itw: Le Passant


Quelques heures avant son concert du 11 décembre à la cité bleue à Genève, Le passant s’arrête pour répondre à nos questions…

repreZent : Reviens sur tes alias : « Le Passant » et « Le Grand Baobab ».

Le Passant : Le Passant vient d’une sourate du Coran qui dit : « Soit un étranger ou un passant ici-bas ». A l’époque où je commençais l’écriture, je voulais me trouver un surnom qui correspondrait avec ce que je suis et ce que je fais et ça m’a assez interpellé, dans le sens où mon livre favori c’était « l’Etranger » d’Albert Camus. Je me suis dit que ça serait intéressant de mettre « Le Passant » parce que l’étranger ça faisait un peu trop stéréotypé : Je suis noir, je suis en Suisse, donc je suis étranger…et j’ai trouvé qu’effectivement, on est tous des passants ici-bas. Ensuite, « Le Grand Baobab », c’est plus en lien avec mes origines africaines. Comme tu sais, je suis congolais et donc « Le Grand Baobab », c’est plus un autre style d’écriture. J’ai développé deux styles d’écriture : Un style qui se marie plus une ambiance groove/jazz et l’autre un peu plus proche de mes racines avec un style plus lyrique et plus métaphoriquement coloré.

R : Tu fais du slam, de la « poésie parlée », avec tout ce que cela implique : Vocabulaire, figures de style, rimes,…ton écriture est (très) complexe et soignée. J’avais d’ailleurs laissé tomber l’idée de chroniquer ton album [Ndr : « Le vers de scotch »], justement pour cette raison. T’es-tu déjà demandé le nombre de personnes que tu pouvais toucher par rapport à la « difficulté d’accès » de tes textes ?

P : J’ai pleinement conscience que mon écriture n’est pas accessible à tout le monde, mais en même temps avec toute la merde qu’il y a en ce moment dans l’industrie de la musique…Je ne dis pas que je suis le sauveur, mais moi je considère réellement la personne qui prête attention. Donc la personne qui met mon album et qui l’écoute, je lui fais confiance, dans le sens où je me dis que c’est une personne qui forcément aime le français en tant que tel et qui va pas s’attarder sur des mots en « verlan ». J’ai un style d’écriture assez complexe effectivement et sur ce premier album, j’y suis pas allé avec le dos de la cuillère comme on dit. Je suis le premier à le dire. C’est d’ailleurs assez drôle de voir que le label que je représente s’appelle, « Le vers de scotch », ce que je fais rejoint ce que je dis. Mon écriture est dense mais comme un vert de scotch. Maintenant, je suis dans un style d’écriture un peu plus accessible, un peu plus ouvert si tu veux. Mais je ne vais pas pour autant essayer d’aller dans le sens du grand public uniquement pour bien plaire. Je suis à mon premier essai et j’évolue constamment.

R : Selon Ta’Wil [Ndr : Mc rappant au sein du groupe « Numanist », incluant « Le passant » et « Luzi »], en featuring sur le premier titre de l’album, notre existence prend les traits « d’un baobab dans un parc occidental ». Reviens sur cette métaphore.

P : Lui, ce qu’il essaie d’expliquer à travers cette métaphore, c’est qu’on est tous d’une quelconque manière déracinée et qu’on se retrouve forcément hors contexte par rapport à notre éducation, par rapport à ce qui a été destiné pour nous, etc…Donc c’est plus dans ce sens-là qu’il voulait le dire. Toi aujourd’hui, tu te retrouves là devant moi mais peut-être que ce qu’il t’était prédestiné était tout autre il y a peu de temps…Donc, on se retrouve toujours à faire des choses un peu hors contexte. Le tout c’est de savoir si on veut les faire et de bien les faire.

R : Le livret de ton cd est accompagné de photos, dont une qui représente une pile de tes références littéraires. Parmi celles-ci, des auteurs africains comme « Senghor » ou « Mabanckou ». Quel a été l’impact de ces auteurs sur ton écriture et plus généralement sur ta façon de penser ?

P : L’impact, c’est que les poètes africains ont une texture assez intéressante dans leur écriture : C’est assez « Prévertrien » [Ndr : Jacques Prévert], assez simple. Les métaphores sont hyper simples, mais hyper profondes et souvent tu peux y aller pour compter le nombre de couches, de degrés qu’il y a dans les métaphores. Moi, ça m’a appris à mettre de l’eau dans mon vin, le fait de lire ces auteurs-là. Ca m’a permis d’aborder la chose sous un autre angle en fait. Au lieu de dire : « Lieu de villégiature » par exemple, je dirais « Lieu de vacances ». [Rires]. Simplifier, mais pas diminuer le sens.

R : Au sujet de l’amour, dans « Moi non plus », tu dis : « Va léser les cœurs crédules et têtus, vêtus d’une foi envers toi si peu légitime, car quand tu rends le mariage si beau et tangible, tu rends aussitôt l’homme si con et fongible ».Plutôt cynique comme vision, nan ?

