L'itw d'Orelsan

repreZent est allé à la rencontre d’un si ce n’est du phénomène rap français de l’année, Orelsan. Il en ressort cet interview réalisé par Sophia.

 

 

 

 

 

On te décrit comme un rappeur polémique. À l’écoute du « Chant des Sirènes », on peut entendre ce côté piquant, qui aime titiller les points qui font mal. Surtout sur le morceau « Suicide Sociale ».
« Suicide Sociale » est une fiction. C’est l’histoire d’un gars qui est au bord du suicide, qui pète les plombs, et qui s’en prend à toutes les couches de la société. C’est un titre plein de clichés. Je voulais faire un titre sur le manque de communication entre les gens. Je ne savais pas exactement comment le faire. Je me suis alors rappelé d’un film de Spike Lee qui s’appelle « La 25e heure ». Dans ce film, il y a une scène où Edouard Norton parle de New York et de la société new-yorkaise. Il dit des trucs comme « j’emmerde les Pakistanais et leurs taxis, j’emmerde les Italiens… » Je me suis dit que j’allais reprendre cette structure. En gros, ce morceau vise à dire que quand t’es pas bien dans ta peau, tu peux vite voir le négatif partout, et que si tu le cherches tu peux le voir partout. J’aurai pu faire le même morceau avec que des points positifs. Mais, je pense que cela aurait été moins intéressant.

T’es pas quelqu’un qui va parler des aspects positifs de la vie dans tes textes…
Ouais. C’est plus difficile. Et, je pense que tout le monde parle plus facilement des aspects négatifs que positifs. Quand on est dans un truc positif, on va se concentrer sur le fait d’être heureux et moins voir les défauts. Si un jour je peux faire de la musique positive, j’essaierai de le faire. Mais pour « Suicide Social », c’est le négatif qui m’a inspiré.

Sur ton album, on te perçoit comme un mec un peu paumé qui est entre l’état de la maturité et des délires d’ado. Parfois, aussi comme un rappeur à la punchline bien aiguisée. Au final, c’est qui Orelsan ?
C’est un mélange de tout cela. Je ne suis pas dans un trip trop schizophrène, où je me dis qu’Orelsan c’est un personnage. Si tu prends l’album de A à Z, on peut lire entre les lignes et retrouver Orelsan, Aurélien. Pour moi, il n’y a pas de différences entre les deux. C’est moi qui fais des chansons et les chansons sont de la fiction.

Tu poses tes tripes à chaque texte ?
J’essaie d’aborder des choses intéressantes. Je pense que quand on parle de choses qui se passent à l’intérieur de nous, ça créé des chansons intéressantes.

Ça va, tu gères mieux tes infidélités ? T’en parles beaucoup sur l’album.
J’ai plus d’infidélité. C’est quelque chose que je connais. Je parle d’une période de la vie où on ne sait pas trop où aller. C’est sûr que j’ai déjà commis des infidélités, mais c’est terminé.

T’as une grande habileté à manier ton flow. Tu arrives à poser sur tes morceaux plus pop et d’autres, plus éclectiques. Tu arrives aussi à passer d’un beat classique comme sur « 1990 » pour enchaîner avec un beau plus moderne comme celui de « 2010 ». Comment est-ce que tu as construit ton flow ?
Au début, je rappais à l’instinct et que sur du boombap. Donc, sur des beat ultra classique, samples, grosse caisse, caisse claire, 90bpm. Au bout d’un moment, Scred m’a dit que ça serait bien que j’essaie d’autres trucs. Perso, j’ai aussi d’autres influences, j’écoute d’autres styles de rap. J’aime beaucoup le rap du sud avec des rappeurs comme Twista, Ludacris, André 3000 ou des mecs comme Lil’ Wayne. Puis, j’ai travaillé mon flow. J’ai constaté que je posais souvent de la même manière, et je me suis donc dit que j’allais essayer autre chose. Ça fait partie du travail de rappeur de bosser ses flow. Si je posais toujours de la même manière, ça soulerait les gens. J’ai envie d’être un rappeur technique dans le flow. J’ai envie que ça matche bien. J’écoute aussi beaucoup de rap anglais où ils posent sur des beats plus lents. J’essaie de trouver le flow qui correspond le mieux aux instrus. Après, c’est vrai que j’ai mes acquis, mon style de flow. Je pose d’une manière assez lancinante. Mais, ça se travaille.

