La scène rap n’a jamais été aussi riche. Les talents émergent, les projets se multiplient, le public suit. Pourtant, il semblerait que la critique sincère ait disparu. Entre silences complaisants et lectures biaisées, on se dit que le rap manque peut-être moins de reconnaissance que d’exigence…
Le problème ne serait donc pas que le rap va mal. Le problème c’est que tout le monde fait comme s’il allait bien. Par loyauté ou inconfort on évite de dire qu’un texte est merdique, que la prod est claquée, que le couplet ne fonctionne pas. On partage des sons faibles, on like sans écouter, on valide par réflexe, ou par fidélité peut-être, mais surtout par peur de dire la vérité. On dit que c’est lourd même quand ça ne l’est pas. On préfère protéger les egos que provoquer l’éveil, alors on s’interdit de dire ce que l’on pense. Résultat des morceaux validés par amitié mais inaudibles.
Une indulgence qui tue plus de carrières que la malveillance mais surtout, c’est toute la scène rap qui s’asphyxie dans cette bienveillance toxique. Autour des artistes, toute critique a disparu, on ne demande plus d’avis, seulement de la force. Le soutien remplace la sincérité, le like remplace l’analyse. Et si un morceau plafonne à quelques centaines de vues, ils accuseront l’algorithme, le système, le manque de soutien… jamais le morceau lui-même. Pourtant la vérité est souvent simple, si personne ne clique ce n’est pas un complot, c’est que le son n’est pas bon. Ce n’est pas nous qui n’étions pas prêts, c’était le morceau. Mais personne n’a osé leur dire avant qu’il sorte.
Cette absence de critique objective ne se limite pas aux proches. Elle touche tout l’écosystème critique du rap. La parole médiatique est souvent confisquée par des voix extérieures à notre culture, des regards qui s’approprient des codes en cherchant à imposer des critères qui ne sont pas les nôtres. Ils veulent du rap qui répondent à leurs standards, qui fait du clic, qui fera bien dans leurs colonnes et surtout qui coche les bonnes cases. Du rap validé de l’extérieur, pour l’extérieur. Par nous, pour eux. Le piège est double, des proches qui mentent par confort, des critiques qui jugent selon des codes étrangers et au milieu, des artistes qui ne progressent plus, qui tournent en rond et qui à force, finiront par s’éteindre.
Ce qu’il faut ce n’est pas plus de soutien, plus de partages, plus de likes. C’est plus de lucidité, surtout de la part des proches, ceux qui sont là dès le début. Un vrai ami dit quand c’est mauvais. Une scène vivante produit de la critique, pas de la diplomatie. Une culture qui se respecte accepte de se relire, de refaire, de recommencer. L’idée n’est pas d’encourager une critique brutale de hater mais de retrouver une parole sincère, exigeante et constructive. Dire qu’un morceau est mauvais, ce n’est pas trahir une amitié, c’est la respecter. L’exigence est une forme d’amour que l’on doit au rap alors reprenons le droit de critiquer sincèrement.
Notre culture n’a pas besoin d’être encouragé aveuglément comme un enfant qui ferait ses premiers pas. Elle a besoin d’être confronté, pas pour être détruite, mais pour redevenir ce qu’elle était, pour se dépasser.
Mr Seavers