P : J’ai écrit ce texte-là il y a 3 ans. A cette époque-là, j’avais cette vision-là. L’idée c’était de reprendre le cynisme, l’ambiance « Gainsbourgienne » dans ce morceau. Dans l’album, le morceau qui suit est en hommage à Gainsbourg justement. L’idée c’était de frapper un gros coup [Rires] C’est clair que dans le morceau que tu viens de me lire-là, c’est assez corsé effectivement. Mais j’ai fait exprès d’aller dans la caricature. Il y a une part de vérité là-dedans aussi : L’amour peut travestir des personnes, changer les cœurs.

R : Toujours sur ton album, ton hommage aux disparus s’intitule : « 40ème jour ». Pourquoi ce titre ?

P : Dans le peu de choses que j’ai gardé de l’éducation religieuse : quand tu perds un proche, tu marques 40 jours de deuil. En Afrique, on a comme coutume par exemple pendant ces 40 jours de s’habiller en sombre, de ne pas porter de bijoux, de ne pas célébrer ouvertement…Dans certains pays, les Hommes et les Femmes se rasent la tête. Il y a une cérémonie qui est effectuée à l’issue des 40 jours de deuil et au bout du 40ème jour, on dit à l’esprit du défunt : « Ok tu nous as quitté, maintenant la vie recommence, merci pour tout ce que l’on a vécu. Maintenant, notre vie doit continuer, donc…Au revoir ! ».C’est pour ça que j’ai appelé ce morceau « 40 ème jour » parce que c’était une manière pour moi de tourner la page, de sortir du deuil en fait.

R : T’avais pas prévu un temps d’arrêter la musique ?

P : A chaque album je dis ça : Celui avec les « Numanist » j’ai dit ça, le street-album j’ai dit ça, mon album aussi j’ai dit ça…J’ai une relation avec la musique qui est un peu : « Je t’aime moi non plus », parce que elle me vide de beaucoup de choses. J’ai sacrifié énormément de choses pour produire cette musique-là : Tant en Famille, en amis, pour moi tout seul et en argent aussi. Donc à chaque album, je pique une petite crise en disant : « C’est mon dernier album ». Mais bon, je sais très bien que j’arriverais pas à faire sans. J’aborde aussi chaque morceau, chaque album comme étant mon dernier, aussi en terme de qualité et je me dis « Ok, je mets le maximum que je puisse mettre ». L’album que tu connais, peut-être que c’est le dernier.

R : A ce sujet, tu travailles sur un nouveau projet ?

P : J’écris tout le temps. J’arrêterais jamais d’écrire. Je ne peux pas te cacher qu’effectivement je suis en train de prévoir 2 albums, de bosser sur deux albums en parallèle dont un sous le nom du « Grand Baobab » et l’autre sous le nom du « Passant ». Mais je ne me fixe pas de délai comme je me suis fixé sur le dernier album. Je suis toujours en train de bosser.

R : Fin 2010, toujours pas sur Facebook ? [Ndr : Rapport à une photo de son livret]

P : Toujours pas [Rires].Toujours pas : je l’ai été indirectement pour les concerts, les producteurs des concerts ont crée des évènements sur Facebook, mais moi en tant que personne, je ne vois pas l’utilité d’être sur Facebook. J’ai un peu de peine avec ce voyeurisme sur internet. Je trouve que c’est de la masturbation pour dépressifs inavoués. Je ne vois pas l’utilité de dire : « Oui, maintenant je suis aux toilettes, là maintenant je mange une pomme, là je suis avec Mathieu».Je préfère nettement plus un Myspace qui est beaucoup plus efficace parce que tu peux y diffuser ton son, tu peux communiquer sur tes dates de concerts.

Dans mon entourage on m’encourage à me créer une page uniquement pour communiquer sur mes activités artistiques on verra honnêtement ça n’est de loin pas une priorité. Je serai le seul con à ne pas y être c’est peut être mieux comme ça.

R : Qu’est-ce que signifie pour toi représenter ?

P : Représenter c’est un mot hyper fort, mais qui peut être dangereux par moments. Il est fort parce qu’en tant que personne, tu représentes forcément déjà ta famille, tes idées, tes proches. En tant qu’artiste, tu viens sur scène avec tout un passé, tout un présent et peut-être tout un futur. Donc c’est ça que tu viens représenter, que tu projettes en fait. A ce niveau-là je trouve correct. Après, ce que je trouve un peu dommage et ça on le voit régulièrement dans le hip-hop en Suisse, c’est que ça pousse au communautarisme. Je trouve un peu dommage de venir brader un code postal, de venir dire : « Moi jsuis du 12 je-sais-pas-quoi », on voit souvent ça . Le hip-hop c’est pas du tout ça : C’est une culture de partage, d’ouverture, de découvertes, tu viens et tu apportes ce que tu as sur la table et les gens te jugent par rapport à ta contribution et non par rapport à ton lieu d’origine. Un mot à utiliser avec des gants, assez dangereux.

Propos recueillis par Skywalk.