L’affaire remonte à 2009, on est alors en pleine campagne sur l’initiative contre les minarets lorsque le président des Jeunes UDC de Thurgovie déclare qu’il « était temps de mettre fin à l’extension de l’islam », ajoutant que « la culture suisse, dont le fondement est le christianisme, ne devrait pas se laisser supplanter par d’autres cultures », « L’interdiction des minarets est dans ce sens un signe symbolique de notre volonté de préserver notre identité ». La Fondation contre le racisme et l’antisémitisme (GRA) qualifiant alors sur son site ces propos de « racisme verbal », une dénomination qui n’a pas plu à Benjamin Kasper qui exige de la GRA qu’elle retire ce commentaire. La GRA refuse, Benjamin Kasper dépose alors une plainte civile contre la fondation en août 2010 pour atteinte à la personnalité, plainte rejetée par le tribunal de district de Frauenfeld en 2011.

On aurait pu en rester là, mais Benjamin Kasper n’a vraiment pas supporté d’être traité de raciste, se sentant insulté, il fait recours et gagne. Le Tribunal cantonal thurgovien se prononçant en sa faveur et interdisant à la GRA de maintenir son commentaire. Un jugement confirmé par le Tribunal fédéral qui a estimé que « celui qui se prononce, sans jugement de valeurs, contre l’extension de l’islam en Suisse n’est pas raciste », donnant ainsi raison à Benjamin Kasper. En qualifiant de « racisme verbal » les propos du politicien thurgovien, la GRA a portée une atteinte civile illicite à son honneur. Il est donc illicite de dire d’un politicien qu’il tient des propos verbalement racistes, quand bien même ceux-ci sont sans ambiguïté et laissent peu de place à une autre interprétation, une belle victoire pour les ardents défenseurs de la liberté d’expression que sont les UDC. On peut donc tout dire, mais uniquement quand cela va dans leur sens, une liberté qui n’est bonne que lorsqu’elle heurte les « bien-pensants » que nous sommes.

Ce n’est en tout cas pas l’avis de la Cour européenne des droits humains qui, saisie par la GRA, vient de condamner la Suisse pour avoir violé le droit à la liberté d’expression. En effet, La Cour estime que dans le contexte du débat sur l’initiative contre les minarets et « au travers du prisme de rapports publiés par divers organismes de défense des droits », l’utilisation des mots « racisme verbal » par la GRA « n’était pas dénuée de fondement factuel » et c’est à l’unanimité qu’elle déclare qu’il y a eu violation de la liberté d’expression au sens de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Par ailleurs, la GRA « n’a jamais suggéré que les déclarations » du politicien « pouvaient être considérées comme relevant du droit pénal en vertu de la législation nationale sur la discrimination raciale ». Les actes de la GRA n’ont en outre « pas constitué une attaque gratuite contre la personne » de Benjamin Kasper « ni une insulte » à son égard.
La CEDH souligne encore que le président des Jeunes UDC de Thurgovie est un « acteur de la vie politique » s’étant déclaré en faveur de l’interdiction des minarets. C’est la raison pour laquelle il « devait faire preuve d’un degré supérieur de tolérance à l’égard des critiques éventuellement formulées par des personnes ou des organisations professant des opinions opposées aux siennes ».
La sanction imposée à la GRA « aurait aussi pu produire un effet dissuasif sur la liberté d’expression de celle-ci », souligne la CEDH. Les juridictions suisses « n’ont pas dûment pris en considération les principes et critères énoncés dans la jurisprudence de la Cour pour la mise en balance du droit au respect de la vie privée et du droit à la liberté d’expression, outrepassant ainsi leur marge de manœuvre ».

Il est donc légal de dire qu’un propos est verbalement raciste et c’est dans ce sens que la Suisse a été condamnée par la CEDH et non pas pour racisme comme on pouvait le lire dans la titraille de certains journaux.

(rpZ/ats)