Sophia Nous Présente Extra-Lucide De Disiz

2009, Disiz La Peste signe « Disiz The End » qu’il annonce comme le mot de la fin de son aventure rap. En 2010, il se métamorphose en créature rock portant le nom de Peter Punk. L’expérience n’est pas commercialement concluante, mais humainement et musicalement enrichissante. Depuis, silence radio. Puis, le 11 mars 2012, il réapparaît. Émancipé de l’étiquette « La Peste », Disiz se présente dans une forme métissée à mi-chemin entre La Peste et Peter Punk. Il sort alors « Lucide », un EP qui marque son retour dans le rap. Pourquoi ce retour ? Petit flashback en cliquant ici pour avoir la réponse. Ces 7 titres reflètent les saveurs nouvelles qui accueillent le rap de Disiz. Il y parle du rap et dévoile la couleur de l’univers qui abrite une renaissance qui s’enracinera définitivement dans la planète hiphop avec la sortie d’« Extra-Lucide » au mois d’octobre dernier.

Là où « Lucide » parlait de rap, « Extra-Lucide » n’en parle pas. Disiz y distille la vie, les méandres de la société, les défis de la paternité sans oublier quelques touches de légèreté. Ce nouvel album s’ouvre sur « Coda Vide » et ses quelques secondes d’instrumentation spatiale et mystique, l’univers est sombre et éclairé à la fois. Disiz pose le décor et amorce le changement dès le début. L’atmosphère musicale de cette introduction planera sur tout le reste de l’album. S’en suit « Combien de temps ? », une sorte de ras-le-bol de l’état actuel de la société. L’ambiance est toujours mystique. Le beat et le refrain sont répétitifs, comme pour illustrer les injustices trop souvent récurrentes. Les arrangements de cordes donnent une dimension de profondeur qu’on ne peut qu’apprécier. Un beat saccadé prend le relais annonce « Everything ». Le hiphop est moderne sans sombrer dans les méandres du mauvais goût qui s’invite trop souvent aux productions actuelles. Difficile de mettre des mots pour décrire cette instrumental – comme toutes celles de l’album d’ailleurs –, mais Disiz le dis lui-même : « Je ne fais pas du rap je fais du Disiz, Konitchiwa Bitches ! Petit Karaté Kid, je suis maître San, toi t’es qui ? Ça, c’est du Disiz, moi c’est tout ou rien »

Disiz nous emmène également dans des univers musicaux moins sombres. Avec « Best Day » (en feat. avec Autumn Row), il caresse des touches plus pop et plus enrichies d’instruments. Le refrain donne au morceau un aspect radiofriendly sans baisser le niveau de la production. Quelques pistes plus tard, Disiz invite Mac Miller himself pour le remix de l’excellent « Toussa Toussa ». Disiz emprunte ensuite à l’Inspecteur Gadget son générique et invite Orelsan pour une séance d’exposé de punchlines. Mesdames et Messieurs attention, ce soir sur le ring l’équipe « Go Go Gadget » sort sont plus grand jeu. « Life is Good », en fin d’album, nous surprend et nous pousse à hocher la tête et sourire sans trop prêter attention aux paroles. « Je les garde » provoque le même effet en nous. Deux beat frais et gentillet qui font du bien sur un album si éclectique.

Disiz adopte définitivement un univers spatial au beat légèrement en arrière. « Extra-Lucide » se dessine en majorité dans la profondeur. « Porté Disparu », par exemple, illustre bien cette ambiance générale. Les beats forment un hiphop sombre aux teintes électroniques et parfois rock. Les textes abordent les sujets les plus légers (« Go Go Gadget ») comme les plus sérieux, notamment avec « Porté Disparu ». Il y conte cet amour qui n’en est plus vraiment un, qui se cache derrière le matérialisme et les illusions de bonheur que cela comporte :

« Sur la toile, c’est des gros cliqueurs/Tu fais plus la cour, tu cliques/Tu fais plus l’amour tu gicles/Tu cherches une fille avec un gros Q.I., sans le I/Tu lui mens un peu, beaucoup, à la folie/Sujet, verbe, compliment/Puis te prend et te jette poliment/L’Amour précaire des smicards du cœur/Les boîtes de nuit sont les cimetières des Coeurs/Ils font la cour à des michetos/S’ennuient en club, pendant que ma go me fait des gâteaux »

Entre quelques rimes, Disiz prend la plume pour parler de ses potes et leur rendre hommage sur « Les bienveillants ». Le résultat est entraînant et agréable à l’écoute. Avec « C’est ma Tournée », Disiz nous explique qu’il veut reprendre sa place dans la planète hiphop et nous parle de sa philosophie. Exit la haine, Welcome l’amour. Là où « Les bienveillants » était un hommage à ses potes, « C’est ma Tournée » se profile comme le cadeau-hommage à son public qui risque de déployer tout ses effets en concert.

Avec « Les moyens du bord » transpose son hiphop spatiale dans les contrées de la ballade. Il commence le morceau dans un chant semi murmuré avant de retourner au rap et nous parle de notre époque, de « l’époque du vide ». « Tu brilles » inverse l’équilibre et efface presque toutes les touches spatioélectroniques de son hiphop. Le morceau est complexe mais bien produit. Un régal. Le titre éponyme de l’album, quant à lui, suit cet équilibre des genres et nous ferait presque dire que Disiz est allé se faire une cure chez Kanye West pour s’inspirer de son état d’esprit. Mais peu importe, le résultat est excellent et décroche le premier coup de cœur de l’album. Disiz décolle carrément avec les extra-terrestres pour l’instru de « Fête Foraine ». Un beat saccadé et des petits bruitages qui rappellent les musiques habillant l’arrivée des OVNIs dans les films. On accroche moins, on zappe et se dit que le hiphop spatial a atteint ses limites en ce qui nous concerne.

Puis, « Fukushima » débarque, nous réconcilie avec le style et nous offre en prime le deuxième coup de cœur de l’album. Disiz annonce le texte le plus ambitieux qu’il n’ait jamais fait. Il tire un parallèle audacieux avec l’incident de Fukushima. Changeons les choses, dit-il. Changeons la donne, soyons plus positifs et donnons plus d’amour. L’impact sera aussi puissant que Fukushima :

« Mon Coeur t’écrit ce poème que ma voix amplifie/Tu as le pouvoir nucléaire, tu peux en faire une catastrophe/Ou alors au contraire tu peux en faire quelque chose de noble/Les enfants sont purs, c’est les hommes les parasites/Les mauvaises idées gravitent autour de nous en satellite/Je te l’ai déjà dit, tu peux changer ta vie/Il te manque un ingrédient dans cette recette magnifique »

Disiz renaît avec « Extra-Lucide » et nous livre un excellent album où le hiphop ne semble plus avoir de frontières. Au niveau des textes, il livre tant son pendant de rappeur conscient que celui de rappeur punchliner. Les beats, eux, semblent avoir pris une très large longueur d’avance sur le rap français actuel. Seul l’avenir nous dira si Disiz a fait le bon pas en avant, mais on peut déjà vous dire qu’on se souviendra d’« Extra-Lucide » comme d’un album au hiphop spatialement goûteux.

Par Sophia