L'Interview de Rocca

Il y a quelques mois, repreZent avait profité de la venue de Rocca dans le cadre d’une soirée « Can I Kick It » pour lui poser quelques questions sur son retour dans le rap francophone. L’occasion idéale de lui demander où il se situait alors qu’il venait de sortir son EP « Le calme sous la pluie » et qu’il travaillait sur un projet résolument plus moderne comme on peut le constater sur le morceau intro de sa nouvelle mixtape (voir le clip en fin d’itw).
Alors, le Rocca tel qu’on l’a connu en français est-il mort ou a-t-il simplement continué de grandir de l’autre côté de l’Atlantique ?

Le retour en France, comment ça se passe ? Les gens oublient vite généralement… comment on prépare son retour ?
T’es obligé de maintenir le truc « frais »… mais tu sais j’étais pas dans un placard pendant des années, j’ai sorti 5 albums outre-Atlantique, j’ai eu des nominations aux Latin Grammy, j’ai fait des tournées en Amérique latine, en Amérique du Nord… Beaucoup de travail, de composition de musique de film, de documentaires. En réalité, je n’ai jamais arrêté de travailler, mais je constate qu’en France les gens n’ont pas suivi mon actualité, mais je comprends, ce que j’ai fait s’adressait à un marché hispanique… Mais tout ça pour dire que j’ai toujours été très actif, c’est donc pour ça que lorsque je reviens en France les gens me voient très frais, c’est toujours la même tête mais remplie de nouvelles idées, des trucs différents de beaucoup de gens de ma génération… Mais tu sais, je considère cela comme quelque chose d’avantageux pour moi.

D’avoir été en quelque sorte en dehors du truc pendant ce temps, par rapport aux autres de te génération te permet donc de « sortir du lot » ?
Je ne suis pas parti en calculant tout ça tu sais, et même si ce n’est pas à moi de le dire je vais le dire. Parce qu’aujourd’hui si tu ne le fais pas personne ne le fera à ta place… Je suis un artiste international, j’ai un répertoire en français pour un public, un autre répertoire en espagnol pour un autre… J’ai donc deux répertoires totalement différents, deux carrières très différentes. C’est très agréable pour moi de pouvoir me positionner en tant qu’artiste international parce que je peux regarder ces deux marchés en même temps. Je suis précurseur dans les deux aussi, j’apporte une touche personnelle, j’apporte quelque chose donc, c’est très intéressant pour moi. C’est un atout qu’il faut pouvoir utiliser et je crois avoir su l’utiliser assez bien. Maintenant ce qui s’est passé c’est que lorsque j’étais vraiment dans mon truc en Amérique latine et aux États-Unis j’ai vraiment délaissé le rap français, j’étais en train de vivre autre chose… Ma musique est toujours très proche de ma réalité et à cette époque cette réalité ne pouvait s’exprimer qu’en espagnol, je n’arrivais pas à l’exprimer en français donc c’est vrai que j’ai donné beaucoup d’années de travail à un public différent et il est temps pour moi de réconcilier les deux. C’est ce que j’essaie de faire depuis quelque temps. J’ai des tournées en Amérique latine, aux États-Unis, en France, en Suisse, en Belgique… Le tout avec des répertoires totalement différents et mon but maintenant c’est de pouvoir réunir les deux et c’est ce que je veux faire en 2013.

Par exemple en faisant le même titre, même sujet, même beat, mais en deux langues ?
Parfois c’est possible de faire ça, de pouvoir lier les deux, après tout dépend de comment tu conçois les choses. Quand j’écris j’essaie de m’adresser à un public pour qu’il me comprenne immédiatement, comme je suis bilingue c’est très facile pour moi de passer d’une langue à une autre. Tout ça dépendra du thème, s’il peut être aussi bien traité dans les deux langues je le ferai, malheureusement ce n’est pas toujours facile… Certains thèmes s’adressent plus aux francophones, d’autres aux hispanophones… Des trucs que je vis quand je viens à Paris par exemple, je ne me sens pas de les exprimer en espagnol. Après si tu fais un album conceptuel c’est tout à fait envisageable pour quelqu’un qui est bilingue et surtout c’est très intéressant. Traiter le même thème avec le même style de flow dans 2 langues… c’est très intéressant.

