Portrait Du Mois – Amjad

Ce mois-ci, repreZent a décidé de donner la parole à un bboy morgiens, Amjad. Coïncidence ? Certainement pas puisqu’il organise le  célèbre Circle Kingz qui aura lieu le 6- 7 novembre au théâtre de Beaulieu, à Lausanne. Plus d’infos par ici

Présente-toi pour ceux qui ne te connaîtraient pas ?

Yo wassup tout le monde?!! Je m’appelle Amjad, je suis du groupe 7 Dollars qui vient de Morges (1110 Posse), Je break, je graff, j’officie au micro pour hoster des battles …quasiment seulement à l’étranger (France,Espagne,Portugal, Suède, Canada…)

Tu es arrivé depuis un certain bout de temps dans la culture hip-hop, raconte-moi ces débuts pour toi ?

Les débuts pour moi, c’était en 7-8ème année primaire avec les premiers albums genre Wu-tang etc…. A l’époque la plupart des gars s’habillaient genre Cure et Nirvana et à vrai dire je me sentais pas mal en décalage avec ce style, du coup j’étais plutôt down avec les gars hiphop – les méchants – (rires) et en gros ça a commencé petit à petit et très lentement. J’avais des amis morgiens qui étaient hiphop et on chillait ensemble.

Je crois que le déclic ça a été une soirée à la Dolce Vita (à Lausanne) en 97 ou 98, une soirée avec Enoz et Oddrock, quand je suis arrivé j’ai pris la claque de ma vie! Quand je suis entré dans cette salle, voir des gars breaker, des gars avec un style d’habits différents, de la musique de fou , j’ai eu la chair de poule. Je me suis tout de suite senti attiré par ce monde et je me suis dit : Voilà le style de musique que j’attendais depuis que je suis petit (rires)! Parce que tous les autres styles de musique étaient cool, mais ne me touchaient pas vraiment aussi profondément que ça. Et en fait plus que le Hip-Hop, c’était plutôt le Funk qui m’a le plus touché. Puis tout s’est enchaîné très vite, je me suis lancé à fond dans le break avec les autres qui avaient déjà commencé un peu avant en louant un local avec différents activistes morgiens (graffeur, dj, breakeur) et c’était parti.

Donc t’as pas commencé par la danse ?

En fait, on commençait un peu par tout à l’époque. Oui j’ai commencé par la danse (popping, break, locking), mais à l’époque c’était cool de tout faire ou en tout cas de s’intéresser à tout parce que quand on allait à une jam, y avait graff du break des dj’s et des Mc’s et c’était cool de pouvoir suivre le mouvement en entier. Dès qu’on voyait des graffs on s’intéressait, dès qu’on voyait des djs on s’intéressait, dès qu’on voyait du break on s’intéressait. En plus notre local était incroyablement stylé du coup plein d’activistes d’autres villes venaient et on apprenait grâce à eux, on leur posait de questions…etc.

Est-ce qu’il y avait donc plus de soirées  qu’aujourd’hui ?

Non, non non y avait 100 fois moins de soirées, mais elles étaient 100 fois mieux, du coup c’était cool (Rires). A l’époque quand y avait une soirée tout le monde venait. J’avais l’impression que l’histoire se construisait petit à petit.

Je sais que tu voyages beaucoup, que penses-tu qu’il manque aujourd’hui en Suisse ?

En suisse, aujourd’hui il manque de voyager un peu plus à l’étranger, pour vraiment se foutre des claques et revenir avec de l’énergie, mais sinon il ne manque pas grand-chose pour moi. Ce que j’aime en Suisse, c’est que c’est toujours sain d’esprit, sympa, les gars font ça pour le kiff, y’a pas genre des espèces de pros qui essaient de faire une carrière, c’est à la cool ! Et ça des fois dans d’autres pays c’est un peu différent ! Du coup j’aime bien…En plus ces dernières années la plupart des groupes de suisse romande -à part un – sont tous potes, on a tous passé de plus ou moins rivaux à amis avec le temps. Tout le monde est beaucoup plus réceptif aux conseils, on s’entraîne ensemble, on sort à des soirées ensembles entre neuchâtelois, lausannois, genevois, montheysans…etc.

