Il fallait quelqu’un du cru pour présenter la Jonction et rappeler en passant la pépinière que ce centre-ville du centre-ville constituait dans le temps. Un quartier qui a vu naître le crew Marekage Streetz, dont l’auteur fait partie, et qui a influencé le game au-delà des frontières genevoises. La nouvelle génération locale les cite ici et là. Si on peut avoir parfois l’impression que peu d’hommages leurs sont rendus, les jeunes savent malgré tout sur quel nom bâtir leurs fondations. Izos et Lee Boma en tête, présents sur l’album. Un cast complété par le parisien Eloquence ainsi que Bali et Zesario. 

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Et qui de mieux que A’s et son 3e projet solo pour brosser le portrait d’un lieu et d’une époque ? On devine l’ampleur de la tâche d’avoir livré l’opus en indé, mais on saisit surtout la vision du mc : Raconter sa vie dans ce coin si particulier. Une zone prolétarienne dans une ville étiquetée comme riche. Une sorte de village genevois tentant de résister encore et toujours à l’envahisseur : la gentrification. Alors comme beaucoup d’autres endroits abritant les mêmes classes sociales, débrouillardises et filouteries apparaissent. Ne dit-on pas que moins d’argent et plus d’obstacles constituent la base difficile sur laquelle les milieux populaires tentent de s’élever ? 

A’s en (a) fait partie. Il a revendu et même cuisiné toutes sortes de plats : risottos assaisonnés, petits pains farinés et bonbons édulcorés. La musique lui sert de moyen de transmission pour relater le tout, mais pas que. A’s fait passer le message aussi bien visuellement que textuellement. La planète rouge ? La cover a, semble-t-il, été shootée sur place. Les combines évoquées plus haut ? Le 9milli sur la pochette les résume. Le retour sur une période emblématique du 1205? Le titre renvoie à un « conte » dont les plus vieux et cinéphiles d’entre nous auront la référence. D’ailleurs, un dialogue ouvre l’album. Il aurait très bien pu provenir d’un long-métrage mais il est en fait extrait d’une interview de A’s lui-même. Fiction et réalité se confondent pour finalement laisser apparaître A’s, acteur de sa vie. Ainsi, en truffant le projet d’influences personnelles, il finit par nous raconter, à sa manière, la Jonx. Comme une B.O. magistrale ou un bon film étiré sur plusieurs années. 

Une entrée en matière assez douce pour laisser place au 2e titre, un banger absolu. La puissance venue des US. Encore une fois, une influence très présente chez Parker Le Vice. Alors sur une prod épique, qu’aurait certainement écoutée Léonidas avant de s’en aller marbrer Xerxès, Fantoma’s chante au refrain son amour pour Oakland. Un jonquillard avant tout, oui. Mais avec le regard tourné vers le berceau du rap. Les titres suivants ne sont pas en reste concernant la qualité des productions, à saluer. Et puis, au milieu des treize titres (dont un morceau de piano joué par sa soeur qui clôture l’album) se cachent plein de phrases d’un monde qui a changé : « Les petits me parlent de fours, de rain-té, du genre Paris — Marseille/J’vais t’apprendre c’qui est un berger, si tu fais la chèvre. » ou d’un humour qu’on ne relierait pas forcément à la sombritude du projet : « Lettrage sur le corps, elle adore se balader les seins nus, c’est son côté Femen/J’écris en nuages et j’parle avec la lune, c’est mon côté cheyenne. » 

Avec ce titre d’album se posaient des questions de légitimité, de responsabilité et d’héritage. Grâce au contenu, A’s a su remplir toutes ces fonctions et proposer un équilibre musical rarement atteint pour un projet suisse romand. Avec comme fil rouge le panorama d’un secteur en pleine mutation, qui ne sera à jamais plus le même.

Et entre nous, qui a déjà vu la promotion d’un album de rap local sur un tram des tpg?

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M. Macfly