Difficile pour un média comme repreZent de ne pas revenir sur la performance de Kendrick Lamar lors du dernier SuperBowl, et hors de question de faire 3 slides sur Instagram du style « ses meilleures punchlines ». Notre culture mérite mieux que ça, notre culture mérite du respect et c’est exactement ce qu’est venu dire Kendrick. Tout dans son show servait un but précis, raconter l’histoire, exposer l’hypocrisie du système et surtout rappeler que notre culture n’a jamais eu besoin de permission. C’est simple, Kendrick a pris le contrôle, il a imposé son message et fait de la scène qui lui était offerte une tribune politique, une véritable démonstration de force. Voilà de quoi faire taire les personnes qui disent que le Hiphop est mort. Retour sur ce qui nous a le plus marqué, c’est donc forcément subjectif et non exhaustif.
Dès l’ouverture du show, on sent qu’il va se passer quelque chose, Samuel L. Jackson apparaît en Oncle Sam, costume étoilé, sourire carnassier « C’est le grand jeu américain », il est là pour nous vendre le rêve américain, mais Kendrick n’est pas là pour ça. Assis sur le capot d’une Buick GNX 1987, il est venu incarner l’authenticité, celle du rap pur, celle de sa vie, tant pis si vous étiez venu pour le feu d’artifice. Pas de trône, pas de mise en scène tape-à-l’œil, juste un rappeur qui surgit et refuse d’être assimilé. Un rappeur posé sur le capot de la voiture que possédait son père, celle qui l’a ramené chez lui après sa naissance. La boucle est bouclée. D’une voix posée, mais tranchante, il lance la première salve : « The revolution ‘bout to be televised, you picked the right time but the wrong guy. ». Si vous aviez encore un doute, cette fois il est levé. On ne va pas assister à un simple enchaînement de hits, il va se passer quelque chose, on lui a donné une tribune il en fait un manifeste. Les premières notes du titre inédit « Squabble Up » explosent, et la tension monte… Jackson revient, en incarnation du contrôle social il accuse Kendrick d’être « trop bruyant, trop imprudent, trop ghetto. »… L’Amérique aime le rap tant qu’il reste sous contrôle, tant qu’il reste à sa place. Lamar embrasse cette critique pour mieux la renverser à son compte.
« HUMBLE. » démarre et le tableau devient une fresque vivante. 80 danseurs en rouge, blanc et bleu forment un immense drapeau américain, qui, quelques instants plus tard, se déchire en deux. L’image est brutale, forte, implacable. Lamar met l’Amérique face à elle, fracturée, rongée par ses paradoxes. Une mise en évidence en mondiovision de la politique de division et de la montée des tensions raciales aux États-Unis. En éclatant le drapeau, Lamar expose une nation en crise, tiraillée entre son histoire et sa promesse de liberté.
Quand « DNA. » résonne, Lamar ne fait pas que rapper, il raconte l’histoire d’un peuple et inscrit son héritage dans la pierre, dans la tradition des performances engagées de James Brown appelant à l’unité en pleine période de tensions raciales, du légendaire « Say it loud, I’m Black and I’m proud » qui résonne encore aujourd’hui. Il ralentit le rythme sur « Euphoria », rappelant alors à l’Oncle Sam que l’art noir ne se limite pas à la colère ou à la rébellion, mais qu’il est aussi capable d’exploration intérieure et d’élévation. Les noirs ne sont pas uniquement là pour le divertissement, ce sont des résistants, des combattants, avec « Man at the Garden » il fait le parallèle entre Muhammad Ali sur le ring et les activistes sur le terrain, se présentant comme l’héritier de cette défiance et de courage. La voix de Kendrick est authentique, il n’est pas un produit marketing que l’on manipule et il nous le rappelle avec « Peekaboo ».
L’ambiance bascule à nouveau. SZA rejoint Lamar pour « Luther » et « All the Stars ». Les sonorités s’adoucissent, le décor prend des teintes plus chaudes. Jackson jubile : « Voilà ce que l’Amérique veut ! Sage, doux, propre ! » L’illusion ne dure pas longtemps. Kendrick n’est pas là pour offrir du confort… la tension revient, l’instrumentale de « Not Like Us » gronde dans le stade.
C’est le moment attendu par tout le monde. Avant de lancer l’instru, Lamar glisse une pique : « I wanna perform their favorite song, but you know they love to sue. » Référence directe au procès intenté par Drake après la sortie du morceau. Et puis l’explosion. Pour débuter Kendrick lâche un retentissant « 40 acres and a mule, this is bigger than the music/ They tried to rig the game, but you can’t fake influence. », il vient de transformer un clash en un véritable message politique, il inscrit « Not like us » dans quelque chose qui va bien au-delà de la musique et le dit. Le beat démarre, et avec lui, la clameur du public, malicieux Kendrick lance un clin d’œil à la caméra, il laisse le public scander en cœur la fin de sa rime la plus assassine, ça a dû raisonner jusqu’en Australie…
Et que dire de son danseur qui surgit sur la Buick, brandissant drapeaux soudanais et palestinien. Fugace, mais puissant, en quelques images tout est dit : la résistance, la solidarité avec les opprimés, l’écho entre les luttes… La sécurité intervient rapidement, mais c’est déjà trop tard, le message est passé, et c’est pour ça qu’on est fier de notre culture qui sait offrir une voix pour ceux que l’on veut faire taire. Et voilà Serena Williams, icône du sport et figure noire puissante, qui entre en scène et exécute un Crip Walk assumé. Ce n’est pas juste une provocation : c’est une affirmation de son identité. On se souvient qu’elle avait été critiquée en 2012 pour l’avoir dansé après une victoire olympique, accusée d’introduire la culture des gangs sur une scène où elle n’était pas « appropriée ». Cette fois, elle le fait sur la plus grande scène du pays, face aux élites et aux décideurs, une réappropriation totale de son identité et de son héritage, un acte de défiance, en souriant.
GAME OVER
La mise en scène atteint son paroxysme. Les danseurs se dispersent et forment les symboles du contrôleur PlayStation (X, O, △, ◻). Un clin d’œil subtil au deal entre Sony et OVO Sound, le label de Drake ? Au-delà de la pique, ce moment rappelle l’idée que l’Amérique traite les artistes noirs comme des pions dans un jeu de pouvoir plus grand. Kendrick refuse d’être un simple joueur, c’est lui qui écrit les règles. Un « TV OFF » suivi d’un « GAME OVER » lumineux se dessine dans le public. Fin du spectacle, mais surtout fin de l’illusion. Il faut arrêter de consommer la culture sans en comprendre les enjeux, Kendrick a terminé la partie. Il n’a pas seulement remporté un clash. Il a imposé son art, rappelant au monde que le Hiphop n’est pas qu’un divertissement.
La caméra balaye le stade, capture Trump, impassible. Il sait. L’Amérique sait. Kendrick Lamar vient d’écrire une page d’histoire. Ce n’était plus juste un spectacle, c’est bien plus que de la musique. Le Super Bowl, terrain du capitalisme blanc, s’est transformé en manifeste culturel et politique. Lamar a tout pris. La scène, le message, l’histoire. Le hiphop n’a jamais demandé la permission et grâce à lui il a simplement pris ce qui lui revenait.
Mr Seavers