Est-ce que tu penses que c’est possible de vivre de la danse en Suisse ?

Oui bien sûr, il y en a plein qui le font. Mais ça veut dire donner beaucoup de cours, avoir peut-être une école, … faire des trucs qu’on n’aime pas forcément et des productions/show qu’on n’aime pas forcément donc vendre son cul quelque part. Après si je disais vivre en faisant purement des battles je pense que ce n’est pas possible. Je suis content d’avoir un boulot à côté et de ne danser que pour le plaisir, de ne pas répéter de show à longueur de semaine et de ne pas devoir danser quand j’en ai pas vraiment envie.

Plutôt survivre donc …

Je dirais que seulement une poignée de bboys européens peuvent survivre de la danse, mais dans des conditions assez basiques et aussi, car le niveau financier de leur pays n’est pas très haut. Surivre en Suisse grâce à la danse….mmhh je dirais que la danse permet toujours de gagner un peu d’argent ou de recevoir des fringues, shoes etc gratuites et dans un sens c’est bien que les danseurs ne vivent pas de leur art, comme ça tous les gens qui le font, le font comme extras, comme passion et ça devient pas un travail !  Je dis ça mais c’est mon opinion..au moins on dépend pas de gagner un battle pour payer notre loyer donc perdre ou gagner n’est pas vital pour nous…par contre avoir du fun l’est.

Si je t’interviewe ce mois-ci c’est que tu as quelque chose qui arrive ce mois, le circle kingz, des infos à nous donner ?

Je crois que cette année, c’est comme disait Johnny et Buddy dans « Pont Break » au sujet de la tempête des 50 ans, je sens que cette année c’est l’édition à ne pas rater. La Jam du siècle y a tellement de bons groupes qui viennent, toutes les planètes sont alignées et ça va être un point de réunion des meilleurs bboys du monde entier, car y a tout le monde qui vient  cette année! Je fête aussi les 5 ans du battle donc y aura aussi des surprises avec un battle pour les oldschoolers + de 35 ans et un live band (basse-batterie)avec Kind & Kinky Zoo… Et je sens que ça va être « guedin » ! ! !

Comment est-ce que tu expliques que ce battle marche en Suisse ?

En fait, ce battle c’est ma vision de la danse, qui est un peu différente de ce qui se voit habituellement dans les autres battles et qui est beaucoup plus proche on va dire de l’esprit du danseur que de l’esprit du public. Ce battle c’est le public qui s’adapte aux danseurs alors que dans la plupart des autres battles, c’est les danseurs qui doivent s’adapter au public.

En général il faut danser sur scène, devant des gens, assis ou debout et ça ressemble plutôt à un concert, l’espace est énorme pour que tout le monde voie alors que CIRCLEKINGZ, c’est vraiment le public qui doit découvrir notre monde. Les danseurs se qualifient dans des cercles improvisés, le battle est au milieu du public sur le sol et les critères de qualifications sont plus le style et la musicalité que les acrobaties. Du coup, pour la plupart des danseurs, ils se disent : Bon moi je vais à d’autres battles parce qu’il y a un price money mais je vais à Circle Kingz pour me faire plaisir. Parce que c’est vraiment là que je sens que je suis vraiment dans l’élément DANSE.

Pourquoi avoir créé cet événement ?

