C’est en lui présentant toutes nos excuses que nous débutons la retranscription de l’entretien que nous avait accordé Demi Portion en fin d’été dernier. Point positif, les propos tenus par le MC n’ont pas pris une ride, confirmant ainsi que les mots vrais traversent le temps mais pas les mauvais… Un peu comme les souvenirs et quoi de mieux pour débuter notre rencontre que de se remémorer sa première rencontre avec le Hiphop : Mon premier souvenir ce sont grands de mon quartier qui breakent, ils m’ont donné envie de me rapprocher du Hiphop. Ce nouveau monde que j’ai découvert en rentrant dans une MJC, j’ai découvert le graffiti, le tag… à l’époque je ne savais pas ce que ça voulait dire… moi je faisais du foot, j’écoutais ce qui passait à la radio. C’est avec Adil et les Disciples du Mouv que j’ai appris. Pourquoi le Hiphop, ses valeurs, ses combats. Les textes, la poésie, ce que le Hiphop voulait raconter… il m’a expliqué comment les choses se passaient, m’a dit qu’est-ce que c’était, les origines, la base quoi. C’est lui qui m’a donné la carte de membre dans la forêt… [rires] Il découvre ensuite Run-DMC, EPMD, Public Enemy, des choses qu’il regarde un peu de loin sans savoir qu’il va devenir l’artiste Hiphop respecté par tous qu’il est maintenant. Un nom revient souvent dans notre discussion, Adil, ce grand frère qui lui aura permis de creuser, d’aller plus au fond des choses, de faire des ateliers d’écriture, des master class, de rencontrer les artistes qui passaient pas Sète à l’époque, Demi Portion évoque Hocus Pocus, Rocé, 2Bal 2Neg, la Rumeur.

Et alors que l’on sent une pointe de nostalgie nous envahir on revient dans le maintenant, nous aussi on a envie de creuser, alors on creuse, internet pour commencer Internet a pris le dessus sur beaucoup de choses dans la musique, c’est tellement vaste et surtout tout va beaucoup plus vite. … le fil d’actualité a changé les choses, la façon de communiquer, de parler… tout doit aller vite, on consomme, on écoute, on revient le lendemain sur 3 titres et c’est fini, tu passes à un autre tube et puis fini… alors que lorsqu’on avait l’album de Gang Starr dans la voiture par exemple on l’écoutait de A à Z, on le saignait et on l’avait acheté… Aujourd’hui avec les playlists quand t’es artiste avec de la chance t’as un titre ou deux qui sortent du lot et encore, ça dépendra aussi du clipMaintenant chacun peut se faire sa propre philosophie sans forcément creuser, t’as plus besoin de connaître la culture Hiphop pour faire du rap… à l’époque on faisait beaucoup pour le Hiphop mais c’est surtout le Hiphop qui attendait beaucoup de nous. Mais aujourd’hui tout a tellement évolué… c’est devenu tellement large avec tellement de styles différents, de vibes différentes, tellement d’outils qui ont évolué… à notre époque les plus chanceux avaient juste une MPC alors qu’aujourd’hui t’as tout à portée de main… La musique a évolué, elle a pris du galon, le public a changé, leur façon de penser à changer. Mais la question que l’on devrait se poser est : est-ce qu’ils en font un truc de bien pour la nouvelle génération ? 

Sans même s’en rendre compte voilà qu’on parle de Jul Pour être honnête je respecte 100 fois plus ce que fait Jul qu’un mec qui garde tout pour lui, qui ramène tout à lui en prétendant faire du vrai. Jul n’insulte pas les mères, il ne pousse pas la jeunesse à braquer… il a réussi à fédérer autour de lui, à ramener tous les plus grands noms. Plein d’artistes auraient pu le faire avant lui mais ne l’ont pas fait, lui l’a fait. Le rap français est aussi un peu égoïste, il aime trop se regarder le nombril alors qu’un mec comme Jul… il a accepté les critiques et continué d’avancer. Ça c’est Hiphop, Lunatic aussi se faisait beaucoup critiquer à l’époque mais ils avançaient dans leur truc, sans trop faire d’interviews ou parler de leur vie, tout ce blabla autour des artistes… parce qu’en vérité on s’en bat les couilles. Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi on en est là ? C’est ça qui est important, qui rend le truc beaucoup plus beau et finalement c’est pour ça que je respecte. Je ne pense pas que Jul ait fait des plans de carrière, il fait son truc, c’est le seul à faire ce qu’il fait et c’est ça qui plait. Damso, SCH, Orelsan, tous ces mecs qui marchent ont beaucoup d’années de rap derrière eux, ils ont connu ce que ça voulait dire rien. Soprano… j’en passe… Nekfeu… non mais y’a quand même du rap, de l’écriture… je pourrais t’en citer des tas qui marchent aujourd’hui. Ça fait longtemps qu’ils sont là, les arrivistes on les reconnait, on sait de quelle école ils viennent et pourquoi ils sont là mais pour être honnête, pour moi les seuls qui marchent vraiment c’est ceux qui durent.

