Il est de bon ton d’avertir le lecteur : deux chroniques sont concernées par le vocable « Marekage Streetz », mais elles seront traitées séparément. Il est donc indispensable de se rappeler au bon souvenir du groupe, auquel Mr. Bil appartient, en ouverture de ce billet.
L’aube des années 2000 marque un tournant décisif pour le rap français. Les vécus dramatiques en milieu urbain (réels ou fantasmés) que la pudeur taisait jusqu’alors, garnissent désormais les cahiers de rimes d’innombrables mc’s. Le choc est brutal. Cyniques, fatalistes ou simplement réalistes, les récits écrits sont crus. La tendance frappera de plein fouet la Suisse romande avec un temps de retard sur la France, elle-même décalée (« A Paris, c’est comme aux States, mais enlève au moins dix ans », disait l’autre). Ainsi Marekage Streetz émerge à Genève en 2004, entre la Jonction et Plainpalais, portant haut l’étendard du rap de rue (« Salive empoisonnée, langue amère » disaient encore d’autres). Ça rappe dur, bien, et le groupe se retrouve rapidement mis sur orbite, la tête dans les étoiles. Profondément citadin, il représente une frange de la population sous-prolétarienne du centre-ville genevois. Casper est de ceux-là.
Mais onze ans plus tard, que reste-t-il de Mr. Bil ? À part les références américaines de trentenaire ? « Je smile, je sers la main après je té-ma les sneakers/je shoote mon paquet de Camel dans la poubelle, un « tchouf » mec, genre 3 points comme Reggie Miller/le pourcentage de chances qu’on ait la même baraque que le frère à Percy Miller est aussi petit que Chauncey Billups (aha)/Mais pas grave, c’est le karma/Moi j’fais ma vie entouré de 2,3 amis sûrs/ des bras droits comme Scottie Pippen. »
L’homme a changé, il le fait savoir en intro : « J’ai mis du temps à me détacher de c’ptit train de vie/ dérapage, j’ai mis le frein vite ». Alors comme s’il fallait chanter les louanges du bitume une dernière fois, transmettre une énième preuve d’amour au béton, le mc s’exécute en intitulant sa mixtape « Centre Ville ». Une autre façon de clore un chapitre de sa vie. Servi par une plume solide, le rappeur rappelle les meilleures heures de l’auteur évoqué plus haut. Tout a été dit, mais il y a la manière. Un constat sur l’époque ? Bil l’établit en quelques mots : « La jeunesse aime la violence/Youri Orlov c’est le marchand d’sable ». Un débat sur l’identité nationale ? Désamorcé en une ligne : « À part le passeport et la montre j’me sens pas vachement suisse/mais j’suis salement Bil ». La fracture sociale rive gauche-rive droite ? Résumée en une formule : « La moitié de la ville me déteste/l’autre moitié me sample ». L’illégalité ? Abordée sous un autre angle : « J’aimerais rouler dans ta Porsche, mais pas à n’importe quel prix/non merci, briller 3 mois pour qu’on casse ma porte avec une amende à 7 chiffres ». Vrai qu’il rappe comme personne et tutoie toujours les sommets du game genevois. Quand (B)il arrive, ils crient tous tout bas « Monsieur Bil ».
 
par Skywalk

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