Si l’on accorde au rap le fait qu’il puisse être perçu comme le reflet de la société, alors il faut également lui accorder le fait qu’il soit traversé par les mêmes problématiques. Ici, on pourrait parler de jeunisme ambiant et de musique fast-food. L’une n’allant souvent pas sans l’autre. La première consiste à valoriser systématiquement les jeunes artistes au détriment des plus âgés, sous prétexte que ceux-ci auraient fait leur temps. Grave erreur. À cheval entre deux, voire trois époques (Boom-bap/Trap/Uk Drill), ces derniers ont l’avantage de s’en être imprégné. Ce que l’on ne peut pas concéder, objectivement, aux plus jeunes. La seconde concerne le rapport à la musique, devenue produit de consommation périssable comme s’il fallait vite la produire, vite la consommer et vite l’oublier. Alors que le recul, la distanciation et la prise de hauteur demeurent des éléments importants dans toutes productions artistiques. Et même si ces lignes introductives, sous bien des aspects, pourraient sembler être l’œuvre d’un vieux con; elles permettent néanmoins d’introduire l’antidote au poison, le OG des OG ou, plus paradoxalement, le plus OG des rookies. OG pour « Original Gangster ». Sauf que le terme s’applique aussi à toutes personnes dont l’ancienneté constitue une valeur ajoutée. OG BraX, un artiste à la trentaine bien entamée doté d’une carrière en pleine expansion qui combine la sagesse d’un « ancien » à la hargne d’un jeune loup.

Avant de présenter OM2, un petit retour chronologique s’impose. Tout débutait le 14 octobre 2020 avec une promo’ Instagram bien (a)menée. En guise de teaser, OG BraX proposait un concours dans lequel il s’agissait de deviner un par un les cinq feat de l’album. Les gagnants.es se voyaient proposer une écoute privée et recevaient un pull OG BraX. Classe. 

Petit bond en avant. Le dernier feat était connu le 15 novembre. À partir de là, à quoi pouvait-on s’attendre? Un début de piste s’esquissait avec le titre « Only Middle 2 » sorti plus tôt dans l’année. Le freestyle, imparable, mêlait balistique ultraprécise, découpage en règle et, en prime, cassages de nuques. Le OG, vif, tirait pile entre les deux yeux. Un banger suisse, tout simplement.

Moment présent, 29 janvier 2021. Le projet OM2 continue sur la lancée du banger national en s’ouvrant sur le titre Big Scheisse. Empruntant à la fois à l’anglais et l’allemand, le nom de la track ne saurait se retrouver tel quel dans le reste de la francophonie. Effectivement, il évoque aussi bien la ligne d’un autre genevois, dont l’ombre plane sur Onex «L’honneur avant les franken, tous prêts pour le banquet, on est tous danke, mein freund!»; que le mélange d’influences d’un pays à majorité suisse allemande et d’une ville internationale à fort taux d’expatrié.es. Malgré ce « Grosse merde » et son parcours d’enfant d’immigrés, on sent OG BraX attaché à la Suisse, un pays qui est le sien. Et on le sent attaché à Genève, une ville qui est la sienne. Le projet tout entier est parcouru de références à la cité de Calvin à travers le code postal 1205. Ou grâce au titre « Les Jonkiards » sur lequel BraX convie Lee Booma et A’s; deux personnes de bonne composition. Qui, d’ailleurs, aurait-il pu choisir de mieux pour rapper la Jonction, ce quartier du centre-ville?

Néanmoins, sortir un album frappé du sceau de l’aigle et de la clef ne garantit pas une bonne opération. Encore faut-il éviter de vouloir « sonner actuel à tout prix », un piège dans lequel beaucoup sont tombés. Ici, heureusement, ce n’est pas le cas. Les influences des trois courants cités en introduction ont été digérées et bien maîtrisées. Du coup, impossible de figer la musique dans le temps; tout se mélange pour le meilleur. On retrouve BraX, posé en équilibre sur un fil, entre boucles samplées et triplet flow. Sa force réside dans le fait de proposer ce que l’on appellerait au cinéma un « blockbuster intelligent ». Soit une œuvre à l’emballage aussi réussie que son contenu, faite pour s’ambiancer aussi bien dans un épais nuage de fumée que pour danser dans n’importe quels clubs (bientôt). Merci aux prods’ sur mesure, dont Moh Ciss se taille la part du lion.

Concernant le fond, BraX distribue à la volée les bons mots et les « lignes de poing » aussi efficacement que les pains multipliés par une certaine figure biblique parodiée. Des lignes militantes? Aucun problème, il répond présent : « Ça bouge pas, comme un nègre en plus, je suis Rosa dans un bus». Des punchlines assassines? Allez, c’est parti : «Des idées sombres résident dans ma tête comme sauter à pieds joints sur la tienne» ou encore des punchlines militantes assassines : « Les Filles de racistes finiront comme dans Oréo». Entre egotrip et doigts du milieu aux intolérants.tes de tous bords, le OG étale sa palette de couleurs sombres. Le tout enrobé d’une façon de rapper sensiblement différente que par le passé, comme il l’explique dans une interview accordée à votre site préféré : « Je suis moins en train de gueuler derrière un micro. Je suis plus en train de te frapper derrière un micro…mais pas frapper et gueuler en même temps [RIRES] ». À (re)lire si ce n’est pas déjà fait. Enfin, si le jeunisme existe et comme pour saboter l’introduction de cette chronique, BraX aura quand même invité sur OM2 Slimka, Dewolph et Izos, une partie de la nouvelle génération.

En résumé, à l’heure où tout va trop vite et que la course à la nouveauté s’impose partout, Og BraX livre avec OM2 un album étrangement intemporel, conçu pour durer dans le temps. Dans tous les cas, il offre un témoignage de ce que Genève a pu offrir de mieux, en termes de rap, à un instant T. Et c’est déjà beaucoup.

(cover par Robin Cortes)

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Marty Macfly
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