Si on ne se souvient pas exactement de la première fois qu’on l’a entendu à la radio, on se souvient bien de sa voix, son accent et surtout de cette question que l’on se posait : « Mais c’est qui ce mec qui se la raconte avec son accent ricain sur Couleur3 ? ».
À l’époque, il n’y avait ni réseaux sociaux ni même Internet pour vérifier. L’information mettait du temps à circuler, encore plus quand tu étais paumé dans les Montagnes neuchâteloises. Du coup, pendant un moment, beaucoup ont cru que Baby Blu jouait un rôle. Pire, qu’il surjouait l’Américain pour faire le malin. Ça a peut-être joué contre lui au départ mais la vérité a fini par arriver, par s’imposer. Non, ce n’était pas une posture, le type venait vraiment des States. Il y avait grandi, il parlait cette langue et surtout, il connaissait et respectait cette culture parce qu’il la vivait.

Le parcours de Baby Blu commence à Bâle pour sa naissance mais surtout en Californie, où il grandit au début des années 80. Dans les quartiers de San Francisco, il observe, il apprend. Le break, le funk, la rue, le rap. Il prend en pleine face cette énergie brute d’une culture en train d’éclore. On imagine sans peine le choc, retour forcé en Suisse, adolescent perdu dans un petit bled vaudois… Mais c’est précisément dans ce décalage que tout va se jouer. Au début des années 90 le Hiphop émerge en Suisse. Baby Blu rappe, anime, interviewe, improvise. Il est partout et, à force, il devient indispensable. Les artistes sentent qu’il parle leur langue, qu’il partage cette même passion. Mais surtout qu’il n’est pas là pour se servir mais pour servir la culture. C’est dans ce terreau qui vont naître Les grandes aventures de Baby Blu.

Un livre à l’image de son auteur : dense, sincère mais surtout profondément humain. Plus de trente ans d’interviews, d’anecdotes et de fragments de vie, racontés à hauteur d’homme, là où le Hiphop se construisait vraiment, pas entre deux flûtes de champagne. On y retrouve cette énergie qui a fait le succès de Downtown Boogie, quand l’émission faisait office de boussole pour toute une génération. Baby Blu n’a jamais prétendu être journaliste, il n’a jamais cherché ce type de validation. Il avance à l’instinct, à la passion et surtout avec pas mal d’audace, un anglais impeccable et un sens de la débrouille que seul le Hiphop peut créer… Chuck ouvrait aussi facilement les portes que l’âme des artistes, qui trouvaient, entre deux clichés sur la Suisse, un passionné qui les connaissait, qui savait leur parler.

Loin d’être un autoportrait à sa gloire, son livre est un manuel de survie culturelle. Il nous sert des shoots de culture qui viennent réveiller la passion. On l’ouvre au hasard, on choisit un nom ou on le laisse venir à soi. On profite. On se souvient. Du cherry-picking culturel qui nous fait du bien. Même pas besoin d’aimer tous les artistes, parfois les anecdotes sont meilleures que leur musique. Parce que Blu réussit ce tour de force, rendre passionnants des parcours qu’on pensait secondaire, rappeler que derrière chaque disque, même moyen, se cache une époque, un contexte, une histoire.

Et ce n’est pas un hasard si les retours les plus justes viennent de ceux qui étaient là. De ses pairs, des passionnés. Beaucoup, comme nous, le disent, ce livre c’est un grenier, rempli de trésors, de souvenirs accumulés au fil des années. Il nous permet de revivre notre âge d’or du Hiphop comme si l’on y était encore. Chaque page est comme un rappel de moments clés, ceux vécus ensemble et ceux vécus chacun de son côté, avec la même passion, à une époque où l’on voulait juste vivre le Hiphop, loin de l’idée de vivre du Hiphop.

Et ce qui frappe, au final, ce n’est pas la liste des noms. C’est cette simplicité qui marquait notre culture. Pas des stars, encore moins des idoles. Des passionnés, des humains qui partagent. Des piliers de notre culture que Baby Blu nous a rendus accessible, d’abord en écoutant ses interviews à la radio puis, pour nous média spécialisé, par toutes les portes qu’il a laissées ouvertes derrière lui. Tous ces artistes qu’il a marqués par sa culture, qu’il nous a indirectement permis d’approcher, car « c’est OK pour l’interview, en Suisse ils savent de quoi ils parlent ». Alors on en profite pour te dire merci Chuck, parce que sans toi on n’aurait pas vécu nos grandes aventures de la même manière.

Et toi qui nous lis, va acheter ce livre. Car ce n’est pas juste une compilation d’anecdotes, c’est une déclaration d’amour. Un rappel que la culture survit grâce à celles et ceux qui prennent le temps de la documenter quand personne ne le demande. Parce que Les grandes aventures de Baby Blu c’est le genre de livre qu’on ne referme jamais vraiment, de ceux qu’on garde à portée de main, en cas de besoin.

Mr Seavers

Les grandes aventures de Baby Blu, Mémoires d’un sérial intervieweur rap et hip hop, Éditions Airelles est disponible un peu partout, par exemple chez Payot.ch ou Fnac.ch