Pourquoi tu rap ?
Je rap parce que j’aime le rap. Je rap parce que quand j’avais 16-17ans, j’étais déjà passionné par cette musique-là. Vers 15ans, j’ai commencé à apprendre des textes d’autres gens par cœur. Comme du Public Enemy, IAM ou encore NTM. Puis, je me suis dit qu’il était temps que je fasse mes propres textes. Et, je me suis mis à rapper plus pour l’action que pour la réflexion qu’il y a derrière. Je ne me suis pas mis à rapper parce que j’avais des choses à dire, mais parce que j’avais envie. Quand je voyais des groupes, j’avais envie d’en faire partie et de poser mes propres trucs. Du coup, c’est pour cela que j’ai fait du rap. Au fur et à mesure, j’ai réalisé que j’avais des trucs à raconter, que j’avais envie de parler de certaines choses. Mes premiers morceaux ne racontent rien d’intéressant. Et, plus c’est allé, plus je me suis dit que je pourrais parler de choses qui me touchent. Mais, ça peut être n’importe quoi, comme l’alcool que j’ai bu la veille. Encore aujourd’hui, j’ai toujours envie de rapper, faire partie de la compétition, faire partie du truc, chercher de nouveaux flows. Après, il y a d’autres trucs qui entrent en jeu ; j’ai envie de faire de bonnes chansons, d’avoir les meilleurs refrains, les meilleurs thèmes. Pas forcément pour la compèt’ (même si ça rentre en jeu), mais aussi par amour du truc. J’aime créer, faire des clips. Et tout cela est passé par le rap.

Tu commences ton dernier album avec « Raelsan » et en disant que tu vas fêter la fin de l’industrie du disque. Pourquoi est-ce qu’elle est finie, à ton avis ?
Parce que l’industrie du disque au sens propre ne vend plus autant de disques qu’avant. Elle a changé. Plein de maisons de disque ont fermé. De nouveaux systèmes se sont implantés. C’est plus pareil. Au moment où j’ai écrit « Raelsan » et où j’ai commencé à penser à la sortie de mon nouvel album, je me suis sérieusement demandé s’il j’allais le sortir en CD. Quand je parle de la fin du disque, je parle surtout de l’objet. On est de plus en plus dans une ère d’internet, on sort de moins en moins d’albums. Aujourd’hui, la plupart des gens jusqu’à 23ans n’ont jamais acheté de disque. C’est pour cela que j’avais envie de prendre le truc dans ce sens-là, et dire « ça y est c’est fini, on entre dans une nouvelle ère ».

