L'itw repreZent de Tuân aka Holla Back


L’itw repreZent du jour n’est pas consacré à un artiste maniant le stylo pour écrire, mais pour dessiner, et force est de constater qu’il est vraiment talentueux, donc on n’a pas hésité à lui poser quelques questions. En plus les réponses font vraiment du bien…. Tellement qu’on a décidé de vous offrir une vidéo en bonus dans laquelle la société zurichoise 21Lifestyles brosse le portrait de Tuân. Voilà, après ça vous pourrez plus dire que vous saviez pas!

Blaze :
Tuân aka Holla Back aka Air Force Tuân

Date de naissance :
10 février 1984

Ville :
Genève, Tokyo tout bientôt

Collaborations marquantes:
Bang ‘Em Smurf & Domination (Silverback Guerillaz) (2009)
Blu’print (2011)
Cormega (2010)
Dogg Master (2010)
Keith Murray (2011)
Kid Springs (Cocaine City) (2010)
Killa Sha (2008)
Killarmy (Wu-Tang Killa Beez) (2008)
Shade Sheist (2011)
Thorotracks (2011)
Vincz Lee (2011)
XL Middleton (2009)

Liens:
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Pourrais-tu nous décrire, en quelques mots, qui tu es et décrire ton travail et ton parcours ?
Je m’appelle Tuân, de mon vrai prénom Kim Wang Tuân, je suis né et ai grandi à Genève. Je dessine dans le style manga depuis mon enfance. Et après une pause de six années allant de mes 17-18 ans à mes 24 ans, j’ai eu la chance de recevoir des requêtes de rappeurs dont je suis fan depuis des années. Comme quoi beaucoup d’entre eux sont de vrais animefans, c’est-à-dire fans de japanimation et de mangas. En les connaissant un peu personnellement, on constate même que certains OG sont plutôt des Original Geeks (rires) ! Même Queensbridge a ses geeks, je trouve ça magnifique. Sinon, cela fait presque trois ans que je bosse régulièrement avec quelques personnalités du rap ricain mais également avec d’autres artistes du Japon, d’Afrique du Sud, de la France, et bien évidemment de la Suisse même si c’est plus rare. Et petite précision : je ne suis pas dans les délires graffiti ou encore street/urban arts. Les gens se disent vite que dessin+rap = graffiti ou street quelque chose, mais non. Le seul truc que je fais sur les murs, c’est pipi (rires).

Qu’est-ce qui t’a amené à faire du dessin ?
J’ai grandi dans un environnement très asiatique étant petit. Mon père, depuis son enfance en Asie, est un grand fan de films d’arts martiaux et de chanbara (films dans lesquels des samouraïs s’en foutent plein la gueule), donc tout ce qui se termine en « Lee » je connais plutôt bien. Mon père était aussi un gamer vu qu’il a plié énormément de jeux comme les Zelda, Secret Of Mana… Je regardais aussi énormément d’anime (dessins animés japonais) avec mon grand frère. Passer au dessin en étant influencé par la japanimation et le JV était une évolution plutôt naturelle. De toute manière c’était soit le dessin, soit devenir un fieffé gamer. Finalement je suis devenu les deux (rires).

Pourquoi avoir choisi le manga ?
De manière générale, j’ai toujours trouvé les arts asiatiques plus attrayants que les arts occidentaux, plus drôles et intrigants. Honnêtement, je n’ai jamais porté d’intérêt aux arts occidentaux, qu’ils soient classiques ou populaires. Il y a des auteurs de BD franco-belges comme Larcenet que j’aime beaucoup, mais le reste ne m’intéresse pas. Le manga a une force d’expression que je trouve supérieure. Il suffit de voir ce que fait Yoshiyuki Sadamoto, un character designer d’exception, notamment sur « Neon Genesis Evangelion ».

Ce que j’aime beaucoup au Japon, c’est que culture et sous-culture sont mêlées, il n’y a pas nécessairement une hiérarchie du genre « les estampes d’Hokusai sont meilleures qu’un anime du studio Ghibli ». Il s’agit de deux formes d’art distinctes, c’est tout.

Quelle a été ta première expérience avec le Hip-Hop ?
En 1989, j’ai reçu mon premier vinyle de Rap. J’avais 5 ans, c’était Run DMC. Par contre, j’ai trouvé à chier, ce qui est toujours le cas (rires). Donc je ne préfère pas dire que c’est comme ça que j’ai découvert la chose. En fait, entre mes 11 ans et mes 18 ans, je faisais beaucoup de Roller Agressive et je regardais énormément de vidéos du genre. Ces vidéos avaient souvent du Rap en guise de bande sonore, et c’est comme ça que j’ai découvert Nine, Smoothe Da Hustler, A Tribe Called Quest, GangStarr, Killarmy, le Wu… Autrement, dans le Hip-Hop, j’aime essentiellement le Rap. Les autres disciplines ne m’intéressent pas trop, tout ce que je connais en danse doit être « Honey » et les « Sexy Dance » (rires).