En fait, avec mon groupe, on avait énormément d’énergie, on bougeait à tous les battes (Uk, Hollande, Allemagne, France) et la plupart des battles où on bougeait, ben on trouvait qu’ils étaient pas hyper bien fait , les gars qui gagnaient c’était pas ceux que je kiffais… (rires ) et pis j’avais l’impression que la danse allait dans une direction où je me sentais plus trop identifié par ce que je voyais. Je trouvais bien ce qu’ils faisaient, c’était impressionnant, acrobatique, mais je me sentais pas identifié par eux. Pour moi ça manquait de style et finesse et de musicalité. Du coup, je me suis dit que j’allais faire un battle qui serait exactement le battle de mes rêves, où l’on juge vraiment la danse, le style plutôt que les prouesses acrobatiques dans un battle plus familial que protocolaire et formel !

Ton choix des juges ou des djs se fait comment ?

Ben en gros, c’est ça l’avantage d’avoir commencé dans ce milieu il y a très longtemps, c’est qu’on s’intéressait à fond aux djs, on s’intéressait à fond à tout, du coup si je dois booker des djs, ben j’arrive à voir ceux qui font que les danseurs se sentent très bien, ceux qui comprennent ce que je suis en train de faire et ma vision de Circle Kingz, du coup c’est des djs qui sont totalement en adéquation avec ce que je fais. Ils passent la musique que j’aime et qui inspire les danseurs. Quand un danseur danse vraiment sur la musique, si la musique lui plaît pas, il ne va pas vraiment pouvoir créer sur le moment et être transander par la musique. Le moteur de toute danse, c’est la musique, c’est l’élément le plus important de Circle Kingz.

Ca te dirait pas d’organiser des événements pour les danseurs debouts ? (Rires)

Ouais ouais mais ça pourrait se faire justement, c’est en cours… embryonnaire ! Mais j’aimerais faire un battle de danse debout, si tu veux, comme dit ma copine, quand je vois de la danse et que je suis à l’événement, j’ai l’œil qui brille et je suis vraiment en train de vivre ce que j’aime le plus au monde, du coup, plus j’organise de bons évènements plus je vois la même brillance dans l’œil des autres et je crée des moments uniques que j’adore, c’est ça que j’aime faire. C’est pour ça que je ne fais pas que Circle Kingz mais aussi la Roue de la Fortune à Vevey, le Concrete Battle en été etc etc.

T’as fait de la danse debout ?

Ouais ouais ! Je continue toujous mais dans mon ascenseur, quand les portes se ferment ou à l’arrêt de bus !En fait mon sale corps grand maigre et pas souple et parfait pour le popping et j’ai remporté quelques battles (Eurobattle 2005-Au delà des préjugés..etc)! mais je profite de pouvoir breaker pendant que je peux. Je pense que je vais m’y remettre de plus en plus..en faite à chaque fois que je vois du bon pop, je me demande pourquoi je break. Je trouve ça tellement élégant  quand c’est bien fait.

Est-ce que tu donnes des cours de danse ?

Oui je donne des cours de danse, à Vevey, l’endroit s’apelle le Loft, les jeudis soirs, c’est juste à côté de la gare.

Ce que je préfère, c’est avoir des élèves freestyle, que je vois à l’entraînement et à qui je donne des conseils. A n’importe quel entraînement où on peut me voir, faut pas hésiter à me demander, parce que j’aime ça, j’ai l’impression que c’est la voie la plus naturelle pour enseigner cet art , plus que de donner des cours à des gamins que leurs parents ont inscrits au foot, au théâtre et au break. Mon but c’est que tout le niveau suisse s’élève et qu’en étant sympa et patient en essayant de leur donner des conseils, j’espère qu’eux le feront aussi avec les autres, et c’est comme ça qu’on élève une scène locale et que le niveau des danseurs suisses s’améliore.

Que signifie pour toi le mot repreZent ?

repreZent, ça veut dire représenter qui on est, montrer ce qu’il y a en nous, essayer de montrer notre personnalité à travers notre art, tout ce qu’on aime et tout ce qu’on ressent que se soit dans n’importe quel art, le graff, la musique ou n’importe quoi. J’aime quand je vois le caractère et l’âme d’une personne à travers ce qu’il fait.

