Ahmed Alghraiz vient de sortir de Gaza lorsque nous le joignons par téléphone pour qu’il nous parle du Camps Breakerz Crew et son école de danse qui réussissent, coûte que coûte, à faire sourire des enfants sous les bombes, à faire vivre l’espoir. Bien plus qu’une interview, c’est un témoignage que l’on vous propose de lire ici.

Si je dois mourir, tu dois vivre et raconter mon histoire.

Refaat Alareer

L’histoire du CBC est avant tout une histoire de famille, celle de trois frères Moh (b-boy Funk), Ahmed (b-boy Shark) et Abdallah (b-boy Jay), nés en Arabie Saoudite de parents Palestiniens et qui découvrent le break et la danse à travers des vidéos, se formant en regardant, notamment une fameuse finale avec les Toulousains du Vagabonds Crew. Touchés par le Hiphop, ils veulent ensuite ramener cette culture à Gaza. Nous sommes au début des années 2000 et tout le monde ne voit pas d’un très bon œil ces jeunes qui veulent importer une danse et des codes occidentaux dans leur communauté. Mais petit à petit ils arrivent à convaincre leurs proches de leur démarche, faisant ainsi de leur père l’un de leurs meilleurs ambassadeurs. Mais ce qui leur a vraiment permis d’être acceptés c’est leur art, cette force inhérente au Hiphop qui permet à cette culture de briser toutes les frontières, de révéler le meilleur de chacun de nous. Ils mélangent alors les genres, s’inspirent des autres breakers mais aussi et surtout dans leur environnement direct, ils reprennent des pas de danses traditionnelles, donnent un sens social et politique à leur danse, le Camps Breakerz Crew représente celles et ceux qui en font partie et de fait toute leur communauté. Les frères Alghraiz ont réussi à implanter le Hiphop à Gaza, mieux ils ont apporté Gaza au Hiphop.

Dès lors le CBC ne cesse de s’agrandir et de gagner en réputation, organisant des shows et des workshops à travers toute la bande de Gaza pendant une dizaine d’années avant de trouver ses murs en 2012 grâce à beaucoup de travail et des donations d’amis fidèles. Posé par écrit, confortablement assis en Suisse cela semble être normal mais il ne faut pas oublier que tout cela se passe à Gaza, sous blocus imposé par Israël depuis 2007, qu’en 2008 les forces d’occupation mènent une attaque qui tuera 318 enfants… Mais ce qui scelle à jamais la destinée de cette école de break et d’Ahmed se passe quelques mois seulement après son inauguration, soit en novembre 2012 durant une nouvelle attaque israélienne de huit jours qui tuera 33 enfants. L’école devient alors un lieu de refuge pour les enfants, la danse une thérapie, devenant plus importante à chaque incursion comme en 2014 avec de nouveaux assauts qui cette fois dureront 50 jours et tueront 556 enfants…

Une destinée, un mektoub, qui revient souvent dans les mots d’Ahmed et lui permet de ne jamais baisser les bras, une destinée qui deviendra encore plus évidente ces derniers jours, tout comme ses diplômes d’art-thérapeute spécialisé dans la guérison des traumatismes. Mais avant cela il y a de nombreux allers-retours entre l’Europe et Gaza pour Ahmed qui veut promouvoir son école, la rendre financièrement indépendante. Il participe à des shows de danse en Allemagne, en France ou en Suisse, mais pour des raisons de visas il ne peut jamais y faire concourir ses élèves, on sent au ton de sa voix que cela lui pèse. Qu’importe, ils organisent des battles à Gaza, 1vs1 pour débuter puis une deuxième avec cette fois également du 2vs2. Le temps passe et leurs premiers élèves deviennent adultes à l’image de Karim Azzam qui à l’heure d’écrire ces quelques lignes est toujours à Gaza et continue de transmettre sa passion, de sauver des enfants en leur apprenant non seulement à danser et à aimer la vie, mais aussi à faire face à leurs traumas.

Ahmed aime à nous parler du destin et c’est difficile de ne pas y croire lorsqu’il nous conte ces derniers mois. En effet lui et sa troupe étaient en train de finaliser le plus grand événement de danse jamais organisé à Gaza « Still Alive » et dont la première devait se dérouler le 9 octobre… le 7 octobre ils finalisaient les décors. On sent l’émotion dans la voix d’Ahmed, dans la tristesse et de l’amertume, comme si à chaque fois qu’il faisait un pas en avant on le poussait vers l’arrière, puis revient cette notion de destin, de ce que lui et ses amis ont fait, de ce qu’ils ont apporté et continuent d’apporter, jour après jour aux enfants. Le ton de sa voix change, on le sent apaisé, heureux de ce qu’ils ont pu faire. On ne sait quoi lui répondre alors on lui dit merci.

Les images d’enfants qui dansent dans la cour de l’école de l’UNRWA entre deux bombardements nous reviennent en tête, b-boy Shark lui continue son récit. Il pense au futur, nous parle des différentes générations qui sont passées dans son école, de tous les b-girls et b-boys formés qui à leur tour formeront les générations futures. Il nous parle des battles qu’ils organisent tous les vendredis, de la peur des parents de voir autant d’enfants réunis au même endroit alors que l’armée israélienne bombarde au hasard, du bonheur des enfants de trouver un lieu pour échapper à la guerre. Il nous parle aussi du quotidien, un peu. On sent qu’il veut nous préserver de tout ce qu’il a vu, mais on sait, on comprend ce qu’il ne nous dit pas. Jamais en 45 minutes il ne se sera plaint, aucun mot contre l’agresseur, on ne sent que de l’amour et de la compassion pour ses proches, de l’espoir pour le futur. Ahmed nous parle de la nécessité de vivre, de l’indispensable besoin de croire en l’avenir. Il nous parle du destin et nous on entend un héros parler.

À vrai dire c’est la première fois qu’on discute avec un héros, une de ces personnes au cœur pur que rien n’arrête, dont l’humanité sauve des vies, mais surtout des âmes. Alors on lui dit encore merci car on ne sait pas quoi dire d’autre à un héros lorsqu’il se présente devant nous.

par Mr Seavers

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