Il aura suffi d’un seul titre en l’an 2000 pour déclencher vingt ans plus tard l’Opération Soosol. Soit la recherche active du groupe de La Savine, quartier perché sur les hauteurs de Marseille dans le 15e arrondissement. Contact établi, infos en poche, huit arrêts de métros et dix-neuf de bus plus tard, l’entretien se déroulait avec deux de ses anciens membres au Studio B.Vice, fief légendaire du rap planté au cœur du quartier. Entretien effectué le jour d’un BBQ, entre nostalgie, saucisses et coups d’œil dans le rétro.

« Pré History », maxi du groupe sorti en 2005

RepreZent : Alors pour la petite histoire, je me suis mis en tête de vous retrouver suite à la réécoute en 2020 du titre « Soo Sol Session 1 », paru sur une compilation du journal Groove en l’an 2000. À l’époque, le morceau m’avait marqué. Du coup j’ai laissé des messages sur les réseaux pour espérer trouver des indices sur où et comment vous retrouver aujourd’hui. Finalement, j’ai reçu une réponse sur FB de votre ancien manager Hassany [Merci à lui !]. Donc dans les crédits de ce fameux titre, il est question de Butcho, GAP, Marto et Hamidou. Et sur un autre de vos titres, « Franco », un certain Angelo rappe. Du coup, qui compose le Soosol et comment tout a commencé ?
Marto : Au début on était avec Hamidou, un ami à moi qui s’appelle Butcho et GAP. Après avoir sorti un maxi en 1999, Butcho et moi on a quitté le groupe. Lui [Désignant l’Angelo, NDR] a repris le groupe avec GAP, ils ont fait des festivals, des concerts.
L’Angelo : On a continué à deux. J’ai commencé par faire les backs, puis j’ai intégré le groupe. La structure est restée pareil avec Hamidou ingénieur son. Sauf que Marto et Butcho ont arrêté comme dans beaucoup d’histoires liées au rap. Ils ont fait de grosses fondations quand même avec « Session 1 ». Nous, de notre côté, on était arrivé en final d’un concours contre Pierpoljack, mais on a perdu. Celui qui gagnait pouvait sortir son album. Bon, en 2005 on a quand même sorti le EP « Pré History ». Et puis on a tourné aussi le clip de « Franco » qui est devenu l’hymne du quartier. C’est So qui a produit le son. C’était son premier instru, il était dans la classe de mon petit frère et il nous a demandé s’il pouvait tester cette instru sur nous.

R : Maintenant avec le recul, comment voyez-vous cette période au cours de laquelle vous rappiez, mais vous n’avez pas explosé en dehors de Marseille ?
M : En fait on ne voyait pas ça comme un métier. On ne pensait pas à l’argent, à être des stars. C’était que pour le plaisir. On rappait parce qu’on aimait trop ça.
L’A : On faisait des concerts au studio. On enregistrait dans la nuit quatre ou cinq morceaux, des méchants trucs. Mais on les laissait traîner. On a peut-être eu tort, on aurait pu faire des choses. En plus on était, si je ne me trompe pas, le premier studio des Quartiers Nords. Donc tout le monde, dont les Psy4, venait enregistrer ici. Même Akhenaton dédicaçait B.Vice à l’époque. La Savine, c’était l’Amérique un peu : Rap, Basket, Hip Hop, danse. Ça n’a pas changé. Tout le monde rappe à La Savine.

On ne pensait pas à l’argent, à être des stars. C’était que pour le plaisir. On rappait parce qu’on aimait trop ça. 

