Ce samedi 27 janvier, l’Arena de Genève accueillait la deuxième édition du « Beat Festival ». Après avoir frappé très fort à la porte des événements de musique urbaine lors de la première édition, en 2017 (Superwak Clique, Bigflo & Oli, Vald, SCH, MHD, Rae Sremmurd), les organisateurs n’ont à nouveau pas économisé leurs efforts pour offrir une affiche d’anthologie au public venu nombreux pour l’occasion. Les 8 500 personnes présentes ont ainsi pu apprécier les performances live de Caballero & JeanJass, de Roméo Elvis, de Lorenzo, de Sofiane, de Kaaris, de Damso et de $uicide Boy$. Oui, oui… Tout ça dans la même soirée. Affichant ainsi clairement ses ambitions, le Beat Festival s’impose désormais comme l’événement hip-hop numéro un, en Romandie.

En guise d’échauffement, les MC’s Bruxellois et Charlésien Caballero & JeanJass ont mis le feu à une salle qui sautait d’un seul homme et backait tous les textes du duo belge. Cerise sur le gâteau, en fin de prestation, « non, non, non c’est pas fini », le talent local Di-Meh a rejoint les deux compères sur scène pour électriser une foule déjà conquise. Et de lancer le premier « cercle » d’une longue série qui s’est achevée sur le coup des 3 heures du matin.

Après avoir mis du respect sur leur nom et sans oublier un s’il vous plaît, RepreZent a partagé un moment privilégié avec Caba et JJ. L’occasion de revenir sur leur amour du hip-hop, leur parcours et leur perception du milieu hip-hop actuel.

Vous figurez aujourd’hui, parmi les fers de lance du rap francophone… Mais comment s’est déroulée votre rencontre avec le hip-hop? Quels ont été l’album et/ou le morceau qui ont été déterminants?
CabaMa première rencontre avec le hip-hop s’est passée en Espagne, je devais avoir 8 ans, mon cousin m’avait offert l’album de Public Enemy « It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back ». Jusque là, j’écoutais la musique d’une oreille distraite, comme quand mon père passait du rock à la maison. Mais avec cet album, je n’avais jamais entendu quelque chose d’aussi fort ! C’est ce qui m’a fait prendre conscience que je pouvais aimer la musique, au point de vouloir réécouter encore et encore.
Le morceau déclencheur a été « La Lettre » de Lunatic ! Les sonorités comme « On verra après, Mounir m’a appris» m’ont particulièrement marqué. Je commençais à comprendre le mécanisme de la rime et j’ai eu envie de le reproduire.

JJ Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours kiffé la musique. Même avant de pouvoir m’acheter des CD’s, j’avais mes préférés parmi ceux de mes parents. Mais l’album qui m’a vraiment fait plonger dans le rap, c’est « Touche d’Espoir » d’Assassin. Je devais avoir 13 ans.
J’ai découvert Rockin’Squat au travers d’un morceau qu’il avait réalisé avec Starflam, pionniers du rap belge. Un gars de mon groupe, Exodarap était de la même famille que l’un d’eux. J’ai eu le déclic grâce à cet album, j’ai eu envie de faire des instrus ; le côté mélodique m’a tout de suite attiré.

Vous êtes tombés dans le rap très jeunes, mais plusieurs générations s’étaient déjà succédé auparavant. Aujourd’hui, avec le recul, quels sont vos albums phares?
JJ Pour moi, en rap français, l’album le mieux écrit, c’est « Méthèque et Mat » d’AKH. Sinon, chez les ricains, c’est clairement Mobb Deep « The Infamous » ! C’est l’album que j’ai le plus saigné. On peut dire que ce sont mes deux albums de chevet.

CabaEn rap ricain, je dirais « The Infamous » aussi. Je l’ai découvert tardivement, c’est vrai, mais il m’a tellement frappé que c’est comme s’il était sorti la veille ! Les prods sombres, les boucles hypnotiques m’ont complètement renversé. J’ai eu envie de cet univers. Il a beaucoup déteint sur moi. En rap français, j’étais beaucoup Booba « Temps Mort » et Lunatic « Mauvais Œil ».

