Comment est-ce possible qu’un morceau sorti au début des années 90 puisse continuer d’être tellement d’actualité en 2023 ? Voilà ce que je me suis demandé lorsqu’une lecture automatique a fait résonner Authentik dans mes enceintes. Enfin pas complètement d’actualité non plus, tout ne vieillit pas si bien, la preuve à l’époque on pensait que le train c’était nous et que les autres allaient chercher à y monter Récupérer l’affaire, pas si facile à faire. Et prendre le train en marche n’est pas une mince affaire… faut quand même avouer qu’on s’est bien planté sur ce coup et on ne va même pas parler du temps qu’il nous a fallu pour réaliser que notre train prenait une voie de garage.
Alors ouais, certains ont réussi par des grands-écarts et autres pirouettes souvent périlleuses à sauter du train, mais pour tous les autres c’était mission impossible, on était juste bons à regarder passer des trains dans lesquels on ne montrait jamais. De temps en temps on se rassurait en sortant la tête du wagon, en sentant l’air sur nos visages on se persuadait que notre train avançait. Avec le recul on se dit qu’on aurait dû monter dans leur train, faire le forcing quand il roulait à notre hauteur, mais pour ça il aurait fallu faire des concessions, leur dire ce qu’ils voulaient d’entendre, pactiser avec ceux qui nous dénigrent pour au mieux servir de caution. Non, on ne voulait pas entrer dans ce jeu, leur jeu. Et puis de toute manière c’était notre truc Qui ? … en France prétend connaitre le rap ? Quel journaliste peut écrire sans faire de fautes de frappe ? Trop sûr de nous et surtout trop fiers on se disait qu’avec un peu de temps notre tour arriverait, ils pouvaient bien dire de la merde la roue allait tourner, les gens ne se laisseraient pas embobiner, le public comprendrait… La bonne blague, ces journalistes dont parle le texte sont devenus des références et avec le temps ils ont fait des petits qui à leur tour ont fait des petits, la même soupe est donc resservie depuis des décennies, récupérer l’affaire était facile et bien plus encore depuis l’arrivée des réseaux sociaux.
Tout le monde veut briller, alors on fait briller, qu’importe la méthode. On a érigé en nouvelles idoles des arrivistes qui n’y connaissent rien. Il suffit juste de savoir bien étaler la confiture et ça passe, de toute manière plus personne n’en a rien à foutre, faut nourrir les algorithmes. On atteint des sommets quand le meilleur moyen de promouvoir son dernier album est d’aller parler « sandwich » ou de se faire interviewer par des mecs dont le seul talent est de pouvoir sucer tous les râteliers. Bah ouais, faudrait pas non plus trop choquer les parents du nouveau public cible du rap, alors on achète la subversion sur Wish histoire de faire survivre le mythe, de nourrir les clichés en faisant bien attention de ne jamais parler trop sérieusement de réalité sociale, de culture ou même de musique. C’est l’ère du règne de la vacuité, le nivellement par le bas à tout prix. Alors on se vend au plus offrant, on brade ce qui faisait notre force contre son petit quart d’heure de gloire, ne surtout pas essayer de monter le niveau, de s’élever intellectuellement, surtout pas. Jouer le jeu, prendre son billet, son petit buzz en Écrivant, expliquant ce qu’ils veulent, ce qui les arrange car revendiquer son authenticité est décidément une vertu bien rare, quelle que soit l’époque.