R : Je me souviens qu’il y avait quelqu’un d’autre qui représentait La Savine dans ses textes, c’est l’Algerino époque « Les derniers seront les premiers » [1er album solo de l’Algerino paru en 2005, NDR]. La pochette est rouge dans mes souvenirs… 
L’A :… Celleavec les yeux ? Il mettait en valeur ses yeux verts. C’était le seul de La Savine avec des yeux verts [Rires]. Oui il est d’ici. Lui il a compris le côté business, nous on avait pas ça. On était trop under, dans une époque anti-flic, je ne te le cache pas. On ne voulait pas que nos titres passent à Skyrock. Nous on faisait radio galère, radio machin, radio Gazelle, des radios que t’y entends même pas tellement ça grésille [Rires]. Tu ne peux pas passer « Franco » à la radio… mais on ne voulait pas changer, je te dis la vérité. Je me rappelle d’une anecdote avec Hassany : On devait commencer à travailler sur un projet promo pour faire de la pub en vue d’un 2e projet. Les gens à la production voulaient qu’on rajoute des chanteuses aux refrains, qu’on retouche le truc. Ça ne nous a pas plu. Mon collègue Karim (GAP) c’était pareil. On était bête peut-être, on aurait pu gagner nos vies si on avait changé. Mais nous, on aimait bien faire des morceaux pour la scène où on débarquait à quarante ! Sur certaines scènes on se disputait avec les managers parce qu’on voulait plus de monde en backstage : « Y a du monde au quartier, il ne faut pas qu’ils paient » — « Eh ouais, mais… ». On était trop dans le ghetto.
M : En fait on aime bien l’unité, on aime quand il y a tout le monde, comme aujourd’hui. C’est là que l’on se sent le mieux. On représente comme on dit.

La pochette avec les yeux de l’Algerino

R : Vous continuez à rapper ?
L’A : Dans ma salle de bain, sous la douche…
M : Ça doit faire dix ans que je n’ai pas écrit un texte… en fait aujourd’hui, il n’y a rien pour nous motiver. Parce qu’avant quand on écoutait du rap, on avait envie de rapper nous aussi ! Ça nous donnait envie de faire de la musique.
L’A : Et on écoutait beaucoup les américains ! Moi j’aimais bien les textes français et le délire américain. Nous on a vécu l’âge d’or du rap, quatre-vingt-dix-huit. Je me rappelle, avant on mettait une journée pour écrire un texte. Aujourd’hui certains rappeurs écrivent sans verbes…
M :… « Qatar, Neymar » !
L’A : J’ai fait écouter la Fonky Family et le Rat Luciano à des jeunes de 18 ans, ils m’ont dit : « Ils m’endorment les mecs ». Et ils ne font plus l’effort de comprendre ce qu’ils disent. Moi par exemple, j’ai mis du temps à comprendre que dans « Chez le mac », IAM parlait de leurs rimes !
M : « 26 lettres, 100 000 mots à son service ! » [Rires] Je me souviens qu’Hassany m’avait inscrit à un atelier d’écriture à la Friche [Espace culturel situé à la Belle de Mai regroupant des lieux de travail artistiques et culturels, des salles de spectacle et d’exposition, NDR] avec Fabe et Koma.

Je me rappelle, avant on mettait une journée pour écrire un texte. Aujourd’hui, certains rappeurs écrivent sans verbes…

R : Qui sont pour vous les patrons du rap, à tout jamais ?
M : Les meilleurs, ça reste les Supreme NTM. Ils te chantent le chaos d’une génération, ils s’appellent NTM et ils vendent des disques dans toute la France. Ce n’était pas du streaming à l’époque.
L’A : En concert, c’est toujours puissant. Joey Starr c’est un monstre…

R : Et IAM, nan ?
L’A : IAM c’est IAM, ce sont des patrons de la rime, des philosophes… [marquant une pause] T’y a pas compris ce qu’il veut te dire… on a grandi ici, au quartier. On se reconnaissait plus dans NTM — casquettes en arrière-, « Nique la Police » —, parce que nous on tirait sur la police ; que dans les concerts de IAM aux pyramides [Rires]. On va dire IAM pour le côté « philosophe » et NTM pour le côté « rue ».

Par Marty Macfly

Merci à Hassany, l’Angelo et Marto pour leur disponibilité et leur accueil.