Interview: Nitty Scott MC

L’édition 2012 du Royal Arena a fait bouncer repreZent sur de bons sons à l’ancienne, mais pas uniquement. La journée du vendredi a donné une belle claque à notre rédaction. La chaleur ? Les rimes bâclées de certains mcs ? Non, tout simplement une petite new-yorkaise en short, aux lèvres habillées d’un rouge éclatant et aux boucles d’oreilles bling-bling. Du haut de sa vingtaine d’années, une rappeuse a prouvé que le futur du hiphop était en train de poser ses fondamentaux à l’aide d’artistes engagés, musicalement intelligents, au verbe pointu et travaillé (NDLR : comme elle nous le prouve dans son EP, voir lien en bas de page). Mesdames et Messieurs, repreZent vous présente celle qui risque bien de se faire une belle place sous le soleil du hiphop, Nitty Scott MC.

repreZent : Si tu rencontrais un inconnu et qu’il te demandait qui est Nitty Scott MC, que lui répondrais-tu ?
Nitty Scott MC: Nitty Scott MC est beaucoup de choses… Je pense que je représente beaucoup de personnes différentes; je suis une femme dans le milieu hiphop, un MC, une artiste, je suis une membre de la nouvelle génération… Je suis une fille, une sœur, une artiste indépendante. Je pense que j’appartiens à beaucoup de catégories différentes. C’est une bonne chose parce que quand je réussis je ne le fais pas seule, je représente beaucoup de gens différents en accomplissant leur rêve et travaillant. Donc je suis beaucoup de choses, mais en définitive je suis la fille du quartier, celle qui a envie de s’éclater avec vous et d’écouter des rimes de fou !

Tu viens de New York, n’est-ce pas ?
Pas réellement, je suis née dans le Michigan puis j’ai déménagé en Floride où j’ai passé la plupart de ma vie. C’est d’ailleurs là-bas que j’ai commencé à vraiment écrire en étudiant l’écriture dans une école d’art. Ensuite vers 17 ans, j’ai quitté la Floride pour New York afin de me focaliser sur la musique, d’aller quelque part où il y aurait plus d’opportunités pour moi d’être entendu, un endroit où je pourrais rencontrer un manager, quelqu’un qui m’aiderait à développer mon talent.

Mais comment se fait-on une place dans la scène new-yorkaise ?
New York a la meilleure scène hip-hop de tous les temps ! Mais c’est logique puisque cette culture est née là-bas. En Floride, il n’y a pas beaucoup d’endroits où tu pouvais toucher à cette culture ni beaucoup de plateformes pour exprimer la musique que je voulais faire. Alors que quand tu arrives à New York, tu as l’impression de regarder 8miles pour la première fois ! T’es là « Oh mon Dieu, ce genre de choses se passent vraiment ?! Il y a réellement un endroit où tous ces paroliers de malade se réunissent et font du rap ?!». Rien n’est glamour, tu n’es pas dans un stade à faire d’immenses concerts… C’est juste une communauté avec une réelle culture Hiphop, un esprit de la scène urbaine que j’ai trouvée à New York. J’ai commencé à faire partie de cette scène en allant aux concerts, en soutenant d’autres artistes, en apparaissant dans quelques line-up. Au bout d’un moment, j’ai réellement commencé à être un élément de cette scène. Je pense que je peux dire aujourd’hui que je fais partie de la scène des mcs new-yorkais. Je fais beaucoup de concerts, notamment au Brooklyn HipHop Festival et il arrive que quand de gros artistes viennent faire leur set, ils me font monter sur scène… Mais j’ai dû faire mon chemin toute seule, New York n’est pas une ville pleine d’amour (rires), c’est un peu difficile d’y entrer et de faire en sorte que les gens veuillent te connaître et te respecter. Mais à force de travail, et surtout de temps, après quelques années j’ai fait mon chemin, j’ai construit mon identité, ma façon d’être sur scène, notre show… je pense qu’on a réussi à interloquer l’oreille des gens au point que parfois je suis même reconnue dans la rue. On a donc définitivement fait notre place à New York (NDLR : sa participation au BET cypher 2011 en est la preuve).