En Suisse, tout ce qui est téléchargement à usage privé et sans partage est toléré par la loi. Est-ce que tu penses que c’est une solution qui va tuer la musique, la vie d’artiste en tant que soi ?
Je pense qu’il faut être responsable. Quand t’as pas beaucoup d’argent, si t’as un truc qui est gratuit tu ne vas évidemment pas l’acheter. Je suis dans la musique et je sais que si l’on achète plus de disques, il n’y aura plus d’argent dans les studios, pour les ingés son. Ça va tuer tout un corps de métier. Un disque c’est difficile à faire. Tout le monde pense qu’un artiste se fait beaucoup d’argent. Mais, c’est le cas que pour une minorité. Si je dois bosser à côté de la musique, je ne pourrais pas faire d’album. Je pense qu’il faut donc que les artistes soient rémunérés. Je télécharge des trucs gratuitement. Ce qui est du vol au final, mais il faut assumer. D’un côté, je fais en sorte d’acheter un maximum de truc. D’un autre côté, tant mieux si l’industrie du disque génère moins d’argent à un certain point. C’est plus logique. On n’a pas besoin de vendre 3 millions d’albums comme à l’époque du vinyle. Mais, d’un autre côté, je pense qu’il faut quand même acheter les trucs. J’aime bien acheter parce que j’aime bien avoir l’objet. Mais, j’achète aussi plein de trucs sur iTunes. J’aime avoir les trucs en entier avec le son exact que voulait l’artiste. Au-delà de juste sanctionner, de dire que tel ou tel agissement est légal ou illégal, je pense qu’il y a des choses à mettre en place pour que les gens aient envie d’acheter. Pour moi, la législation devrait plutôt passer par des lois qui feraient en sorte que les gens aient envie de payer. À mon avis, les gens qui achètent mon disque ne le font pas parce qu’ils ne peuvent pas l’avoir autrement, mais plutôt parce qu’ils aiment bien la pochette, parce qu’ils ont envie de faire partie de quelque chose. Comme moi qui, par exemple, vais m’acheter une peluche manga que j’ai kiffé. Tout le monde n’a pas forcément cette envie-là. Je ne suis pas pour la sanction.

Quand Megaupload a fermé, j’en ai parlé avec des petits qui avaient 14-15ans. Ils ont pris cela comme une privation de leurs droits. Comme si on leur avait volé un truc. Ils ne comprenaient pas. C’est aussi une question d’éducation. Après, je n’ai pas envie de faire le gros relou comme certains autres artistes. J’ai grandi en téléchargeant des trucs. Il doit bien y avoir une solution. iTunes c’est cool parce que ça te donne envie d’acheter. Après, ça coûte cher. La certitude que j’ai, c’est que faire un disque ça coûte des sous. Pour que ton disque soit bien, il faut payer des musiciens, des ingés son etc. Pour qu’un disque marche, il faudra faire des clips, de la pub. Ça coûte aussi cher.

Sur la PETITE MARCHANDE, j’ai eu l’impression que tu utilisais une certaine légèreté dans ta manière de raconter l’histoire pour cacher ta face de rappeur conscient. C’est peut-être un rôle que t’arrives pas à assumer non ?
Je ne sais pas. Il y a un côté conscient, mais il y a aussi beaucoup d’humour. Je pense qu’à partir du moment où tu fais de la musique, il y a forcément un côté conscient derrière. Bien sûr, il y a une morale. Après, je me place en tant que personnage. Je suis le gars qui ne fait rien pour cette petite Chinoise alors qu’au final elle a une vie horrible. Donc oui, si on lit entre les lignes, on peut voir un côté conscient. Après, je ne sais pas si je l’ai écrit spécifiquement pour me moquer d’un truc. C’est un mélange de tout. Je pense que le rap conscient c’est cool. Mais, on est plus dans une époque où l’on dit les choses de but en blanc. Tous les trucs qu’ont déjà dit Assasin, NTM ou encore La Rumeur, ont été dits à une période où c’était bien, ça nous a marqués. Si tu le redis aujourd’hui, c’est un peu une répétition. Quand j’écoute un rappeur qui va me sortir un truc qui l’a lu dans les journaux et qu’il a juste adapté à la forme rap, ça va moins m’intéresser. Sauf s’il déchire vraiment. Je n’ai pas envie de faire cela parce que je suis plus dans la fiction. Si j’arrive plus à faire passer des trucs intéressants par ce biais, c’est bien. Mais, je n’ai pas envie de donner des leçons. Le rap est un bon moyen d’expression, mais si tu veux vraiment vraiment être conscient, faut lire des livres. Un morceau de rap n’est pas le meilleur moyen au monde. Il y a un côté de divertissement dans le rap. Il peut y avoir des messages. Mais moi, en tant que rappeur conscient, pas totalement. J’aurai toujours envie de dire un truc de déconne entre les trucs conscients.

