale était à la ramasse. Et comme on a été incapable de le faire nous-mêmes (grumpy #01), on est tout content de trouver un tube de harissa du Cap Bon sur la table, mais on sait pertinemment qu’elle sert uniquement à donner un peu de couleur, la vraie saveur est ailleurs.

Du coup la boucle est bouclée depuis longtemps, un entre-soi de connards qui cherchent à donner un semblant de poésie des bas-fonds à leur vie sans jamais devoir s’y rendre. Et même en catégorie musique urbaine tu sais d’avance qui gagnera leur prix, leurs regards sur toi te le rappellent à chaque fois que tu les croises ; la diversité c’est juste une ligne dans leur plan de com, pas une réalité qu’ils veulent dans leur public. 

Colt, un ami qui vous veut du bien.