Pourquoi est-ce que tu rap ?
Cette question est très vague et ouvre beaucoup de choses. Mais ce que je ressens au final, ce que je veux faire dans ma vie, c’est être une humanitaire. Je veux être une activiste, quelqu’un qui fait du monde un meilleur endroit. L’art est mon moyen de communiquer des choses aux gens, de se connecter aux gens et de diffuser son message. Tu vois, par exemple, aujourd’hui je le fais en Suisse… L’art est un moyen de communiquer à tellement de gens différent; âge, genre, nationalité. C’est quelque chose qui transcende tout cela. Essentiellement, mon art est fait pour être révolutionnaire, pour protester, pour être une voix pour toutes ces personnes qui ne sont pas entendues. Pour le moment, je me concentre sur la phase où je dois me faire connaître que ce soit mon style ou mes skills. Je dois me focaliser sur mon chemin pour atteindre cet « endroit » où je serais connue. Mais, quand je serai à cet endroit, je veux utiliser mon influence pour faire du monde un meilleur endroit et toucher les gens d’une manière positive. Je m’exprime, mais j’ai aussi un plan qui est de diffuser un message positif.

Justement comment as-tu développé tes skills de mc ?
J’ai commencé en tant que poète. J’ai étudié la poésie donc j’ai appris comment écrire un limerick, un haïku, les différentes manières de jouer avec le langage, les différents outils que tu peux utiliser. J’ai toujours été une écrivaine, dans tous les sens du terme. Après avoir reçu cette éducation, l’original BoomBack Camp a commencé avec Jools. On s’amusait avec différents instrumentaux, j’écrivais des vers, on enregistrait des trucs, on jouait avec ma voix. En découvrant réellement ce que j’étais, ce dont j’étais capable et en devenant de plus en plus à l’aise à poser sur un beat, c’est comme ça que je suis devenue mc. Ceci parce que même si je rappais depuis un moment, je me percevais toujours comme un poète qui place ses mots au-dessus de la musique. Tu vois, la poésie à un niveau supérieur au beat. Quand Jools a commencé à être plus musical et à apprendre comment faire des morceaux, alors a commencé pour moi l’exploration de l’écriture, mais surtout de la mélodie et de la structure de chansons. J’ai toujours été concerné par les mots et puis je me suis dirigée vers les mots et la musique. Tout cela est arrivé il y a environ deux ans. On est toujours en train de se développer. Au début on a juste mis des vidéos sur le web pour voir qui ça intéressait et ça a été la folie ! Plein de médias populaires, des blogs ont repris le buzz. On a en profité pour sortir plus de musique (NDLR : deux mixtapes disponibles sur son site). Mais, on est toujours dans le processus de découverte de ma voix, de mon son et de moi-même.

Tu es une femme dans un milieu hiphop, ce qui est en soi plutôt difficile. On peut voir que rien que l’industrie musicale en générale est un monde d’hommes. Quelle est la place de la femme dans ce milieu de nos jours ?
Pour être honnête, je pense qu’on est dans une période transitoire où l’on voit beaucoup de talent féminin émerger et développer leur propre son et leur propre approche de la chose. C’est une bonne chose puisqu’il faut trouver une représentation de l’équilibre entre toutes ces femmes différentes. Je ne peux pas m’identifier à chacune des rappeuses qui existent et vice versa. C’est pareil pour nos fans. Avoir une diversité est donc une bonne chose ! En allant d’une blanche à une asiatique en passant par une noire ! En allant de l’artiste indépendante au mainstream ! Ces dernières années, on n’a pas trop eu cela malheureusement. Je ne suis pas une fan de tout ce qui se passe actuellement avec les mcs, mais je pense que c’est une bonne chose de voir l’arène féminine s’agrandir. Je veux qu’on en arrive à un moment où l’on ne sera plus une minorité, où l’on sera juste une part de la scène hiphop et où l’on n’aura pas à entendre « ouais check cette meuf qui rappe ». Je pense que cela efface l’identité personnelle de chacune d’entre nous. J’espère qu’on en arrivera au moment où l’on fera tellement partie de la scène qu’il sera redondant de préciser que nous sommes des femmes et qu’on aura plus besoin de faire une liste des femmes du milieu. Ça arrive, mais lentement.

En parlant de liste justement, quelle est ta rappeuse préférée ?
Woow, j’en ai plusieurs ! Mais si je dois en choisir quelques-une alors définitivement Lauryn Hill, MC Lyte, Rah Digga et Bahamadia

