L'interview d'Iam

Il y a quelques temps repreZent a pu s’entretenir avec LE groupe de rap français que l’on ne présente plus. L’occasion pour nous et eux de revenir sur leur(s) histoire(s) avec le Hiphop; de leur première rencontre à aujourd’hui, sans bien entendu oublier de parler un peu de leur dernier album que vous pourrez entendre en live le 19 avril à l’occasion du Caprices Festival.

Quel est votre premier souvenir marquant avec le Hiphop ?
Akh Pour moi c’est l’anniversaire de mes 12 ans et un de mes meilleurs potes qui m’offre le maxi de Jam Jam de Sugarhill Gang, c’était en 1980.
Imhotep Moi c’était aussi un morceau de Sugarhill gang en boîte en Espagne… mais jme souviens plus exactement duquel…
Pour moi c’est le premier pied posé sur le sol à New York en 85, même si c’était près de 10 ans après ma première rencontre avec le smurf.
Shu Moi c’est par la danse, avec les premiers danseurs qui sont apparus à la fin de la période funk, on a commencé à voir des mecs qui dansaient bizarrement très tard à la télé, sur des morceaux qu’on ne connaissait pas, qui étaient différents du funk, mais qu’on n’arrivait pas encore à définir, on n’avait pas tous les noms ni les codes. Ça a été ça, ça m’a mis le pied dans la danse puis de la danse à l’écriture et voilà.

Mais qu’est-ce que le Hiphop avait de plus que les autres musique ?
Akh L’accessibilité
Shu Exactement…
Akh L’accessibilité, le fait de pouvoir intégrer cette culture en temps qu’acteur. Pas uniquement comme dans d’autres cultures musicales dans lesquelles tu dois passer par des années de conservatoire.
Kheops Pas besoin de faire de concours, tu pouvais t’habiller comme tu voulais…
Akh Y’avait aussi ce côté appartenance, on se reconnaissait entre nous, notre façon de s’habiller nous marquait, quand on marchait dans les quartiers on nous criait « oh les rappeurs » parce que tout le monde écoutait du funk. On avait nos Starters, des dresscodes déjà bien établis à l’époque.
Shu C’était une façon de nous reconnaître entre nous, de nous différencier de la masse à l’époque. Pour nous c’était la possibilité, sans passer par des années d’apprentissage, de solfège, de pouvoir pratiquer notre art immédiatement.
Akh De pouvoir évoluer surtout, évoluer à l’intérieur du mouvement.
Shu Et puis c’était aussi gratuit, on pouvait faire ça sans devoir passer par tous les cursus de la culture qui sont généralement fermés si tu ne viens pas du bon quartier. L’idée c’était vraiment de pouvoir faire de l’art, avoir un retour direct et pouvoir pratiquer son art au quotidien.
Imhotep Moi ce qui m’a interpellé également c’est qu’il y avait plusieurs disciplines dans cette culture, avant j’étais dans le reggae et quand j’ai vu déferler le mouvement Hiphop, qu’on voyait apparaître les premiers graffs, le rap, le djing, la danse… c’est là que j’ai compris que c’était vraiment une sorte de rouleau compresseur qui concernait toute la population. Sans parler de l’énorme influence sur la sape, sur la mode… c’est vraiment à ce moment-là que j’ai réalisé que c’était un mouvement culturel, pas juste une musique.

Justement, si vous deviez définir ce mouvement Hiphop…
Akh C’est un art, une manière de vivre. Avec ses 5 éléments c’est tellement complet, nous on a passé toute notre adolescence et notre vie d’adulte à vivre Hiphop. Notre manière de penser, de réfléchir, d’agir… c’est toujours en fonction de cette culture que l’on a épousée. Même notre manière de se comporter, parce que le Hiphop a une éthique, et que cette éthique-là il ne faut pas forcer les autres à l’épouser, mais il faut amener les autres à la découvrir et pourquoi pas à l’adopter ensuite. L’éthique, la droiture, la manière de se comporter tous les jours… l’échange, le partage, ce sont les valeurs du Hiphop.

Mais au fil des années cette éthique ne s’est-elle pas un peu perdue ?
Akh Elle ne se perd pas, elle se noie… il faut bien se resituer, à l’époque c’est une culture émergente qui est consciente de sa force et qui implique les gens dans cette culture à faire des gens pour elle pour qu’elle devienne énorme. Alors oui maintenant le rap est devenu énorme, mais la culture Hiphop est restée la même. Si tu regardes bien, ce que l’on appellera les hiphopers, finalement sont toujours le même nombre qu’avant. Par contre le nombre de personnes qui sont dans le rap a explosé et les hiphopers sont maintenant noyés dans la masse de ceux qui font du rap.
Imhotep Le fait que le rap soit devenu un phénomène commercial, simplement parce que c’est la musique qui marche le plus, ça masque sous le nombre, sous l’importance du phénomène tous les activistes de la culture Hiphop, toute cette force qui est derrière. Mais la culture Hiphop elle a toujours continué de vivre, à exister. Les jeunes continuent à danser, à graffer, etc. Après le problème différent que l’on connaît aujourd’hui c’est, selon les pays, la reconnaissance officielle que peut avoir cette culture par les institutionnelles, les gouvernements, les universitaires… c’est vrai que selon les pays ça ne va pas à la même vitesse.
Akh La différence est également dans le mainstream des années 90, ce rap émergeant qui commence à devenir connu mondialement est devenu 15 ans après underground. La musique qui était la musique principale, les hits mondiaux de Biggie, Mobb Deep…. Aujourd’hui c’est devenu de la musique underground.
Kheops Et puis il y a aussi eu un changement dans la manière de vivre des gens, aujourd’hui ils vivent pour eux-mêmes et l’individualisme tue la culture Hiphop.
Imhotep Aujourd’hui quand tu parles de Hiphop les gens ne savent plus vraiment de quoi tu parle…
Kheops Ils ne connaissent tout simplement pas l’histoire du Hiphop.
Akh Nous dans le rap, je connais la position de tous les membres du groupe et elle est pareille, on s’en fout que les gens ne s’intéressent pas à cette culture. Par contre ce qu’on en a à foutre, qui nous fait râler ou même rire parfois, c’est que des gens qui ne connaissent pas cette culture viennent nous donner des leçons. Mais on les reconnaît vite ces gens-là, rien qu’en parlant connaissances musicales du genre, en 3 minutes tu les reconnais.