Tes sources d’inspiration ?
Tout ce qui fait rire, plaisir, délirer… J’adore les films de Ben Stiller comme Zoolander, Dodgeball et Tropic Thunder. J’ai beau avoir fait de longues études, je ne suis pas un intellectuel pour autant, du moins je n’essaye pas de faire le pédant. L’important, c’est de se marrer ! Et bon, tous ces films d’auteur roumains qui s’ouvrent en synagogue et mettent en scène des tentatives de restitution de retables baroques, qu’est-ce que c’est emmerdant. Le problème c’est que les « artistes » sont trop souvent perso, pas assez dans le partage. Le rire et le plaisir, c’est communicatif, c’est multilatéral. Un film où une grand-mère espagnole regarde une aubergine moisir, ça a beau être la représentation de l’animisme instable pour son auteur, mais c’est unilatéral, égoïste. Et c’est pourri, mais vous l’aviez compris.

Sinon, mes influences en matière de manga/japanimation c’est Yoshiyuki Sadamoto et Rumiko Takahashi (« Ranma ½ », « Maison Ikkoku ») : ça va de l’élégance du trait à l’humour. En BD franco-belge, j’aime énormément Manu Larcenet qui peut aussi bien faire dans le grinçant que dans le joli récit de vie. Pour ce qui est du jeu vidéo je suis un fanatique de jeux de rôle japonais comme les Suikoden, Lunar, Sakura Taisen, Valkyrie Profile et Xenogears. Les vrais sauront (rires). Hip-Hop, c’est Westside quand il y a du soleil, et c’est toute la crasserie de QB quand il pleut.

Quelle est ton actualité en ce moment ?
J’ai dessiné la cover du nouvel album de Dogg Master, un producteur et talk boxer français méconnu de par chez lui, mais qui fait du bruit aux States et surtout au Japon. Le skeud comporte des guests comme Kurupt, Butch Cassidy, Goldie Loc des Eastsidaz et encore une pétée de gros noms de la West. Alors moi ça me fait doucement rigoler quand certains zozos d’ici payent des Seth Gueko pour des 16 mesures à usages multiples…

J’ai aussi dessiné la couverture du single « Unforgettable » du rappeur Boogie Kat de Santa Ana. Il n’est pas connu, mais c’est un très beau projet dans la mesure où le titre est dédié à la mémoire de sa femme. De plus, tous les bénéfices iront à l’école dans laquelle sa fille étudie. Et cerise sur le gâteau, c’est fait en famille étant donné que ChromatikS signe la prod et que les personnes derrière le projet ont déjà bossé avec nous sur « À la Conquête de l’West », l’album de ChromatikS.

Autrement, je viens juste de terminer un dessin hommage à Killa Sha (qui est décédé le 18 janvier 2010), je pense qu’il va pas mal tourner sur le Net. Killa Sha est quelqu’un qui a beaucoup fait pour moi, je me devais de lui dédier le dessin « GOD Walk On Water ».

Sinon je prépare mon départ pour le Japon où je vais rester là-bas un certain temps pour plein de bonnes raisons. Ca sera le cadre idéal pour poursuivre le clip que je fais pour Vincz Lee, Blu’print et Keith Murray.

Des projets à venir ?
En ce moment j’enchaîne beaucoup de projets californiens. Shade Sheist m’a demandé de dessiner la couverture de son nouveau single « Queen » featuring Latoiya Williams et on a déliré sur un concept sympa.

Je vais aussi dessiner le prochain t-shirt de Thorotracks. Artistiquement, ils font tout ce que j’aime : des sons crades et des street bangers avec Killah Priest, Nas, Blaq Poet, NYG’Z… Et vu que c’étaient aussi des potes de Killa Sha (Thorotracks avait produit « Deep Thoughts »), la connexion ne pouvait que se faire.

Et aussi un projet avec les First International Playaz, le premier vrai groupe de rap hardcore au Japon. D’un côté, un seul des membres est japonais, et à moitié qui plus est… Sinon, écouter un Bloods rapper en jap’ et en anglais, c’est un bon mélange (rires). Bon faut pas trop se moquer, y a les Yakuzas derrière…

Bref, encore plein d’autres projets sinon, tant que je me marre !

Quels sont les sons qui tournent en ce moment dans ton mp3?
Indie Rock/Pop (Beach House, Jens Lekman, Kyte…), J-Music et K-Music (Ayumi Hamasaki, Oda Kazumasa, Lee Hyori, Miliyah Kato, Perfume…), OST de jeux de rôle japonais (Motoi Sakuraba, Shôji Meguro…), Ryuichi Sakamoto, Army Of The Pharaohs, Blaq Mobb, Booba, Drake, Joe Budden, Kanye West, Killa Sha, IM3, Killarmy, Nine, Prodigy de Mobb Deep, Shyheim, Shade Sheist, Smoothe Da Hustler, Trigga Tha Gambler…

Le dernier livre qui t’a marqué et pourquoi?
« Le Vrai Monde » de Natsuo Kirino, un roman qui est assez révélateur du malaise sociétal japonais. La narration se fait par focalisation interne de chaque personnage, à chaque chapitre correspond un point de vue différent.