Et du côté des mecs ?
André 3000, Styles P, Slum Village et A Tribe Called Quest

Si tu considères la scène hiphop à l’interne, est-ce que les femmes reçoivent le respect qu’elles méritent ?
Honnêtement, je pense que cela dépend de ta définition du respect. Le rôle de la femme dans le hiphop est parfois vu comme celui du « plaisir des yeux », de l’objet sexuel et ceci est aussi véhiculé par certaines femmes.
Pour certaines, cela passe par devenir la mc que tout le monde veut baiser… mais si c’est ça leur définition du respect alors elles ont réussi. Je pense vraiment que cela dépend de chaque personne, de ses envies, de ses valeurs. Pour moi, avoir la possibilité d’entrer dans une pièce pleine de gens qui respectent l’art d’être MC, les skills que cela représente et être écouté et non juste regardé comme un objet alors c’est ça ma définition du respect. Je fais en sorte de jouer avec des artistes et à des endroits où je serais mise en valeur en tant que MC et non pas comme la belle gueule du soir. Je pense que j’ai été respectée. Mais il ne faut pas se voiler la face, le sexe vend plus et je pense que ça sera toujours comme cela, et bien au-delà du hiphop, ça touche toute l’industrie musicale. Mais dès le moment où des femmes peuvent avoir du succès tout en étant habillées et en étant capables de délivrer un certain message, alors je pense que nous sommes respectées. Et si je regarde du point de vue du déroulement de ma carrière et de celle d’autres rappeuses, alors je dirais que l’on est respectées pour ce que l’on est, des mcs.

En Europe, on peut voir que le hiphop est toujours quelque peu marginalisé. Est-ce que tu penses que la Déclaration de Paix de KRS-One et le message « Peace, Love, Unity and Having Fun » d’Afrika Bambaata sont toujours actuels, ont toujours de la valeur ?
Définitivement oui ! Mais encore une fois, ça dépend aussi de ce que tu choisis comme voie dans ta musique. Je pense qu’un message, une mentalité et une sonorité a maitrisé le hiphop pendant longtemps, les choses principales qui nous représentent sont pleines de messages. Il y a aussi toute la violence et le soutien à un style de vie qui n’est pas sain, c’est principalement ce qui est mis en avant de nos jours. Mais, il y aussi tout ce monde du hiphop qui n’a rien à voir avec cela ! Toute cette communauté qui soutient et vit encore les messages de KRS-One et Afrika Bambaata. La BoomBack Family veut donner le pouvoir aux gens de prendre leurs propres décisions et d’écouter des artistes qui incarnent des choses justes, en pouvant les soutenir, en allant à leurs concerts. C’est trop facile de dire qu’il y a de la merde à radio… je ne dis pas que je ne suis pas d’accord avec cela, mais c’est un domaine qui est régi par l’argent et cela ne va pas changer. Tu dois donc te donner les capacités, pour faire exploser des carrières ou notre culture, et aller chercher vers tes propres ressources et communautés pour ne plus dépendre de ses entreprises. On sait très bien qu’elles ne sont pas concernées par l’art, mais uniquement le profit. En tant que consommateur et artiste, il te faut donc reprendre ton pouvoir et ne pas donner ta vie à n’importe qui, ni laisser le système travailler pour toi. Si tu es d’accord, il faut prendre le temps qu’il faut pour construire une marque de façon organique. C’est ce que nous faisons avec la BoomBack Family. On essaie de montrer aux gens qu’il y a un marché et qu’il est mondial ! Il y a un marché où les gens s’intéressent et donnent du poids aux paroles, à la substance, à la culture et qui la supportent. Par exemple, ici même, le Royal Arena ! Ce n’est pas une chose courante, mais c’est une chose réellement vivante et tu peux très bien choisir d’en faire partie.

Quels sont tes projets futurs ?
« The BoomBox Family EP » sort le 26 août sur iTunes et en magasin ! C’est mon bébé ! Je suis très excitée de le dévoiler. C’est la réflexion de mon évolution tant au niveau du son que, plus généralement, au niveau de ce que les gens ont déjà pu entendre de moi. L’EP est plus solide, plus conceptuel. J’ai joué avec différents thèmes et structures de chansons histoire de montrer aux gens ce dont je suis capable ! Les sons sont aussi plus intimes et personnels. Je voulais que les gens apprennent à connaître réellement qui je suis et d’où je viens et, surtout, poser les fondations d’où je veux me diriger plus tard au niveau du son et des sujets. On vient de sortir le premier extrait, « H.O.T» (produit par !llmind) qui est le principal single de l’album.

Quelle est ta définition du terme « repreZent » ?
Pour moi, cela veut dire être dans une position où tu es la voix pour plus de gens qu’uniquement toi-même. Pas forcément que tu repréZentes quelque chose de bon ou mauvais, mais quand tu repréZentes quelque chose, tu portes d’autres personnes avec toi et tu parles pour eux. Donc voilà ce que « repreZent » est, c’est parler pour plusieurs personnes sur une tribune.

Par Sophia


The Boombox Diaries Vol. 1 EP.

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