L'itw rpZ Steve Nomad

Blaze: Steve Nomad
Date de naissance: 28.12.1962
Ville: Berne
Discographie:
Un monde à refaire (2009)
Gens de rien (2013)
Liens: www.stevenomad.ch

 

Pourrais-tu nous décrire, en quelques mots, qui tu es et décrire ton travail et
ton parcours ?

Vu mon âge, mon parcours déborderait largement le cadre de cet interview. Je préfère me limiter à l’essentiel : je suis valaisan, j’ai grandi à Genève (dans le 12-13) et suis exilé depuis 22 ans à Berne. Là, j’ai une petite boîte qui fait de la direction de projets. Je suis un vrai hyperactif et je mène parallèlement et à fond mon boulot, ma carrière musicale, ma passion du football et des études de droit qui sont les troisièmes que je suis.

Qu’est-ce qui t’a amené à faire de la musique ?
En fait, la musique a toujours fait partie de mon univers, mais je me suis acheté ma première guitare à 28 ans seulement. J’ai pris quelques cours et depuis, j’ai toujours une gratte avec moi. J’en ai même une au bureau et j’ai l’habitude d’en jouer pendant les pauses, pour me détendre ou pour chercher une idée de titre. Mais c’est bien plus tard, il y a 8 ans maintenant, que je me suis vraiment lancé là-dedans. C’est devenu du jour au lendemain une vraie nécessité et depuis ça, je n’ai pas passé beaucoup de jours sans y travailler.

Pourquoi avoir choisi le rap ?
Tout d’abord, il faut dire que par rapport à ce que je fais, les avis divergent. Moi je dis que je fais du rap, à ma manière, mais j’entends souvent dire que ça n’en est pas. Et je m’en fous totalement au fond. Je n’ai d’ailleurs pas choisi le rap mais le texte. Je suis venu au rap par les mots. Mes influences musicales remontent à une époque où le rap n’existait pas. J’aimais tout particulièrement la chanson française et le rock, français surtout. J’ai été bercé de Téléphone, de Lavilliers, de Goldman ou de Berger, de Gainsbourg, des Stones bien sûr, de Dire Straits, Supertramp, Toto, Pink Floyd et de tant d’autres. J’ai commencé par écrire des textes. Et comme j’avais beaucoup à dire, le rap s’est imposé naturellement, parce qu’il me laissait plus de liberté pour mes mots. En plus, comme j’ai une écriture très figurative, cela collait mieux au rap qu’à la chanson. Mais en fait, je n’aime pas les carcans et n’ai pas envie d’être prisonnier d’un style, d’un modèle de pensée ou d’une culture. C’est d’ailleurs probablement ce qui me pousse à ne pas tenter d’entrer totalement dans le style. J’ai toujours dit vouloir un pied dedans, pas plus. Ça me suffit. Je fais ma musique selon mon inspiration et mon ressenti du moment. Des fois, j’ai envie de faire quelque chose plutôt rappé, d’autres fois, j’ai envie de faire une chanson ou un bon rock. D’ailleurs, après mon deuxième album qui va sortir dans quelques semaines, je vais certainement faire quelques titres totalement acoustiques, avec juste la voix, chantée ou rappée, et la guitare. Il y a quelque temps aussi, j’ai composé une vraie ballade hard rock et on la jouera sur scène dès que j’aurai les paroles. Il y a tellement de trucs intéressants, d’autres à inventer, à expérimenter que je n’ai pas envie de rester prisonnier d’un carcan.

Quelle a été ta première expérience avec ce style musical ?
Au tout début, rapper’s delight passait dans les discos. C’est en général le moment où je m’arrêtais de danser. Je trouvais ça chiant à mort. Ne maîtrisant pas l’anglais, je ne comprenais pas un mot et je ne voyais pas l’intérêt de ce truc sur un rythme binaire aussi ennuyeux que du disco. J’ai fait l’impasse sur ça pendant une dizaine d’années. Le choc m’est venu qu’en 92 sauf erreur. C’était, je crois, la première télé de Solaar. Le présentateur avait annoncé le truc en disant que le jeune artiste qui suivait faisait quelque chose d’absolument étonnant avec les mots. C’était Caroline et l’as de trèfle qui pique ton cœur. J’étais littéralement scotché. Moi qui suis amoureux des mots, je n’avais jamais entendu un truc aussi beau. Depuis ce moment, je suis resté accro et j’ai suivi de près l’âge d’or du rap français. J’écoute pas mal de rap allemand aussi. Et naturellement entre-temps du rap ricain, canadien ou italien.

