Shah Rick ft Jango Jack – Seul Contre Tous

Shah Rick est de cette catégorie d’artistes-artisans qui préfère, à la quantité, sortir peu de projets afin de se donner à chaque fois les moyens de faire les choses bien. Pour son dernier titre, il s’est entouré d’Yvan pour la prod ainsi que de Jango Jack pour l’accompagner au refrain de ce titre qui, comme c’est également son habitude, nous livre un message positif tout en nous interrogeant sur notre rôle dans la société. Mais avant d’aller plus loin, donnons la parole aux protagonistes…

Yvan, Shah Rick, parlez-nous de votre collaboration par rapport au morceau « Seul contre tous » ?
Yvan Peacemaker : J’ai bien aimé travailler avec Shah Rick sur ce morceau car ça a été un vrai travail d’équipe. Chacun a amené sa contribution. D’abord Shah Rick est arrivé avec sa vision de la prod. J’ai donc fait une prod dans cette direction, puis on a bossé avec Ganesh, un saxophoniste lausannois. En parallèle, Shah Rick a contacté Jango Jack qui a amené sa touche au morceau et finalement Shah Rick a posé ses couplets.
Shah Rick : Selon moi, Yvan est un des meilleurs compositeurs de musique rap en occident. Il a travaillé avec les plus grands et il a la capacité de s’adapter au fonctionnement de chacun. J’ai eu l’idée du morceau durant l’été 2013 lorsque j’étais aux USA. J’avais expliqué À Yvan quel type d’atmosphère je recherchais et je trouve qu’il a bien réussi à me comprendre. Le morceau bouge bien malgré des lyrics poussant à la réflexion. Le refrain est très bien chanté par Jango Jack. « Seul contre tous », c’est la victoire de l’opprimé sur les oppresseurs. C’est l’émancipation de l’esclave sur l’esclavagiste. Le film Django m’a, sous certains aspects, un peu inspiré sauf que, dans mon histoire, l’esclave ne se vengera pas, mais, il rétablira l’équilibre des forces avec ses mots et son savoir qui sont ses meilleures armes. Cet esclave est un héros !

Pourquoi, selon vous, l’image du rappeur délinquant et ultra riche est, à ce point, mise en avant par les Majors?
Yvan : En ce moment, les majors signent les artistes qui ont déjà du buzz, donc si ce genre de rappeur a du buzz avant d’être signé, c’est que le public l’a plébiscité et donc c’est plutôt les gens qui veulent ça et les majors suivent.
Shah Rick : Personnellement, j’ai un avis assez critique face à la philosophie des majors lorsqu’elles s’alignent sur certaines normes similaires à celles de Hollywood : flingues, drogue, femmes à poil… Pour moi, lorsque les majors mettent en avant certains artistes, soi-disant subversifs ou qui font le buzz, il s’agit en fait de la mise en avant d’une forme d’« opposition contrôlée » par le système. Ces artistes s’opposent à certaines valeurs jugées conservatrices en s’exposant de manière étrange. Les petites filles pensent que, pour se faire apprécier des petits gars de leur âge, il faut avoir des attitudes à la Beyoncé ou à la Rhianna. Les gars pensent que, pour se faire respecter, ils doivent parler comme les caïds de la banlieue parisienne alors que la réalité économicosociale de la Suisse n’est, pour l’instant, pas la même. Tout ça devient ridicule, mais ceci est fait délibérément et dans une logique commerciale, d’où la notion d’« opposition contrôlée ». Les gens sont esclaves de cet ultralibéralisme, mais, surtout, esclaves de leur propre ignorance. En 2014, la subversion ne se trouve plus dans les flingues, la drogue et les femmes à poil, mais dans le fait que l’esclave se libère de ses chaînes.

Le rap des origines était une musique émancipatrice qui se donnait pour objectif de viser à une certaine autonomie sociale des populations noires. Aujourd’hui le rap est plutôt associé à l’ultralibéralisme et est accusé d’avoir retardé l’intégration sociale des jeunes d’origine immigrée en Europe. Quel est votre regard sur l’évolution du rap, des années 80 à aujourd’hui?

Yvan : Vaste question qui mériterait quelques pages pour répondre. En gros, je ne pense pas que le rap c’était mieux avant. En ce moment, il y a énormément de styles de raps différents, il y en a vraiment pour tous les goûts, il faut juste prendre le temps de chercher un peu.
Shah Rick : Je suis d’accord avec Yvan dans le fait qu’il existe plusieurs genres de raps. On a le rap et le rap game depuis quelques années alors qu’au départ, on n’avait que le rap. Certains hommes d’affaires ont su flairer le filon et ont choisi d’investir dans ce qui deviendra commercialisable. Ce type de rap commercial est sympa mais va-t-il, sur le long terme, réellement apporter quelque chose ? Je pense que le secret se trouve dans la recherche de l’équilibre et, grâce à internet, toutes les possibilités sont à présent ouvertes pour partir à la découverte de nouveautés.

interview réalisée par Alimuddin Usmani