Le rap, cette sous-culture violente et illégitime, domine aujourd’hui les charts, s’affiche à la une des médias, dans les publicités, les séries télé, envahit les plus grands festivals. Certains vont jusqu’à se demander s’il n’aurait pas gagné. Mais en regardant ceux qui célèbrent on s’aperçoit que ce sont souvent ceux qui la combattait hier : industriels, médias, publicitaires, institutions. Ce n’est pas le rap qui a triomphé, c’est eux, et s’il faut parler de victoire, alors elle doit se mesurer à leur capacité à formater, édulcorer et exploiter notre culture.

Diaboliser avant d’instrumentaliser

Les médias ont toujours refusé au rap toute forme de légitimité. Entre censure, procès et discours alarmistes, ils l’ont présenté comme une menace, un problème à contenir. Puis, avec l’essor du streaming et son explosion commerciale, le discours a changé, du moins sur la forme. Non pas par respect pour cette musique, mais par appât du gain. Alors ils parlent du rap, mais jamais en le considérant comme un art. Le rap est toujours présenté à travers des chiffres de ventes, de streams. Des chiffres, rien que des chiffres, un vulgaire produit.

S’ils veulent bien reconnaître une certaine légitimité à cette musique, c’est sous conditions, et bien entendu sans jamais consulter les concernés. Alors ils créent des cases, ils classifient, hiérarchisent entre le bon et le mauvais rap. Le premier, celui qui correspond à leurs attentes : littéraire, propre, fragile. Certains artistes sont talentueux, d’autres beaucoup moins, mais tous sont capables de rassurer un public blanc issu des classes moyennes et supérieures.

Le second, celui qui dérange : le rap des quartiers, celui qui parle de misère, de violences, du monde. Celui que l’on peut facilement caricaturer, auquel on peut facilement coller l’étiquette du bling-bling ou de la violence. On essaie de le mettre en marge, mais voilà : les petits Jean-Louis aiment bien jouer aux racailles, goûter la misère, enfin pas trop non plus, ils ont surtout besoin de se rassurer, ici aussi. Alors on leur sert ce dont ils ont besoin, juste ce qu’il faut, une version contrôlée. Le rap peut être partout, mais sous leur œil. La mise en scène est millimétrée, chacun joue son rôle comme dans une série Netflix; l’intello, la racaille, le lover, le rebelle inoffensif, etc. Un équilibre artificiel entre le bon et le mauvais qui donne l’impression d’une diversité, alors que tout est orchestré. On maintient l’illusion que tout le monde a une voix, tout en véhiculant au maximum les clichés sur l’homme des banlieues. Tout le monde semble gagnant, les concerts font salles combles, les chiffres sont bons, les chiffres font le bon.

Et puis, il y a parfois un Freeze Corleone qui sort la tête. Le paria parfait. Celui que les médias brandissent dès qu’il faut prouver que le rap a un problème. Pas besoin de comprendre sa musique, elle est immédiatement présentée comme une menace. Une cible idéale pour des attaques qui révèlent une chose essentielle : le système ne tolère que le rap qu’il peut domestiquer. Il veut du divertissement, pas du chaos. Il veut du contrôle, pas de la subversion.

Quand les ennemis d’hier se régalent

La récupération du rap est globale. Ceux qui le diabolisent depuis des décennies sont ceux qui en tirent les plus gros profits. Les majors l’ont bien compris, le rap est un business juteux. Ils fabriquent des artistes jetables, boostés par leurs algorithmes, avant de les remplacer quelques mois plus tard. Les marques utilisent les rappeurs comme des affiches publicitaires, ces mêmes marques qui leur refuseraient pourtant l’accès à leurs boutiques sur les grandes avenues…

Et les médias spécialisés ? Censés défendre la culture hiphop mais qui ne sont en réalité que des instruments de l’industrie. Financés par des patrons ouvertement xénophobes, par des marques qui y voient une opportunité de vendre plus de chips, de boissons énergétiques… Rien de tout cela n’a émergé spontanément. Ils ont été créés pour servir d’interface entre l’industrie et le public, pour canaliser l’attention vers les artistes qui arrangent le système. Alors on met en avant les chiffres, les streams, on refuse au rap d’être un art. Tout doit être quantifiable, monnayable, jusqu’à faire payer les artistes pour les mettre en avant sur sa plateforme. Ce n’est plus le talent qui prime, mais le budget promo. Le rap ne se mérite plus, il s’achète.

Des hommes de paille, sans histoire dans le Hiphop, sans jamais n’avoir rien fait pour cette culture se font passer pour des spécialistes et prétendent la défendre… Ces mêmes qui restent muets quand il s’agit de prendre position, de défendre les nôtres. Où sont-ils quand il faut parler d’injustices ? Silence total sur Gaza, la RDC, les oppressions systémiques, etc. Trop occupés à maximiser leur engagement sur des polémiques superficielles, trop préoccupés par le buzz pour oser s’engager. Mais surtout trop soucieux de ne pas froisser leurs généreux sponsors. Faire du clic, attirer du monde quitte à tordre la réalité. Peu importe ce qu’ils inventeront pour gonfler leurs vues tant qu’ils servent toujours les bons intérêts. Au final, l’idiot utile ce sera toujours nous.

Suivre l’argent

Ce qui est vrai pour l’information l’est aussi pour le rap. Et si vous voulez vraiment comprendre, alors suivez l’argent. Qui finance les médias ? Qui détient les labels ? Qui choisit les artistes à mettre en avant ? Les mêmes groupes possèdent la presse, la télévision et les labels. Ce sont eux qui décident ce qui est acceptable, ce qui doit être promu ou effacé. Ce sont eux qui influencent ce que tu penses, ce que tu entends, ce que tu crois.

Le hiphop est une culture, le rap est un art. Il doit redevenir un espace de parole libre, loin des contraintes d’un système qui l’exploite sans jamais le respecter. Si l’on veut se préserver, il faut arrêter de chercher une validation extérieure, reprendre le contrôle de nos propres espaces. Alors, arrêtons de nourrir ceux qui nous méprisent, arrêtons de suivre leurs médias, arrêtons de mendier leur acceptation, leur validation.

Après notre dernière story, vous vouliez des noms, vous vouliez du sale… Et c’est aussi en ça qu’ils ont réussi. On est attiré par l’échec, la médiocrité. On préfère voir quelqu’un tomber plutôt que de chercher à s’élever. Mais ils ne m’auront pas. Je chercherai toujours à hausser le niveau, à donner du sens, à encourager la réflexion. Ne compte pas sur moi pour go with the flow.

Et si tu n’as toujours pas compris qui te la met bien profond, deux options : soit tu aimes ça, soit tu ne veux pas savoir, mais c’est souvent les deux.

On l’a toujours fait pour la culture et on continuera.
Alors ouvre les yeux.
Fais ça pour toi.

Mr Seavers