À l’aube de ses 40 ans et d’un concert prévu le 12 octobre à la salle communale de Plainpalais, Rox a répondu présent aux questions de repreZent. À l’aise sur terre comme sur l’eau, vu que l’entretien s’est déroulé au bateau-lavoir de Genève, le mc en a profité pour revenir sur son dernier EP « La Route du Soi 2 », parler ego et promo.
Pour revenir globalement sur tes EP « La Route du Soi », j’ai l’impression qu’ils sont passés inaperçus, malgré un travail de qualité. C’est quoi ton rapport à la création, viser un maximum de visibilité ou sortir des projets sans te préoccuper de la promotion ?
C’est un rapport un peu ambivalent. Je garde une sorte de fougue de jeunesse, une passion pour cette musique que je pratique. Mais d’un autre côté, ça fait quelques années que j’ai fait le deuil de vouloir en vivre. Je mets énormément d’énergie et de temps dans la promotion, mais principalement dans le but de faire partager la musique, sans grandes attentes de retombées financières ou d’autres débouchés. J’adore la scène, je pourrais faire énormément de concerts parce que j’aime ça, mais j’aime bien, à cette période de ma vie, avoir ce côté indépendant dans ma musique, avoir un total contrôle sur le moment où je choisis de faire des concerts ou de ne pas en faire. Je suis content de fonctionner avec ce rapport détaché de tous enjeux vitaux, d’une course à la reconnaissance. Après comme tout le monde, j’aime bien que mon travail soit reconnu.
Et quel est ton rapport aux médias ? Tu réponds à toutes les sollicitations, tu sélectionnes les médias ou eux ne viennent pas forcément vers toi ?
Ce que l’on me propose dans la majorité des cas, je prends. Maintenant, je comprends de plus en plus que ma musique s’adresse à un marché de niche. Du coup, quand je fais la démarche de contacter les médias, je m’oriente vers ceux qui sont « spé ». En Romandie, il n’y en a pas 15 000. Reprezent c’est l’un d’eux. En émission rap il y a Nayuno à la RTS, Desstres Urban Session à Radio Usine et Groove and Sun à La Fabrik. Ceux-là je vais les contacter ou répondre présent si ils me contactent, forcément. Après les plus gros, RTS [en dehors de Nayuno] et d’autres émissions, c’est moi qui les contacte. Eux ne viennent pas me chercher, mais ils ne connaissent pas ou plus mon existence. Je suis là depuis longtemps, mais je n’ai jamais été très constant : certaines années j’ai sorti plein de projets, d’autres où j’étais moins actif, moins visible. Et puis à une époque, je faisais de la promo encore plus « artisanale », je sortais des trucs sur un coup de tête avec cette mentalité de penser que tout m’était dû, que j’aurais plein d’articles et d’exposition. Quand je parle avec d’autres mc’s, je leur dis que c’est à nous d’aller contacter les gens, les médias ne nous doivent rien.
Après il y a toute la presse « spé » française, mais j’ai pas forcément les personnes de contact. Des fois j’envoie des mails, presque comme une offre d’emploi avec « Madame, Monsieur », parce que je ne sais pas le nom de la personne derrière le média. Des fois ça porte ses fruits, d’autres non. En m’intéressant aux médias français, j’ai compris que tout passait par l’argent : Il y a des packs promo où tu paies tant et tu peux être visible sur tant de sites; pour un montant défini. Ça inclut une chronique, un article, une pub. Moi je ne suis pas entré là-dedans. Par contre, j’ai investi de l’argent dans les « boost » de publication, la nouvelle promo qui remplace la colle de poisson, les affiches et les stickers. J’essaie d’entretenir un rapport humain à la presse : j’aime bien connaître les gens, j’aime bien les rencontrer.
Pour rebondir sur tes 2 EP : ils me parlent, et je pense à beaucoup de gens, parce qu’ils mettent en avant le processus de remise en question, d’introspection que tout le monde, selon moi, est amené ou devrait être amené à faire dans sa vie. Toi, ce processus, à quel âge l’as-tu commencé ?
Avec du recul, dans les premiers textes du DUO en 1993, il y a avait déjà de ça. Mais bien entendu pas aussi profond, parce que je n’avais pas l’âge ni l’expérience de maintenant. Mais il y avait déjà quelques prises de conscience piochées dans certaines lectures, dans certaines discussions qui nous ont ouvert sur le monde. Dans le DUO, on a toujours été plus inspiré par des rappeurs qui avaient cette approche-là dans l’écriture. Comme le morceau « Je ne suis pas à plaindre » d’Akh qui cassait tous les stéréotypes de l’image du rappeur : c’est juste un être humain avec ses questionnements et ses fragilités. Et je me suis dit que c’était tellement courageux, humble, noble; que j’ai voulu tendre vers ce type d’écriture et je l’ai fait et ça va continuer. Je ne vais pas encore faire 34 « Route du soi » ou n’importe quel autre nom d’ailleurs, puisque c’est plus qu’une marque de fabrique, c’est une forme de philosophie.
Personnellement, je lie beaucoup ce travail de remise en question à la reconnaissance de ses propres erreurs et à l’ego. Tu te situes où par rapport à ce thème qu’est l’ego ?
