Si ce nom vous est inconnu, alors courrez dans la librairie la plus proche et achetez au moins une oeuvre d’une des plus belle plume que la Suisse Romande ait connu. Ait connu parce que Monsieur Jacques Chessex (Prix Goncourt 1973) est décédé hier à Yverdon, lors d’une conférence. Voilà pour la courte introduction, pour le reste je vous laisse en compagnie de l’excellent article écrit par Jean-Louis Kuffer dans le 24 Heures.
Ecrivain hors norme, personnage forcené
L’œuvre de Jacques Chessex est incontestablement, avec celles d’Alice Rivaz, de Maurice Chappaz ou de Georges Haldas, l’une des plus marquantes de la littérature romande du XXe siècle. Or ce qui saisit, chez cet écrivain possédé par le démon de la littérature, est sa capacité de rebondir, de se rafraîchir et d’entretenir un véritable jaillissement créateur continu.
L’homme lui-même avait quelque chose de la légende vivante. La querelle, l’invective dans les cafés et les journaux, voire la bagarre à poings nus, n’auront point trouvé de représentant plus acharné. Il y avait du forcené en Jacques Chessex, pour le pire autant que pour le meilleur. Rien de ce qui est écrit ne lui était étranger. Chessex était écrivain sans discontinuer et depuis toujours, à ce qu’il semble, à l’imitation d’un père fou de mots avant lui (Pierre Chessex, spécialiste des étymologies). Toute sa vie sera mise en mots et sa carrière d’homme de lettres fit l’objet d’une stratégie tissée de plans et de calculs, de flatteries et de rejets, d’avancées sensationnelles (le premier Goncourt romand, en 1973) et de faux pas signalant la passion désordonnée d’un grand inquiet peu porté à s’attarder dans les mondanités.
Jacques Chessex s’est portraituré maintes fois en renard, et c’est en effet la figure de bestiaire qui lui convient le mieux, rapportant tout au butin de son œuvre. Celle-ci n’a rien pour autant de statique ni de prévisible: elle impressionne au contraire par son évolution constante et sa graduelle accession à une liberté d’écriture aux merveilleuses échappées.
L’œuvre de Jacques Chessex (né en 1934) tire l’essentiel de sa dramaturgie et de sa thématique d’un scénario existentiel marqué par le suicide du père, évoqué et réinterprété à d’innombrables reprises. Cette œuvre procède à la fois d’un noyau poétique et d’un travail sans relâche. Dès la parution du premier de ses recueils, l’année de ses 20 ans, le jeune poète se montre à la fois personnel, déterminé et bien conseillé, visant aussitôt la double reconnaissance romande et parisienne. Après quatre premiers recueils de poèmes qui s’inscrivent sans heurts sur la Toile de fond de la poésie romande, l’écrivain va s’affirmer plus nettement dans les récits de La tête ouverte, publié chez Gallimard en 1962, et surtout avec La confession du pasteur Burg, chez Bourgois, qui amorce la série des variations romanesques sur quelques thèmes obsessionnels, à commencer par celui de l’opposition de l’homme de désir et des lois morales ou sociales. De facture plutôt classique, La confession du pasteur Burg représente le premier avatar d’un ensemble romanesque qui «tourne» essentiellement autour d’un protagoniste masculin constituant la projection de l’auteur. La cristallisation sera la plus dense dans Jonas, grand livre de l’expérience alcoolique, mais le romancier saura rebondir parfois à l’écart de l’autofiction, comme Le rêve de Voltaire l’illustre de la manière la plus heureuse. Ce qui nous paraît en revanche limité, chez le Chessex romancier, tient au développement des personnages et surtout des figures féminines, qui relèvent plus du type que de la personne intéressante en tant que telle. L’ogre, consacré par le Prix Goncourt en 1973, ne fait pas exception.
A l’évidence, et de son propre aveu d’ailleurs, Jacques Chessex a conçu son œuvre comme une suite de batailles, et le lui reprocher serait vain. A cet égard, ses «romans Grasset» ont sans doute compté pour l’essentiel dans la reconnaissance de Jacques Chessex par la France.
L’auteur n’a cessé, pourtant, de creuser plusieurs sillons, en alternance ou simultanément: la poésie, rassemblée chez Bernard Campiche en 1999; le roman ou les nouvelles, dont certains recueils (Où vont mourir les oiseaux ou La saison des morts ) comptent parmi les plus belles pages de l’auteur; les proses, autobiographiques le plus souvent, mais tissées de digressions, et les portraits constituant un autre aspect du grand art de Chessex, du fameux Portrait des Vaudois à L’imparfait si délié dans sa libre inspiration et respiration, ou de Carabas à l’admirable Désir de Dieu ; enfin, de nombreux essais, dont un Charles-Albert Cingria qui a fait date et un très remarquable Flaubert, Les saintes écritures consacrées aux auteurs romands et nettement plus datées, entre autres écrits sur des peintres et autres lieux. Plus récemment, les ouvrages plébiscités par le grand public, du Vampire de Ropraz à Un Juif pour l’exemple, en passant par le remarquable Pardon mère .
par JEAN-LOUIS KUFFER (sur le site 24heures.ch):
Perso, je vais pas le regretter.