Impossible de passer à côté de l’excellente série documentaire DJ Mehdi made in France, produite par Arte. Enfin, a-t-on envie de dire, tant il semblait que son apport au monde de la musique avait été minoré, pour ne pas dire complètement oublié. Alors, on ne va pas bouder notre plaisir de voir son travail enfin considéré et sa mémoire honorée mais on ne peut s’empêcher de lire entre les lignes de ce documentaire, de chercher ce qui est dit sans l’être vraiment, ce qui se cache sous la surface, de tout ce qui est mis sous le tapis par toutes les chroniques consacrées à cette série. Personne ne semble interroger les dynamiques de pouvoir et d’appropriation culturelle qui ont traversé l’œuvre de Mehdi, alors chez repreZent on va s’en occuper, parce que si on ne le fait pas, personne ne le fera à notre place. Et certainement pas les médias financés par ces mêmes personnes qui s’enrichissent sur le dos de notre culture depuis des décennies.

Mais soyons clairs, à aucun moment nous ne jetons la pierre à Mehdi. La seule critique qu’on pourrait lui faire serait d’avoir choisi la musique. Mais peut-on vraiment blâmer un artiste pour un tel choix ? En revanche, ce que ce documentaire met en lumière, c’est que choisir la musique comme moyen d’expression ne permet pas d’échapper aux structures de domination culturelle, qui, même en 2024, restent largement contrôlées par des bourgeois blancs. L’exemple de la French Touch est révélateur : célébrée à l’international et associée à des artistes blancs comme Daft Punk, Kavinsky ou Justice, elle passe délibérément sous silence les origines noires de cette musique. La manière dont la house de Detroit ou de Chicago a été lissée, dépouillée de ses aspects subversifs ou contestataires, pour devenir un produit de consommation destiné à un public blanc hétérosexuel, en est la parfaite illustration. Et comme leur musique se vend mieux, qu’ils écoulent plus de disques, cela leur donne le droit, selon eux, de revendiquer ce genre, d’en être les seuls propriétaires légitimes, de s’attribuer des succès qui ne leur appartiennent pas.

C’est d’ailleurs presque choquant dans ce documentaire, chaque fois qu’un blanc intervient, on a l’impression que Mehdi lui doit tout. Que ce soit cet opportuniste du rap chez Skyrock, qui veut nous faire croire que sans lui le 113 n’aurait jamais eu de succès — alors que l’on sait bien que sans le rap, sa radio rock aurait fait faillite — ou encore Kavinsky, qui glisse qu’il aurait offert le sample à succès à Mehdi. Tout au long de ce documentaire, ces mecs se présentent comme les narrateurs de l’histoire de Mehdi, ce gentil petit gars aux productions brillantes mais, selon eux, un peu bancales avant leur rencontre, car il n’était pas musicien. Ce discours récurrent, tenu par ces bourgeois blancs, laisse entendre qu’en définitive, tout est grâce à eux, qu’avant Mehdi n’était rien. Qu’ils sont à l’origine de tout et que rien n’aurait été possible sans leur soutien. Ce besoin constant de s’approprier les victoires et les genres, au détriment de ceux qui en sont les véritables créateurs, on avait parfois envie de vomir… et on ne parle pas de cette obsession à pervertir les choses et les gens, de faire croire que seul le succès commercial compte, que seul un hit consacre un beatmaker, rend légitime son travail. Ainsi une grande partie de ses premières productions, bien que largement acclamées à l’époque, ne semble avoir acquis une véritable légitimité qu’après avoir été validée par ces cercles bourgeois. Comme si ses contributions au rap n’avaient pas autant d’importance. Comme si rien n’avait vraiment de valeur tant que cela n’était pas adoubé par les détenteurs des clés de la reconnaissance culturelle. Il est d’ailleurs frappant de constater que l’importance de faire un tube pour Mehdi n’apparaît qu’après avoir côtoyé ces milieux privilégiés…

Et surtout, ce documentaire nous apporte le recul nécessaire pour remarquer que malgré son immense contribution à la musique, Mehdi semble avoir été largement invisibilisé dans la grande histoire de la French Touch. Les médias de l’époque ont préféré se concentrer sur les figures blanches du mouvement, laissant de côté des artistes comme lui, qui ont pourtant marqué l’essor de cette scène. Les artistes qui ont émergé à ses côtés lui ont-ils vraiment rendu hommage, ou se sont-ils contentés de piller son travail ? La question reste ouverte et surtout elle illustre bien les problématiques de reconnaissance et de légitimité dans le monde de la culture, particulièrement lorsque l’on ne vient pas d’un milieu favorisé, lorsque l’on vient de la « musique urbaine ». 

Alors oui, et fort heureusement, l’héritage de Mehdi restera à jamais gravé dans l’histoire de la musique, c’est indéniable. Mais cette série documentaire doit aussi nous rappeler que l’industrie musicale est encore profondément ancrée dans des logiques de domination et d’appropriation. La reconnaissance culturelle passe toujours par une validation des élites, et ce, au détriment des artistes et des messages qu’ils pourraient vouloir transmettre. Certains encensent ceux qu’ils aiment qualifier d’enfants du monde, mais uniquement lorsque cela sert leurs intérêts. Et s’ils aiment dire que la musique rassemble, rappelons-nous que ce n’est que partiellement vrai. À la fin, chacun rentre chez soi, mais ce sont eux les propriétaires.

Mr Seavers