Tes sources d’inspiration ?
Pour les paroles, c’est la vie, ma vie. « J’exprime par des rimes ce qui me déprime ». J’écris sur ce qui me touche. Mes émotions personnelles ou des histoires vécues. Mes textes partent en général de mon vécu que j’essaie ensuite d’universaliser, mais il m’arrive de mettre en texte des histoires dont je suis simplement le témoin. Au début, j’avais pas mal de textes sur des thèmes politiques, ces dernières années, j’écris surtout des histoires de vie.
Pour la musique, je compose environ les 2/3 de mes titres. Là, je pars des accords de guitare, le seul instrument que je joue. Je fais tourner les accords en boucle et la musique se construit dans ma tête. J’amène ensuite cette base harmonique, des idées de thèmes, une idée rythmique à mon groupe. Comme mes musiciens actuels sont des pros, la musique se met rapidement en place et en principe, je laisse aller les choses dans l’énergie de tous. Pour le reste, j’achète des beats, souvent sur internet ou directement chez Jon du studio Polyphone où j’enregistre et qui compose des vraies merveilles. Sur scène par contre, nous jouons tous les titres nous-mêmes et nous adaptons les beats à nos instruments (batterie, basse, guitare, accordéon).

Quelle est ton actualité en ce moment ?
Mon deuxième album « Gens de rien » vient d’être produit. J’étais dessus depuis trois ans. Nous avons lancé une souscription pour ceux qui souhaitaient l’avoir sous le sapin de Noël, mais sa sortie officielle aura lieu début 2013. Nous sommes en train de mettre en place les choses, la promo, les dates de scènes. Après le clip d’ « Excuse-moi », le premier single de cet album qui traitait de l’homophobie, il y aura d’autres clips, notamment sur le titre « Papa ».

Des projets à venir ?
La sortie de l’album, la réalisation des clips. Puis il faudra aller défendre notre travail. On prévoit des scènes en Suisse romande, la première date sera au Bleu Lézard à Lausanne, le 10 janvier. Ca me ferait vachement plaisir d’y rencontrer des repreZentants. Puis on essaiera d’aller en France et en Suisse allemande dans quelques mois. Parallèlement, je continue de composer et d’écrire. En dehors du processus de création d’un album, je vais environ tous les deux mois au studio pour un nouveau titre. J’ai une dizaine de titres prêts à être enregistrés donc je ne vais pas vraiment m’ennuyer.

Quels sont les sons qui tournent en ce moment dans ton mp3?
Comme je suis toujours en train de bosser pour ma musique, ce sont surtout mes titres. Ils passent en boucle, déjà à l’état de maquette et je suis à l’affût des améliorations que je veux leur apporter. Ou alors, je tente de mémoriser les textes ce qui, vu mon emploi du temps surchargé, n’est pour moi pas une mince affaire. À part ça, beaucoup de choses. En rap, les classiques, les grands : IAM, NTM, Oxmo, Kery James, Zebda, 113, Zoxea, Les Sages Po, etc., il y en a tant. Plein de trucs nouveaux aussi. J’adore Orelsan bien sûr, j’ai découvert avec bonheur Taïpan. Et plein d’inconnus. J’écoute pas mal de rap suisse aussi et je dois être le dernier qui achète des CD d’ailleurs. À part le rap, j’écoute du rock sous toutes ses formes, de la chanson, plein de trucs en fait. Je vis à Berne depuis pas mal d’années. J’écoute donc beaucoup de groupes bernois. Il y a ici un terreau incroyable pour la musique et la plupart des meilleurs combos de Suisse viennent de la ville de Berne.

