30 juin. Deux jours après la victoire historique de la Suisse sur la France en huitième de finale de l’Euro, j’avais rendez-vous dans la ville olympique avec Sabrina « CozySpace », vingt-trois ans, youtubeuse rap et créatrice de contenu pour Tataki. En bon genevois, j’avais revêtu le maillot bleu d’entraînement du Servette, ce qui m’a valu un échange étrange dans les rues lausannoises avec des supporters pas foutus de reconnaître un blason : « C’est pas le jour pour le porter! ». Nous mettrons ça sur le compte de la couleur. Bref, quelques instants plus tard, Cozy me racontait son parcours en toute décontraction, dans un café de la Fnac. Sympathique, pertinente, aux références de bon goût : Attention! à la lecture de cette interview, plusieurs clichés sur la nouvelle génération pourraient voler en éclats.

Sabrina cozyspace

Reprezent : Salut, comment ça va? J’ai eu envie de t’interviewer, parce que je trouvais intéressant d’échanger avec quelqu’un d’une autre génération, qui n’a peut-être pas les mêmes codes pour parler de rap. L’autre raison, et tu me dis si je me trompe, c’est que j’ai l’impression qu’il y a peu de personnes de ta génération en suisse romande qui s’expriment sur le rap ou couvre son actualité. Il y a beaucoup d’auditeurs. trices, de rappeurs. euses, mais finalement peu de monde pour en parler. As-tu aussi cette impression?

CozySpace: Je vois ce que tu veux dire. Effectivement, par rapport à youtube, il n’y a pas de youtubeur.se.s suisses qui parlent de musique, c’est en partie pour ça que je me suis lancée sur la plateforme. Et par rapport aux médias, il n’y a pas beaucoup d’infrastructures non plus. A côté de ça, je travaille pour Tataki et on essaie de palier à ce manque. Mais il y a quand même de plus en plus de personnes qui se lancent là-dedans.

R : En premier, je t’ai découverte sur Tataki puis sur ta chaîne youtube avec des vidéos sur des sujets liés au rap. Du coup, quand as-tu commencé à les faire et d’où t’es venue cette envie de discuter de rap?

CS : J’ai commencé les vidéos sur le rap début 2018. J’ai eu envie de me lancer parce que je suis matrixée [Accro, NDR] par youtube depuis ses débuts. Je suivais les contenus lifestyle, beauté, etc… j’ai vraiment grandi avec ça. C’était la période où ce n’était pas encore mis en avant dans les médias, il n’y avait pas de professions liées à youtube, ni de monétisation. Du coup j’ai toujours voulu me lancer, mais je ne voulais pas proposer quelque chose de vu et revu. Et comme entre temps, aux alentours de quinze ans, j’ai découvert le rap et ben j’ai voulu apporter un contenu autours de ça, en parler à ma façon. J’ai commencé par faire des reviews d’albums, des analyses, parler des sorties, des premières écoutes [Format dans lequel le ou la youtubeur.euse écoute un album en live et donne ses impressions à chaud, NDR]… Au début, pendant un an, je n’ai pas dit que je faisais des vidéos. Ensuite, j’ai commencé à les montrer, à être attentive aux retours de plus en plus positifs et du coup j’ai persisté. 

R : Te considères-tu comme une « journaliste rap »? J’ai pas trouvé d’interviews de toi, serais-tu donc pour la 1ère fois, une intervieweuse interviewée?

CS : On me pose souvent cette question, mais moi, je ne me la pose pas. Je crée du contenu, je fais des recherches en amont sur les thèmes que j’aborde, je propose mon analyse au public. J’ai la même démarche qu’un. e journaliste, donc techniquement j’ai l’impression d’être une journaliste. Après ce n’est pas mon objectif d’être catégorisée comme tel. Si il fallait à tout prix apporter une légitimité à mon activité, je suis dans le domaine en train de terminer mon master en journalisme.
Et pour la deuxième partie de ta question : j’ai déjà fait des live instagram, des petits passages en radio, mais dans ce contexte, c’est la première fois. 

R : Comme nous n’avons pas le même âge, peut-être pas les mêmes codes, ni la même approche du rap, comment définis-tu un. e bon.ne rappeur.euse aujourd’hui?

CS : Selon moi, il faut qu’il y ait du fond, donc de la pertinence dans l’écriture, une certaine musicalité dans la prod’ et une aisance dans le flow. Pour moi, quand quelqu’un excelle dans tout ça, c’est quand tu constates que ça a l’air trop simple de rapper. Qu’il ou elle galope sur l’instru. 

Selon moi, il faut qu’il y ait du fond, donc de la pertinence dans l’écriture, une certaine musicalité dans la prod’ et une aisance dans le flow. 

R : Qui places-tu en premier. ère dans ta liste, ou tout du moins, dans ton top trois?