Et le dernier film?
« Friend » (« Chin-gu »), un film coréen de Kwak Kyung-Taek, c’est un peu le « Il était une fois en Amérique » asiatique, mais en mieux (rires). La musique est magnifique, les persos fougueux et Dieu que c’est beau. Le cinéma sud-coréen défonce tout ces dernières années.

Que penses-tu du « rap suisse » ?
Un peu ennuyeux et rarement finaud. Pour avoir blogué sur le rap suisse durant plusieurs années, je connais plutôt bien tout ce qui tourne autour. C’est un milieu où il y a beaucoup d’autosatisfaction. On pense surtout à ce qu’on va porter dans le prochain clip de location plutôt qu’à taffer la musique. Se monter un personnage, c’est artistique et tralala, mais il faut savoir assurer l’essentiel: la musique. Donc c’est bien joli d’arriver en Bentley et de faire des « djeaaaah », mais ça ne t’empêchera pas d’être mauvais. J’ai l’impression que beaucoup de rappeurs d’ici se plaisent à se branler devant leur reflet. Sauf qu’ils se branlent avec des moignons. En fait, le Rap suisse vit selon une succession d’objectifs à court terme, pas étonnant que peu de choses se construisent.

Heureusement, il y a des exceptions dans ce marasme. Dans la section « je sais pas d’où il sort, mais il a bien fait » j’aime bien En?gma. De ce que j’ai vu et entendu, il y a quelque chose de sain et de sympa dans sa démarche. Et si jamais, je ne le connais pas et je n’aime pas le basket (rires).

Sinon, le Rap suisse souffre en ce moment d’une grave maladie : les freestyles d’une minute trente. C’est un peu comme chier sans se laver les fesses : c’est faire les choses à moitié et c’est dégueu. Et puis un dernier mot : arrêtez de payer des rappeurs bidon ou déterrés pour des couplets à usages multiples…

Quels sont les inconvénients de la « vie d’artiste » ?
Avoir à justifier constamment ce que l’on fait face à certaines personnes. Je ne sais pas pourquoi la majorité des « artistes » (peintres, photographes…) ressent le besoin de recourir à des concepts et des théories pour comprendre et expliquer les choses. C’est pour cela que j’ai beaucoup de respect pour les personnes qui ont une démarche naturelle, loin des clichés scolaires. Il y aura toujours une caste d’académiciens frustrés qui voudra te dicter ce qu’est l’art et ce qui ne l’est pas. Je préfère largement les freestyleurs précoces à ces personnes là (rires).

Quels en sont les avantages ?
Pour le moment j’en ai surtout retiré des avantages humains. De belles rencontres avec des gens qui habitent à l’autre bout du globe, de sympathiques collaborations, des repas sur le pouce, des situations improbables, des chahuts autour d’une bière… Des choses plutôt simples en fin de compte, mais c’est de loin celles que je préfère. Sans le dessin, je n’aurais pas pu travailler avec tous ces rappeurs, je ne serais jamais parti habiter au Japon, et je n’aurais jamais rencontré la dame de mes pensées.

À ton avis, que manque-t-il pour faire évoluer les artistes « rap » en Suisse ?
Une vraie mentalité de travail. Il y a du talent, mais pas assez de vrais bosseurs. C’est triste à dire, mais il faut quand même se rendre compte qu’avoir la dalle en Suisse n’a pas grand-chose à voir avec la dalle aux States ou encore en France. Les gens d’ici se plaignent trop du fait qu’il n’y a pas de structure. Mais qu’ils arrêtent de geindre et qu’ils les montent eux-mêmes. Personne ici ne veut faire le boulot ingrat, le travail de l’ombre en fait. Les gens croient que le buzz ça se fait en taggant les gens sur Facebook et en disant trois mots sur Youtube. Le fait de collaborer avec des personnes en dehors de la Suisse m’a fait réaliser à quel point les gens d’ici sont rarement fiables. Les Ricains et les Japonais sont impressionnants en termes de réactivité et d’efficacité, j’ai beaucoup appris d’eux.

Si tu avais un conseil à donner à un jeune qui commence, que lui dirais-tu ?
Amuse-toi, fais-toi plaisir. Mais si un jour tu décides d’aller plus loin, n’oublie pas qu’un rêve sans passer à l’action s’appelle le sommeil.

En guise de conclusion, ça veut dire quoi repreZenter pour toi ?
J’ai l’impression que les personnes qui répondent à cette question disent plutôt ce qu’elles pensent représenter elles-mêmes… Personnellement je ne pense rien représenter en particulier, je dois cruellement manquer d’ego par rapport à tous ces gens du Hip-Hop (rires). Par contre, je sais ce que mes proches et les personnes que j’aime représentent pour moi : du plaisir et de bons moments. C’est déjà pas si mal non ?

Tuan Hollaback – Digital Manga Art from 21Lifestyles on Vimeo.