Le dernier livre qui t’a marqué et pourquoi ?
Depuis quelques années, je lis pas mal de livres de philosophie ou de sagesse. J’ai découvert il y a quelque temps Frédéric Lenoir. Ses bouquins ne m’ont pas à proprement parlé marqué, mais apporté des pierres à ma construction. Gomorra de Saviano par contre m’a vraiment impressionné. Je lis beaucoup, mais j’ai la fâcheuse tendance de toujours relire les mêmes choses.

Et le dernier film ?
Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran d’Eric-Emmanuel Schmitt. Un merveilleux film.

Que penses-tu du « rap suisse » ?
Quand je me suis mis à vraiment faire de la musique il y a 8 ans, j’ai commencé aussi à suivre la scène rap de Suisse romande. À l’époque, j’ai découvert plein de gens de talent avec des trucs vraiment prenants. Quand je regarde où sont les gars qui m’avaient touché à cette époque, la plupart ont stagné ou carrément arrêté. J’ai l’impression que beaucoup n’ont pas vraiment l’envie et confondent être artiste avec un divertissement dont ils se lassent trop vite. Sans vouloir idéaliser, quand je bossais avec Zoxea à Paris, il me semble avoir vu plus de types qui en voulaient vraiment et qui se battaient à fond pour défendre leurs projets. Après, ça c’est une impression générale. Je suis ce qui sort sur Reprezent ou d’autres sites et il y a régulièrement des choses qui me plaisent. Plein de bonnes surprises aussi. Je précise que là aussi, mon approche passe tout d’abord par le texte. Un truc débile, même bien posé, ne m’intéresse pas. Là je suis assez réfractaire. Je ne vois pas le sens de faire un art lyrique si on n’a rien à dire. Mais en fait, il y en a plein que je trouve bien. Je réagis d’ailleurs souvent sur le site. Je n’ai pas envie de citer des noms parce que je n’aimerais pas en oublier, mais il y a du talent. Je regrette juste que trop peu parmi ceux qui ont du talent en veulent suffisamment pour s’accrocher sur le long terme, même si je vois moi-même à quel point ça peut être frustrant.

Quels sont les inconvénients de la « vie d’artiste » ?
Comme artiste, on ne vend pas un produit quelconque, mais on s’expose soi-même. Les coups, on les prend directement. Il n’y a pas grand-chose au début pour te faire progresser. Des critiques pas constructives ou des compliments pas vraiment francs. C’est une des raisons qui m’avaient poussé à m’adresser à Zoxea. Au moment où je ne savais plus comment progresser, j’avais besoin de quelqu’un capable de voir le potentiel et de m’aider à progresser. Un autre inconvénient, massif, c’est la relation avec les autres artistes. Je déplore. Au lieu de collaborer et d’échanger pour être plus créatif, il y a une fâcheuse tendance à se regarder en chiens de faïence et on se jalouse gaillardement. Il y a trop de calculs et pas assez de coups de cœur. C’est un trait particulièrement marqué dans le milieu du rap, et particulièrement en Suisse romande d’ailleurs. Les Alémaniques sont plus ouverts.

Quels en sont les avantages ?
Si je n’avais pas une vie d’artiste, j’aurais plein de problèmes existentiels difficiles à résoudre. Acheter une nouvelle Mercedes cette année ou attendre la sortie des nouveaux modèles au prochain salon? Conclure un 3ème pilier? Comme artiste, rien de tout ça. C’est le bonheur parfait dans la joie du dépouillement. La vie d’artiste en fait, c’est ce que j’ai trouvé de mieux pour claquer l’argent que je gagne péniblement. Mais c’est beaucoup de bonheur aussi, surtout. À chaque fois que je remarque que ma musique touche des gens, qu’elle signifie quelque chose pour eux, leur donne un peu de joie ou nourrit leur mélancolie, je suis profondément heureux. Franchement, c’est irremplaçable. Et il y a la liberté. J’ai toujours été profondément épris de liberté et j’ai toujours pris dans tous les domaines le maximum de liberté possible. Et la créativité, au fond, c’est le domaine ultime de la liberté. Avec le rap, avec la poésie en général et comme en littérature, nous créons par les mots. Avec les mots, nous pouvons créer des univers entiers, changer notre vie. À l’époque où je fréquentais l’église le dimanche, durant mon enfance, il y avait une phrase qui m’interpellait. « Au commencement était la parole, et la parole était avec Dieu, et la parole était Dieu… Toute chose a été faite par elle, rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle ». La parole crée, toutes les philosophies s’entendent à ce sujet. Aucune réalité n’échappe à l’idée et à la parole. Cette phrase pourrait avoir été écrite pour servir de conscience au rap. Mais en écoutant certains textes, je me demande parfois ce que leurs auteurs nourrissent de bon.