CS : A l’ancienne, j’ai été très marquée par Jazzy Baz [Rappeur du 19ème arrondissement de Paris, membre du collectif Grande Ville et L’Entourage, NDR] et plus globalement par le collectif L’Entourage. Mais lui, je le trouve vraiment classe et élégant dans sa manière de rapper. Sinon Lino pour sa plume et sa voix. Et en troisième position, très actuel, le belge Frenetik. J’ajoute un petit bonus, si possible : Laylow, plus conceptuel et avant-gardiste.

R : Freeze Corleone, on en parle ou pas? [Rires]
Rapologiquement, défends-moi ce mec, ici et maintenant [La question n’est pas du tout liée à certaines polémiques le concernant. Personnellement, j’ai émis en off quelques réserves sur ses qualités de rappeurs et son patchwork de références complotistes. Du coup, j’avais envie d’avoir un éclairage différent sur le personnage].

CS : Pour moi, Freeze Corleone c’est une aura, un certain style d’écriture et un certain style dans le personnage. Parce que, à mon sens, une des bases du rap c’est aussi de réussir à vendre son image. Et lui a un vrai charisme concernant son personnage scénique. Pour ce qui est de ses références, je n’ai pas l’impression que ce soit un arnaqueur, ou qu’il soit allé écumer les sites complotistes pour se créer un personnage. Il est baigné dans les références historiques depuis longtemps avec son collectif et sa maman est prof d’histoire. Il a tout un passif.

R : Je voulais te demander si en tant qu’auditrice, tu faisais des liens avec la sociologie, les origines sociales des rappeurs. euses ou pas du tout? En définitive, est-ce que le rap t’a fait t’intéresser de près ou de loin à la sociologie?

CS : Clairement. Ça me pousse à essayer de comprendre pourquoi, en fonction de tel ou tel parcours de vie, ça t’amène à penser de telle ou telle façon. Par exemple, un Kendrick Lamar qui a grandi à Compton dans un contexte difficile, comment se fait-il qu’il soit aujourd’hui une tête d’affiche de l’industrie sans consommer aucune substances addictives et en ayant, en plus, une influence hyper positive sur sa communauté et sur le public en général. Est-ce qu’il a eu des prédispositions? Est-ce que c’est dû à son environnement familial? ou une rencontre peut-être? Le rap m’a poussé aussi à m’intéresser à certains.nes auteurs. trices, à lire certains livres comme on en parlait en off.

R : Je parlais de « journalisme » plus haut, parce que je trouve que tu creuses bien les sujets de tes vidéos, tu vas chercher les informations et c’est pertinent. Tu te prépares combien de temps à l’avance pour un sujet, en moyenne? Et par rapport à quels critères évalues-tu que tu es prête? (tes critères personnels, le retour des gens,…)

CS : Merci! Alors tout dépend du format vidéo. Un thème que j’ai travaillé avec une problématique pour Tataki, par exemple, ça va me prendre un jour de recherche, plus environ un ou deux jours de rédaction et un jour de tournage. Je vais d’abord poser un plan, une structure, comme dans une dissertation : thèse, antithèse, synthèse. Et par rapport à ma chaîne youtube, vu que je travaille en solo et que je parle en live lors d’une première écoute, je réduis le temps de préparation. Les vidéos d’analyse, par contre, nécessitent un découpage en amont. Je la divise généralement en trois parties dans lesquelles je vais aborder le travail avec les producteurs, les punchlines et les références. Je vais essayer de faire des liens pour aboutir finalement à une conclusion générale. 

Par rapport à ta deuxième question et comme je suis une éternelle insatisfaite, je me dis que je ne suis jamais prête et c’est nocif. Il y a plein de vidéos que je ne voulais pas poster, pour lesquelles j’ai été encouragée à le faire et elles ont bien fonctionné. A l’inverse, certaines d’entre elles sur lesquelles j’ai investi des mois de travail ont fait très peu de vues. Et là se pose la question : est-ce que je fais ça pour les vues ou pour ma satisfaction personnelle? Personnellement, je me détache des statistiques et j’essaie de créer du contenu dont je suis fière et qui met en avant des artistes même peu connus.

Personnellement, je me détache des statistiques et j’essaie de créer du contenu dont je suis fière et qui met en avant des artistes même peu connus. 

R : Du coup, quelles sont tes vidéos qui font le plus de vues?

CS : Les vidéos sur les grosses têtes d’affiche comme Freeze ou SCH ou complètement autre chose; et les cozyvlog qui sont des vidéos plus perso.

R : Que peut-on attendre à l’avenir des projets de Cozy?

CS : Plein de nouveaux formats arrivent sur la chaîne, dont un gros concept avec des invités de qualité. Certain.e.s ne sont pas prêt.e.s. tes! Soyez vif.ive.s sur les réseaux! Merci à toi pour l’interview, un super échange.

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