Alors c’est intéressant, merci de poser la question. L’ego, j’en ai souvent eu une connotation négative. Quelque chose de mal, qu’il faut combattre : notre « mauvais soi ». Quelque chose de pernicieux, dans le cas où il se transformerait en orgueil. Mais par l’expérience, je me suis rendu compte que l’ego a plusieurs facettes et qu’il constitue notre véhicule dans notre incarnation. Il est à la base de l’autodétermination et amène des choses qui sont nécessaires. D’autant plus pour quelqu’un qui écrit, un artiste, un personnage public. T’as besoin d’une confiance pour pouvoir transmettre. Donc ce sont des questions qui continuent de m’accompagner. En ce moment je donne un peu de combustible au feu, je suis de nouveau « exposé » dans les médias à travers ce projet. Je dois me resituer aussi par rapport à mon ego : il faut que je trouve l’équilibre entre les retours des gens qui me touchent, que ce soit en négatif ou en positif, et la démarche derrière le projet, tout en questionnements.
Si possible, j’aimerais que tu reviennes sur « Rap Medecine » et que tu t’exprimes sur l’importance qu’a eue le rap dans ta vie. Et plus précisément de la posture de « caïd » que t’avais à un moment.
J’ai rencontré le rap vers 11, 12 ans avant de le pratiquer. J’ai souvent dit qu’il m’a évité de faire beaucoup de conneries… mais il ne m’a pas empêché d’en faire plein d’autres. C’est difficile de répondre, parce qu’il faudrait que je puisse faire un constat de ma vie sans le rap et c’est impossible. Toujours est-il que le rap a constitué une immense thérapie dès le début. En réécoutant des anciens textes, je remarque que je travaillais sur moi sans m’en rende forcément compte. J’ai pu mettre en mots une grande partie de ma vie et ça m’a énormément aidé à me connaître. Et ça m’a également apporté beaucoup de plaisir, étant un fan amoureux de cette musique.
Concernant la 2e partie de la question, bien sûre que je suis passé par une période où je faisais le dur, de 18 à 25 ans environ. Une certaine reconnaissance locale, un ego surdéveloppé à l’époque, le tout mêlé à un rythme de vie nocturne ont amené au fait que j’étais un « petit voyou ». Bien des années plus tard, j’ai pris conscience de ça.
Dernièrement j’ai écouté une interview de Disiz où il raconte que le succès lui est tombé dessus à 22 ans avec son 1er album et qu’il s’est retrouvé pris dans un mode de vie pas facile à gérer : entre le succès, des concerts dans toute la France, etc.. toi, à ton échelle, comment as-tu vécu le succès du DUO à l’époque ?
C’est vrai qu’à notre vingtaine, ça marchait bien pour nous. On avait fait le Paléo, on tournait dans toute la Romandie et on avait enregistré un titre avec Greis sur son album Eis. Pour l’anecdote, des Suisses allemands m’ont dit cet été au Royal Arena que pour les fans hardcores de rap, cet album constituait leur illmatic à eux, carrément. Et il nous arrivait également de voir le public alémanique reprendre en chœur nos textes… woa ! on passait plus les portes ! [rires].
Un mot sur DJ Dan qui produit les deux EP « La Route du Soi ? »
C’est un vieux pote de longue date qui a commencé par le deejaying. On a vraiment commencé à travailler ensemble en 2010 quand il était dj pour les concerts autour de l’album « La danse du silence », avec Benzo qui faisait les backs. On peut aussi parler de Chispa qui a réalisé les deux derniers clips. Aussi un vieux pote. Du coup on se pose, on réfléchit ensemble à ce que l’on veut faire…
Une reformation du DUO est-elle envisageable ?
Question qui revient souvent et réponse qui revient souvent : si ça doit se faire, ça se fera. Effectivement, on a mis un terme au groupe en 2003 après dix ans, deux sorties, plein de concerts et de mixtapes. Mais ce n’est pas une vraie reformation dans le sens où Jonas et moi, nous nous sommes jamais « quittés » dans la vie. Ça sera une continuité. D’ailleurs on a créé une page FB « Le DUO » et ce n’est pas une page posthume : il s’agit d’une page sur laquelle nous relayons nos actus. En ce moment, nous écrivons des morceaux du DUO et je peux l’annoncer car c’est d’actualité : L’année prochaine ça sera les vingt ans de notre premier maxi vinyle « Rien n’est Duo au hazard ». Du coup on a envie de marquer le coup, mais on ne sait pas encore vraiment sous quelle forme on va le faire.
Projets d’avenir ?
Moi qui suis fan de boom-bap classique, j’avais besoin de revenir complètement à ça sur cet EP. Mais j’ai envie de sortir un peu de mes sentiers battus, même si je ne me reconnais pas dans les flows et les instrus « modernes ». Ça me fascine, mais ayant fait l’essai, ça me correspond pas. En ce moment je suis dans une période d’expérimentation où j’ai envie de retravailler avec des musiciens en live avec un mélange de samples et d’élargir mes horizons. Donc j’écris plein de nouveaux morceaux, je suis en phase de recherche, c’est une « Route du son ».
Par Marty
Rox sera en concert le 12 octobre à la salle communale de Plainpalais dès 21h, dans le cadre des 100 ans de la HETS.