À ton avis, que manque-t-il pour faire évoluer les artistes « rap » en Suisse ?
Je n’aime pas tellement comme la question est formulée, parce qu’elle renferme un postulat implicite. Dire ce qu’il manque, c’est avancer l’idée que les conditions du succès sont extérieures. C’est aussi se chercher les excuses de son échec à venir. Mais le terreau est aride, c’est un fait. Dans la culture comme partout, et dans le rap encore plus qu’ailleurs. Cela implique que les artistes doivent s’accrocher, et c’est très bien comme ça, parce que nulle part, dans aucun domaine, les graines ne germent toutes seules. Si je m’intéresse à ce qui manque, c’est uniquement pour identifier ce que je dois faire. Le reste, c’est du travail. Amener pierre après pierre pour construire. Mais tiens, je vais quand même te donner une piste, qui ne te servira à rien d’ailleurs. Ce qui manque au rap en Suisse, c’est un public mature. Le rap fait plus partie d’un arsenal d’accessoires identitaires destiné à soutenir la phase de rupture pubertaire que d’un choix culturel. Et de là découlent les réflexes claniques qui font que rares sont les artistes, même talentueux, qui sont soutenus au dehors de leur petit groupe de potes. C’est ça, il manque un public mature, assez au clair avec son identité culturelle pour oser partir à la découverte de nouveaux univers. Dernièrement, j’ai donné un concert à Berne. Des gens de tous les âges et tous les horizons musicaux sauf le rap étaient présents, simplement par intérêt pour la découverte. Pour ces gens, je représente un pont vers un genre musical dont ils n’auraient jamais eu l’idée de s’approcher autrement. Parmi eux, j’en connais beaucoup qui me remercient de leur avoir fait découvrir quelque chose de nouveau et qui ont assez de curiosité pour poursuivre dans cette direction. J’aime ce rôle de jeteur de pont, j’aime l’idée que quelqu’un qui était persuadé que le rap c’est forcément débile découvre la beauté de cet art. Le rap en général, le rap suisse romand en particulier, au lieu de s’ouvrir à ce public qui, soi-dit en passant, achète encore des albums, préfère continuer à entretenir les pires clichés. En Suisse allemande, Bligg a réussi à sortir du ghetto et touche un immense public avec un son de qualité. Je ne vois pas d’équivalent en Suisse romande.

Si tu avais un conseil à donner à un jeune qui commence, que lui dirais-tu ?
Ouh, là, franchement, pour moi c’est du terrain miné. J’ai eu 50 ans à la fin de l’année et même sans me transformer en donneur de conseils, le risque de passer pour un vieux con va croissant. Qu’il fasse sa vie, à sa manière, ramasse ses fruits et se ramasse ses claques qui le feront progresser. Basta.

En guise de conclusion, ça veut dire quoi repreZenter pour toi ?
Je connais toute la charge symbolique de cette notion dans l’histoire du mouvement. Pour ma part et dans d’autres domaines, j’ai passé ma vie à représenter des gens, des causes. C’est lourd et je n’en ai plus envie, comme je n’ai jamais laissé personne me représenter d’ailleurs. Alors voilà, je me représente moi-même et pas toujours très bien d’ailleurs. Ou disons que je représente une certaine manière de voir les choses. La mienne.