La dernière interview récoltée par Skywalk à l’Undertown le 13 décembre était celle d’Eriah. Un entretien dans lequel il nous parle de son engagement, de Key Arkana, Madness, son dernier album ; tout y passe ou presque et ça tombe bien puisque c’est justement son dernier album, « Retour à l’essentiel » qui est ressorti vainqueur des repreZent awards 2014.

Ton album « Retour à l’essentiel » vient de sortir [l’interview a lieu le 13 décembre 2014 : NDJ]. Avant il y a eu un EP plus ou moins annonciateur, « Faites briller la lumière ». Tu peux revenir dessus ?
Je me suis enfermé en studio avec Riga et j’ai été chez des beatmakers. J’ai enregistré une trentaine de titres. À un moment, je me suis dit : « bon ça, on garde pour l’album » et le reste, hors de question que ça dorme sur un ordinateur. On le sort, on fait un EP. L’album est près depuis plus d’une année déjà, mais on voulait le sortir correctement.

Vis-tu de ta musique ?
Pas entièrement, non. Je suis travailleur social à côté. J’anime des ateliers d’écriture, je bosse dans une maison de quartier, je suis travailleur social hors mur. Tout se met en place. Mais le problème, c’est que dès que t’as des rentrées d’argent, il faut réinvestir pour que ta musique se pérennise. Pour l’instant, ça avance tranquillement.

Tu tournes beaucoup ?
Là j’ai fait quelques dates en Colombie, il y a moins d’un mois. En février, je vais partir à Barcelone. Cette année, j’ai fait une vingtaine de dates, ça va.

Tu as quelque chose de particulier à ajouter par rapport à ton album ?
J’ai mis beaucoup de cœur dedans. Il est assez introspectif, comparé au 1er album qui était plus revendicateur, plus engagé, plus militant. Ça reste conscient, mais c’est plus personnel. C’est un retour à l’essentiel par rapport à moi, à ce que j’estime être essentiel. Mes convictions. Mais en même temps, je suis comme pas mal de gens, donc ils vont se retrouver dans l’album. Il y a des thèmes que j’aborde pour la première fois, comme le sujet de la Femme : la rencontre, la rupture. Chose qu’avant, je ne m’estimais pas prêt à faire. Il y a différentes facettes dans l’album, comme le morceau « Derrière un sourire » où je parle de garder le smile même quand ça ne va pas. Ce masque que l’on met devant les gens pour ne pas afficher nos faiblesses. Ce sont des cas de figure que pas mal de gens connaissent. Il y a des morceaux plus universels comme « Misère humaine », mais ça reste mon point de vue par rapport à la société actuelle.

Par rapport au créneau « rap engagé » dans lequel tu te trouvais, est-ce que tu t’es dit que c’était un peu casse-gueule de continuer là-dedans ou pas ?
En fait, je me suis rendu compte d’un truc. Je trouve plus intéressant d’être engagé dans la vie de tous les jours et de faire tes trucs, à ton échelle, que de trop en parler. Par exemple, je bosse avec une association. L’année passée, on a récolté des fonds, on est parti avec des jeunes aux Comores, on a construit une école là-bas. C’est des jeunes en rupture. À la base c’est plus un projet éducatif qu’un projet humanitaire. Mais je n’ai pas besoin d’en parler spécialement dans mes textes. J’ai ce côté militant en moi et j’avais peut-être plus besoin de l’affirmer à l’époque. Dénoncer les choses, je le fais, mais si tu n’as pas des trucs derrière qui suivent, à mon avis, ce n’est pas la peine.

Mais est-ce que tu t’es fait la réflexion comme quoi tu devais évoluer?
Nan, c’est une continuité. Tout ce que j’ai dit dans le premier album, c’est ce que je pense. Ce n’est pas le fait de changer un truc pour un autre. C’était une autre période de ma vie.

OK. Ce n’était pas calculé en tout cas.
Absolument pas, absolument pas. Le côté « Fuck Babylon » alors qu’on y est en plein dedans, qu’il y a plein de codes que l’on reproduit… Je ne suis pas en train de cultiver mon potager à l’arrière de ma maison. Mais je pense qu’il faut être conscient quand même de ce qu’il se passe autour de nous. Des fois, j’ai ce côté un peu sceptique où je me dis que ça ne sert à rien de faire des manif’, il faudrait infiltrer le système pour changer les choses depuis l’intérieur. Et en même temps, je me dis que symboliquement, c’est important de descendre dans la rue. Nos parents descendaient dans la rue… En Amérique latine, moi j’ai de la famille qui s’est fait tuer pour ça… pour avoir défendu ses idées, ses convictions. Et puis on a la chance d’être dans un pays où on peut dire ce que l’on veut sans qu’il nous arrive quelque chose.

« Une pensée pour ceux », très bon morceau. Et ça fait plaisir de réentendre Basengo.
Merci. J’ai fait la prod’ en plus et je suis assez content de mon bébé. Et Basengo, il revient, t’inquiète. On était en train de discuter de faire un truc ensemble. À trois, avec Brax’. On en discute, mais ça va se faire un jour ou l’autre. On est des bons potes à la base, on rappe, on se fait plaisir. Quand on se retrouve sur scène les trois on adore, donc il n’y pas de raisons que ça ne se fasse pas. Pour l’instant, chacun est dans ses trucs.

Et par rapport à Keny Arkana [avec qui il avait partagé la scène aux Docks de Lausanne à l’époque : NDJ], t’as gardé contact ?
Keny Arkana, elle est introuvable cette meuf. C’est elle qui te contacte. C’est elle qui me donne des nouvelles de temps à autre : « Ca se passe mec ?! Je suis au Chiapas, salutations ! » et…silence radio. Keny, elle est comme dans ses textes.

As-tu avec elle ou à travers elle, monté des projets associatifs ou humanitaires ?
Bon moi je suis mexico-argentin à la base, donc j’ai déjà des contacts là-bas. Et puis d’ailleurs l’année prochaine, je vais me barrer pour aller bosser avec des assoc’. Quand on est allé en Colombie, c’était pour le lancement de l’album d’un groupe de là-bas qui s’appelle la « Crack Family ». C’est plus qu’un groupe de rap, c’est un mouvement. Ils sont partout, ils sont supportés par la rue comme je n’ai jamais vu ça ! Même les flics s’arrêtent pour prendre des photos avec eux. J’ai halluciné, je n’avais jamais vu ça. Du coup, il y a des chances qu’on sorte un truc avec eux en fait.

« Madness », c’est un label ?
Un label indépendant. Mais je suis plus qu’un artiste signé, je m’occupe avec eux des trucs. Ils me soutiennent depuis le premier album, ils se bougent pour moi. Ils font beaucoup de choses pour ma musique. En ce moment, on se focus sur moi, parce que j’ai l’album. Mais il y a aussi Mr. Bill qui arrive avec un truc.