Pour revenir à votre dernier album, il semble plus porté sur les textes que les précédents… ou tout au moins les textes prennent plus de valeur.
Akh C’est vrai que sur « Revoir un printemps » ou sur « saison 5 » y’a des textes, mais ils sont posés sur des musiques d’un autre type qui sont pour nous des recherches de voies, des essais ou de la course à la nouveauté histoire de ne pas être dépassé. Mais maintenant je pense qu’on a dépassé le fait de se poser la question de savoir si l’on était dépassé ou pas et qu’on a finalement juste fait de la musique que l’on sait faire et que l’on aime.
Shu Comme on l’a dit dès le début on a arrêté la course aux armements. Au bout de 25 ans, on s’est plus dit qu’on devait être au top de la nouveauté, on doit juste faire la musique qui nous a bercés.
Akh Et du coup on est très à l’aise sur ce type de musique là, on revient à une forme de minimalisme avec des boucles de soul, même si tout est rejoué derrière, des rythmiques assez sèches, et d’un coup le texte il jaillit. Il n’est plus caché derrière des tas d’arrangements, il est beaucoup plus mis en valeur.

Pourtant le morceau « Fuck le refrain », produit par JustMusic, est très moderne et l’on te sent très à l’aise dessus.
Akh Oui mais c’est parce qu’il est fait dans l’esprit de l’album, pas dans une quête de recherche. L’instru il était là, dans le tas, il y a eu un état d’esprit sur cet album qui d’ailleurs continu sur scène, y’a eu une envie de faire certaines choses et je pense que même sur une instru comme « Fuck le refrain » tout est passé à travers le prisme de cette « orthodoxie » qu’il y a sur nos deux derniers albums. À savoir faire ce qu’on sait faire de mieux et surtout faire ce qu’on aime, mettre des scratchs dans les morceaux, avoir des prods qui claquent, des outros, avoir des atmosphères… des voix de film… du Iam quoi. Même au niveau des machines, le retour de la SP12, de la MPC300, c’est pas uniquement que des plugs modernes. Y’a vraiment quelque chose d’organique et d’ultra basique dans ce qu’on fait.

Pour terminer j’aurais voulu revenir sur ce qui se passe actuellement dans le rap, avec les prises de positions très rétrogrades de certains rappeurs, la défense de thèses qui avant étaient combattues par le rap…
Akh Le rap est à l’image de la société, on va dire que c’est la génération internet. Ce qu’internet a libéré comme monstre se retrouve dans le rap. C’est ce qu’on dit dans CQFD, au bout d’un moment tu retrouves exprimé dans le rap ce qui l’est sur les réseaux sociaux… ces trucs d’illuminatis, de conspirations… Que tu veuilles lutter je comprends, que des gens qui se réclament antisioniste par exemple… mais il faudrait avant tout savoir exactement ce que c’est  le sionisme, si tu luttes contre une forme de colonialisme je suis OK, mais le problème c’est qu’on sait très bien qu’il y a rapidement confusion et que cela se transforme en racisme. Nous ces positions là on ne les comprend pas et on ne les défend pas.
Shu On s’y oppose même…
Akh Tout comme le rap qui véhicule quelques formes de violence contre qui que ce soit.
Kheops Il faut être clair avec ça, mais maintenant le rap brasse tellement large… il y a des raps..
Imhotep Et il y a des rappeurs qui dérapent… bon elle est facile OK… désolé… (rires)
Akh Elle a été utilisé y’a 20 ans celle-là (rires) sur nous d’ailleurs par le Parisien  à propos de l’un de nos concerts, ils avaient titrés « Quand le rap dérape »…

Et pour vraiment terminer cette fois, notre question traditionnelle, est-ce que pour vous le terme repreZent signifie encore quelque chose ?
Akh Oui bien entendu, c’est déjà l’historique de plusieurs morceaux classics dans lequel le terme est utilisé, ça veut dire ce que ça veut dire et on l’utilise encore dans nos textes. On repreZente une ville, un quartier. On repreZente les gens qui se solidarisent autour de nous. Et ça on le dit souvent dans nos textes, peu importe le sexe, l’âge, l’origine, la religion, et surtout l’origine sociale des gens.
Shu En fait nous seuls les cons nous dérangent vraiment…
Akh Voilà, on fait du rap anticons. repreZenter pour nous c’est faire notre musique, rester fidèle à nos engagements, c’est ce qui fait qu’on a duré et qu’on va continuer…

Ce n’est donc pas votre dernier album…
Akh Continuer ça peut prendre différentes formes, ça peut être un album s’il nous est proposé dans des bonnes conditions, ça peut être des spectacles, de la scène… d’autres projets musicaux. Donc continuer oui, on ne va pas s’arrêter.
Shu Tant qu’il y a la passion on va pas s’arrêter.