Le Paléo. A la seule évocation de ce nom, la Suisse romande dans son ensemble – et même au-delà – sait de quoi on parle. La grand’messe annuelle de la musique, sur la Plaine de l’Asse, ses têtes d’affiche, ses découvertes, ses innombrables stands food, son camping, sa boue légendaire… Mais saviez-vous que Paléo c’est l’histoire d’une bande de potes qui a mis sur pied un événement musical, en 1976, lequel s’appelait alors le First Folk Festival, puis le Nyon Folk Festival et enfin le Paléo Folk Festival pour devenir, en 1986, le Paléo Festival Nyon que nous connaissons aujourd’hui ? Nul besoin d’une méticuleuse analyse pour comprendre que le courant qui animait alors l’équipe fondatrice était la musique folk. « Au départ, on faisait ce qu’on aimait et on espérait qu’il y aurait assez de monde qui aimerait aussi », nous confie Daniel Rossellat, fondateur et président du Paléo.

Mais le Paléo est un événement résolument éclectique, un peu touche-à-tout, et sa programmation a bien évidemment évolué au gré des tendances, faisant dans un premier temps la part belle au rock, à son mouvement contestataire, mais pas seulement. Daniel Rossellat explique : « la musique a toujours été un facteur identitaire fort, notamment entre la jeunesse et les parents. La jeunesse s’est toujours retrouvée dans un mouvement que les parents ne comprenaient pas. Par exemple, le premier disque que j’ai acheté, c’était « Michelle » des Beatles qui paraît aujourd’hui très douce, eh bien mon père m’avait dit « c’est quoi ces sauvages !? ». Et puis, on a eu une période, notamment avec le rock, qui a vu des artistes rassemblant plusieurs générations : les Rolling Stones, U2, Bruce Springsteen ou Paul Mac Cartney que les parents et les enfants allaient voir.

Le rap y est apparu timidement avec MC Solaar en 1992 (puis en 1995 et en 1998), suivi par IAM en 1994 (puis en 1997, en 1998, en 2004, en 2008, puis en…), et NTM en 1996. Ces trois artistes, figures de proue du mouvement hip-hop en France, ont alors été les cautions rap du festival jusqu’en 2004, année à partir de laquelle le Paléo a élargi ses horizons dans la musique urbaine, ne pouvant ignorer l’essor commercial du rap et de ses courants dérivés. Se sont alors succédé dans la programmation du festival, des artistes comme Diam’s, Psy 4 de la Rime, Stress, Oxmo Puccino, Wax Tailor, Keny Arkana, Stromae, Orelsan, Stupeflip, Youssoupha, Dizzee Rascal, M.I.A, Kery James, Soprano, Bigflo & Oli, MHD, Vald… Que du beau monde ! Principalement des artistes francophones et en dose homéopathique, étalée sur une quinzaine d’années, jusqu’en 2018.

Car 2018, c’est l’année du tournant, celle du passage de témoin. Pour la première fois de son histoire, le Paléo a massivement programmé du rap: durant les quatre derniers jours, ce sont quatre artistes rap de gros calibre qui se sont succédé sur la grande scène  (Nekfeu, Orelsan, BigFlo & Oli, NTM) et trois pour la désormais regrettée scène des Arches (Romeo Elvis, Lorenzo, Rilès), sans oublier Lonepsi et les Genevois Danitsa et XTRM Tour pour ne citer qu’eux. Paléo 2018, ce fut l’opposition entre les concerts rock au public captivé mais passif face au spectacle de Dépêche Mode, Lenny Kravitz, Indochine d’une part, et les poids-lourds du rap précités qui auront mis le feu, d’autre part. Entre Nekfeu qui a fait sauter d’un seul homme les 30’000 personnes présentes du premier rang aux loges sponsors, au sommet de la colline et Lorenzo qui aura offert le meilleur moment rock du Paleo 2018, en accompagnant son utlime Freestyle du sale d’une guitare électrique entraînant naturellement 3 minutes d’un intense pogo comme la Plaine de l’Asse ne l’avait plus vécu de longue date.

Poursuivant dans la tendance et pour nous, subjectivement dans la bonne direction, Paléo persiste et signe en 2019 en proposant des artistes rap majeurs et d’autres en devenir, offrant ainsi une programmation actuelle et cohérente aux amateurs de hip-hop. D’un rap tout public qui aura fait la « Pleine de l’Asse » avec Soprano, Lomepal et Dadju à un rap plus typé avec Damso, Youssoupha, Moha la Squale, Caballero & Jeanjass, Columbine en passant par des artistes au succès grandissant comme Jazzy Bazz, Gringe, Makala et la découverte des canadiens de Dead Obies, le voyage en trois soirée fut somptueux. Et à lui seul, le coup de cœur de cet été, Loud sur la scène du Dôme valait le déplacement.

Paléo Festival assume son rôle de grosse cylindrée dans le paysage des festivals romands et passe en revue de manière efficace le catalogue des artistes rap du moment, sans pour autant oublier les autres courants musicaux. On attend avec impatience la programmation de l’édition 2020 sur un site revisité de Paléo avec une nouvelle scène pour remplacer celle des Arches qui disparaît pour laisser place à un hangar permanent des CFF et un nouvel espace culturel dès l’entrée du festival. A notre grande satisfaction, Nyon s’impose de plus en plus comme une étape majeure de la grande tournée du rap (f)estival.

Texte de Sadri, photo de L.Reichenbach aka Loorent Pointcom pour le Paléo