Ce soir, de nombreux artistes de renom partagent la même affiche et le même public. Pourtant, deux tendances se dessinent: d’un côté un rap «hardcore», dans l’ultra-virilité, à la recherche de «street cred» et de l’autre un rap plus décontracté, plus «chill». Quel regard portez-vous sur ce mélange de genres?
JJ Aujourd’hui, il n’y’a plus de frontières entre les publics et c’est pour ça que ce genre de soirée fonctionne. Par exemple, j’écoute ce que font tous les artistes présents. Je respecte leur carrière. La « street cred », je n’y ai jamais prêté attention. Mais aujourd’hui le game a changé. Même les morceaux et artistes super « street », comme Ninho, ne se suffisent plus à eux-mêmes. Aujourd’hui, il te faut les meilleurs beats, les meilleurs flow. Je prends l’exemple de 13 Block aussi, ils ont des flows incroyables. Ils peuvent avoir des mélodies qui vont nous parler à tous les deux et à Roméo (Elvis, ndlr). Aujourd’hui il n y’a plus de frontière, tu peux tout faire. C’est pour cette raison qu’il y a beaucoup de mélanges.

Le rap suisse et le rap belge ont débuté simultanément avec le rap français. Pourtant les deux premiers ont très longtemps vécu dans l’ombre du troisième. Aujourd’hui, les choses changent, on parle plutôt de rap francophone…
CabaEn tout cas, la question est posée… On parlera peut-être de rap français par habitude, mais au vu de ce qui sort de différents horizons, on ose s’essayer à l’appellation « rap francophone ».
JJ Encore une fois, tout se mélange. Même les langages. On commence à utiliser des expressions d’ailleurs et inversement. En France, on va entendre parler de « GSM » ou de « rouler un pli », alors que c’est typiquement de chez nous. Les frontières s’estompent.

Le paysage hip-hop véhicule parfois — à tort ou à raison — des messages décriés pour leur misogynie, leur violence ou leur vulgarité. Dans vos textes, on retrouve régulièrement des «mercis», «s’il vous plaît», du respect… S’agit-il pour vous d’une manière de vous démarquer?
JJC’est involontaire. On est pareil dans la vie privée et ça se ressent dans nos textes.

CabaC’est notre nature, c’est notre façon d’être dans la vie privée et du coup c’est aussi notre façon de faire la musique. On est comme ça, on traîne avec des gens comme ça, mais on ne le cherche pas spécialement dans notre musique. On est originaux à notre façon. On est chill, on véhicule de bonnes vibes, donc ça se ressent dans ce qu’on produit..

Comme nombre d’artistes actuels, vous utilisez beaucoup les réseaux sociaux pour communiquer avec votre public. Quel est votre rapport avec ces «followers» dans la vie numérique comme dans la vie réelle?
CabaOn prend le temps pour les fans. Autant que faire se peut. Si on peut faire une photo, qu’on ait envie de le faire ou non, on prend le temps.

JJ Ils sont clairement avec nous et c’est génial ! Parfois ils sont même un peu trop fans. Ça peut choquer ou brusquer. Ils sont parfois très familiers : comme ils nous voient tous les jours, ils ont l’impression qu’on fait partie du quotidien l’un de l’autre. Mais on serait hypocrite de s’en plaindre. On le vit très bien. Parfois tu dois juste mettre quelques distances. Comme tout le monde, certains jours tu es mal luné ou pressé. Mais dans l’ensemble c’est génial ! Je manque d’objectivité, c’est sûr, mais je trouve qu’on a un public super généreux qui nous suit dans chacun de nos délires… On s’essaie à plein de choses qui ne nous ressemblent pas forcément et eux sont toujours là.

Une chose est certaine, ces deux épicuriens emplis d’humilité n’ont pas fini de se faire plaisir et de nous en procurer par la même occasion… Bruxelles est là, c’est une réalité !

par Sad