Et même si on n’a pas envie de jouer aux vieux cons, y’a quand même des trucs qui nous restent en travers de la gorge, donc on continue de creuser un peu, de discuter de l’évolution du rap… Au final c’est le public qui a choisi ce qu’il veut consommer, ce qu’il veut mettre en avant, ce qu’il veut préserver, ce qu’il veut garder en secret, ce qu’il ne veut pas faire briller, ce qu’il veut coter ou sous-coter… je trouve que ça toujours été comme ça et c’est le public qui décide…
Mais est-ce que le public a vraiment le choix de consommer ce qu’il veut finalement ou prend-il ce qu’il peut ? Un peu des deux certainement mais tout n’est pas toujours exclusivement de sa faute à l’époque on te signait car on savait qui tu étais alors que maintenant on te signe en fonction de ce que l’on pense que tu vas devenir et c’est vraiment pas pareil. Si tu signais La Cliqua c’est parce que c’était La Cliqua, peu importe le reste, y’avait pas tous ces trucs, maintenant on regarde ton nombre de followers, qui est ta famille, tes proches, ton manager… beaucoup trop de paramètres qui font que ça nous échappe.

Quelque chose qui ne nous avait pas échappé par contre c’est la prestation de Demi Portion sur scène, on lui explique alors qu’il nous a redonné espoir dans le rap à l’ère des concerts en playback sur bande… On lui demande alors où sont les MCs, qu’est-ce qui s’est passé… On nous avait expliqué dès le début que ce n’était pas facile le rap, on savait qu’il faudrait travailler dur, qu’on n’allait pas devenir MC en une semaine. On nous avait dit qu’il fallait faire les choses, lire, se cultiver, comprendre le sens des mots, qu’il fallait s’entrainer à être sur scène comme sur un ring, qu’il faudrait écrire, écrire et encore écrire… qu’il faudrait mériter, qu’on devait respecter ce mouvement. Aujourd’hui… j’essaie de le respecter à mon échelle… des respecter les codes… Que ce soit de savoir tenir un micro, de respecter les gens qui m’accueillent, dans mes écrits, mon équipe… on fait beaucoup d’erreurs mais on essaie de les corriger… on essaie, on travaille, on fait de la musique, des gens nous font venir et donc il faut bosser, il faut faire le truc, faire entrer les gens dans ton univers, leur faire découvrir qui tu es. C’est aussi ça le but du Hiphop, de faire découvrir. Aujourd’hui les gens viennent juste pour faire le spectacle et encore… mais tout ça va bien au-delà. 

Parce que ce que les gens ont tendance à oublier c’est que le Hiphop c’est bien plus que de la musique… Le Hiphop c’est comme la vie, s’est fait de haut et de bas, l’un ne va pas sans l’autre… tu ne peux pas monter si tu n’étais pas tout en bas à un moment… tu ne peux pas rester toujours en bas, le but s’est de se lever, de tomber, d’apprendre… la vie est faite ainsi, un jour la musique va s’arrêter et ta vie aussi alors profite, passe le bon message. On est dans un monde qui est compliqué, on ne va pas non plus faire les babas cools, mais si y’a moyen de donner du positif aux gens, de leur expliquer qu’il y a une solution à chaque problème, que si le système nous met de côté alors c’est à nous de créer nos règles pour que ce soit bien fait. 

On arrive gentiment à la fin de notre entretien, et parce qu’on avait encore mille questions à lui poser on décide d’aller à l’essentiel, de lui demander ce qu’il a appris à travers le Hiphop. L’échange, à combattre ma timidité, à sortir de mon cocon mais surtout il m’a appris à rester humble parce que dans la musique, le cinéma, le sport, dès qu’on dit que tu es fort ça ne veut pas dire que tu es fort, ça veut dire qu’il faut continuer de charbonner encore plus, être fort finalement ça ne veut rien dire, tu trouveras toujours plus fort que toi.

Et repreZent, ça veut dire quoi pour toi ?
Tu as eu un exemple et tu as envie de faire comme lui, de le repreZenter… c’est ça pour moi la définition de repreZent. RepreZenter les bonnes ondes, le smile mais surtout ce que tu as envie de laisser, ce que tu dégages. On est là, on reprezente. Mentalement, physiquement on veut repreZenter quelque chose, une attitude… on a envie de montrer une belle facette, quelque chose de beau. Et quand le décor n’est pas beau alors tu essaies de l’améliorer pour qu’il nous reprezente quand même… 

Et ça marche ?
Avec l’âge et les années je me dis que je suis un bon artisan… [rires]

par Mr Seavers