Est-ce que tu penses que c’est le cas aujourd’hui en Suisse ?

Ben c’est dur d’arriver à ce stade-là. Même moi, je commence gentiment, d’ailleurs c’était un des trucs que j’ai mis dans mon blog, c’est que finalement après 12 ans de dur labeur, j’ai une idée claire depuis seulement 6-7 mois de comment je veux breaker et de comment je veux graffer. Le but c’est de se chercher soi-même, donc tout cet art n’est qu’ une quête sur soi pour enfin sortir exactement ce qu’on voulait de soi. Et ça fait 12 ans que je me suis acharné et que finalement j’entrevois à peu près, de manière un peu moins floue qu’avant, ce que je veux faire, à quoi je veux que ma danse ressemble, du coup c’est normal que beaucoup de personnes qui dansent depuis moins longtemps soient pas encore dans le même chemin, mais y en a plein quand même !  Il y a plein de danseurs et de graffeurs qui sont eux-mêmes et qui ont réussi à avoir cette touche, pour moi c’est la touche ultime ! Sa propre manière de bouger, ses propres style de moves, ses propres complications de graff et son propre style de couleurs, Mais ça se compte sur les doigts d’une main, je ne trouve pas pour l’instant que j’en fais partie.

Tu me parles pas mal de graff , Tu peux m’en dire plus ?

En fait avec mon groupe de danse, on a toujours été attiré par tous les arts Hip-Hop et on a eu la chance de commencer avec des gens qui étaient dans le milieu graff, du coup, on a directement touché à tout ! Le graffiti c’est un autre délire que la danse et ce qui est bien en graff, c’est qu’on peut être vieux et tout brisé , on pourra encore graffer (rires) tandis que la danse ça va être plus difficile. Donc j’aime cet art qui va durer beaucoup plus longtemps et en même temps passer un après-midi au soleil avec des amis, se marrer et se chercher soi-même, c’est une quête de tous les jours ! Je suis à l’école en train d’enseigner, tout d’un coup je pense à un enchaînement de lettres entre le Y et le O qui serait parfait, du coup je suis obligé de le dessiner pendant le cours quand j’enseigne et je me dis ok, je testerai ce soir, je ferai un petit sketch quoi ! Je pose RYOS  au fait.

Tes élèves sont au courant de ce que tu fais à l’extérieur de ton travail?

Hummm, quelques uns sont au courant, d’autres pas du tout… Mais je le cache pas à mes élèves ! S’ils me demandent, je dis oui, je danse !

Et tu leur dis oui graffez !?

Heuuuu…..graffer il savent pas…Ha oui y en a qui savent en fait ! Dans un village, j’avais donné un cours dessin, où j’avais fait que du graff et maintenant le directeur m’appelle toujours pour remplacer le dessin en me demandant de donner des cours de graffs aux élèves, car ils adorent. Du coup ils savent que je graff, mais je leur apprends justement quand ils me posent des questions, à prendre le côté typographique du graff pour l’instant, c’est-à-dire à étudier la lettre sur du papier, etc… Si ils sont motivés, je leur explique qu’il y a des endroits légaux pour se faire la main, etc ! Tout ce qu’ils font après c’est plus de mon ressort ! (Rires)…

Un mot pour la fin ?

Si vous n’êtes jamais venu à Circle Kingz et que vous êtes curieux, venez voir. La plupart des gens qui ne connaissent rien en danse m’ont dit avoir adoré à chaque fois, donc soit il mentent très bien….soit….

C’est un événement vraiment ouvert à tout public et qui permet de se faire une bonne idée de notre monde. Sinon big up à tous les danseurs qui essaient de se trouver eux-mêmes et j’espère que vous y arriverez et j’espère que j’y arriverai aussi (rires). Big up aux gens qui documentent la danse, comme le site repreZent qui garde notre art et notre culture vivante ! C’est ça qui est beau ! Peace ! Dédicace à mon crew 7$ Brothers (forever inspiration)