Comment s’est passé le duo avec Disiz, « Go Go Gadget » ?
Je connais Disiz depuis longtemps et ça faisait longtemps qu’on voulait faire un morceau ensemble. C’est quelqu’un que j’aime beaucoup et qui fait partie des rappeurs qui m’ont influencé, que j’ai beaucoup écouté. J’ai acheté beaucoup de ses albums. Du coup, ça m’a mis la pression et j’avais envie de faire le meilleur morceau possible. Il m’a envoyé plusieurs instrus que je ne sentais pas, j’étais en tournée, je n’y arrivais pas. À un moment, il m’a envoyé l’instru de « Go Go Gadget » que j’ai bien kiffé. Je la trouvais rigolote. En plus, c’est une prod de Medeline et ça faisait longtemps que je voulais bosser avec lui. Et pourtant, je n’y arrivais pas. Disiz m’a poussé. Heureusement, sinon ça ne se serait pas fait. J’ai posé ma partie au studio. Disiz a bien aimé. Puis, on a décidé de faire un troisième couplet ensemble. C’est venu petit à petit. Heureusement que Disiz m’a donné confiance. Quand on me propose des feat., j’ai toujours tendance à vouloir retarder le truc pour trouver le bon moment. Mais parfois, il faut juste le faire.
Je suis content parce qu’on a de bons retours.

Oui, il s’intègre bien dans l’album, qui a quand même un univers spécial.
Le problème avec Disiz, c’est qu’il a des textes conscient, engagé. J’ai des textes un peu dans ce délire-là. J’ai des textes rigolos, lui aussi. On a aussi ce côté egotrip, Jimmy Punchline, Bête de Bombe. Comment réunir les trois ? On n’y arrivait pas jusqu’à qu’on en choisisse un. On aurait pu faire tellement de trucs différents qu’on refera certainement un morceau.

Un album, qui sait ?
Ouais carrément.

Quelle est ta définition du mot « RepreZent » ?
Je me suis déjà posé la question puisque j’ai utilisé ce terme dans mes textes de début de carrière. Ma définition est au sens propre. À l’époque, certains disaient qu’ils sont là pour faire parler de choses dont on ne parle pas forcément. « Je suis l’image de quelque chose et je viens la montrer au grand public ». Au début, j’essayais de représenter mes potes, le truc dans lequel j’étais. J’avais l’impression de faire partie d’une catégorie de gens normaux, de gens mélanger, de plein de milieux différents dont les médias ne parlent pas forcément. J’avais l’impression qu’on restait souvent dans des trucs assez sectaires. J’avais envie de montrer comme nous étions, moi et ma bande de potes, à Caen. Au final, je me suis rendu compte que c’était pas que moi et ma bande de potes, mais que d’autres gens étaient comme ça. Maintenant, j’ai envie de représenter les gens comme nous et, en même temps, je n’ai aucune légitimité à le faire. Au final, ce que je fais, c’est ce qui me plaît. Même s’il y a des gens derrières qui me suivent pour l’instant, peut-être qu’ils ne suivront pas toujours. Je n’ai pas envie de me donner de responsabilité. Quand on se dit « je repréZente, je repréZente, je repréZente », okay. Mais, au bout d’un moment, tu as aussi une identité, t’es aussi un être humain. Des fois, tu ne représentes que toi-même. C’est vrai que c’est un truc qu’on utilise beaucoup dans le rap, qui est assez cool, facile, emblématique, bien pour se mettre en valeur. Au bout d’un moment, je repréZente ceux qui veulent bien comprendre ce que je raconte. Je suis arrivé à la conclusion que c’est pas moi qui choisi qui je repreZente. C’est eux qui choisissent s’ils veulent être repreZenté par moi. Après, je fais de mon mieux pour rester droit dans mes bottes, ne pas partir en couilles musicalement. Après, qui m’aime me suivent. C’est ça ma définition de « RepreZent ».

par Sophia