Je ne sais pas trop comment tu es perçu à l’étranger, mais pour les francophones tu es et restera le « Rocca de la Cliqua », le mec qui a sorti des classics du rap français, est-ce que tu te sens enfermé là-dedans ?
Disons qu’il y a une génération de mecs qui n’a pas évolué avec le Hiphop, ils sont restés dans leur époque à eux, dans ce qu’ils ont pu vivre durant leur adolescence et ils sont restés figés sur un style de beat, de flow, etc. Ils n’ont pas su évoluer avec ce mouvement. C’est comme dans le break, quand tu vois les gars qui font encore que des pas à l’ancienne alors qu’aujourd’hui ça a énormément évolué la danse… C’est bête… Tu peux faire un petit clin d’oeil, mais c’est vraiment bête pour un danseur, pour un artiste de resté figé dans un style et de ne pas évoluer avec le mouvement. Aujourd’hui le rap il change beaucoup, il y a plein de courants musicaux différents dans le rap, il n’y a pas un style de rap comme ça pouvait être plus le cas dans les années 90. Je trouve que ces quelques dernières années on vit une phase d’enrichissement musical terrible, des nouveaux producteurs qui arrivent avec des sons de fous… Kendrick Lamar, Meek Mill… Des trucs d’aujourd’hui, avec des productions très modernes, y’a des ptits clins d’oeil, mais les flows sont différents, la manière d’écrire aussi, beaucoup plus spontanée. Je trouve ça très agréable, on est sorti du dictat du rythm’n’blues, de ces beats… c’était quoi le rap avant ? C’était une boucle de rythm’n’blues, de funk ou de soul qui était dosée sur mpc… Mais en réalité on entendait toujours la même base : « boom boom clac », « boom boom clac », c’est le même beat que le vieux r’n’b comme tu entends que tu écoutes du Al Green, Isaac Eyes ou Barry White… Mais maintenant avec les influences extérieures, les sons des Caraïbes qui ont influencé le son de Miami, la musique d’Amérique latine, la house, etc. Le son a évolué, les beats au lieu de faire ce « boom boom clac » ont commencé à avoir un tout autre groove, un autre swing… Les trucs du Sud… Une grosse ligne de basse… Tout a changé, c’était plus le même beat, plus la même approche de la composition. On est sur totalement autre chose, une sorte de dancehall-club, mais en même tant super rap avec toutes les influences qu’on aime dans le rap hardcore. Ce qui change surtout c’est qu’il a beaucoup plus de fréquences de basses, c’est beaucoup mieux pour la danse, mieux pour le groove en soirée, mieux pour danser avec une nana, mieux pour faire la fête… Même pour le flow… Tu peux beaucoup plus rebondir…

Tu te sens mieux dans le son de maintenant ?
C’est une évolution, ce n’est pas que je me sente mieux, je suis autant à l’aise sur un vieux boom-bap, mais aujourd’hui ça me fait du bien de rapper sur un truc qui est différent. C’est aussi pour ça que je suis parti en Amérique latine, avec mon groupe on s’est inspiré des groupes afro-latinos, au lieu de partir sur des bases de rap américain on est parti sur des sonorités beaucoup plus latino, des trucs syncopés… C’est d’autres styles de rythmes et c’est très enrichissant pour moi, pour le mc, pour le musicien. Ça fait depuis 2007 que je suis dans cette vibe, je n’ai pas attendu des Rick Ross ou autres pour partir sur ce genre de son. Mais j’ai remarqué lorsque je suis arrivé en France que j’étais face à un public très retissant à ce genre de sons et je me suis dit que ce serait certainement une erreur de sortir un EP dans cette vibe. Les gens attendaient autre chose de moi parce qu’ils n’avaient pas suivi mon évolution dans le rap. Je ne pouvais pas arriver avec un projet trop dans le son que j’aime maintenant, donc j’ai sorti cet EP « Le calme sous la pluie » où tu peux retrouver le Rocca que les francophones connaissent, avec quelques saveurs de maintenant, mais que très peu finalement…

« Le calme sous la pluie » est donc un EP qui t’a servi de moyen de transition ?
Tout à fait, je ne voulais pas arriver comme un ovni pour mon retour en France. Avec les différentes expériences que j’ai pu avoir avec le milieu francophone, je savais le genre de galères que ça m’apporterait… Quand j’ai sorti l’album « Elevation », j’étais trop en avance par rapport à ce qui se faisait en rap français et l’album a été compris 5 ans après. Maintenant, les gens redécouvrent mon album « Amour suprême » et ils s’aperçoivent que pour l’époque, les sons que je ramenais… Un morceau comme « lifestyle » c’est du son d’aujourd’hui… Donc par expérience je me suis dit que je n’allais pas m’emballer, j’ai fait « Le calme sous la pluie » en mettant un petit peu de ce que j’aime aujourd’hui, mais en gardant la base de ce que les gens connaissent de Rocca parce que si je ne fais pas ça ils ne vont pas comprendre. Comme j’ai vu que le public n’était pas trop réticent, qu’il n’était ni chaud, ni froid je me suis dit OK. Finalement c’est aussi ça le but d’un EP, ça te permet de sortir quelque chose de très spontané et d’avoir un retour également très spontané. Donc jme suis dit que c’était bon, que pour la prochaine sortie il n’y aurait plus de frein à main, que j’allais venir avec ce que je savais faire aujourd’hui… Suivront ceux qui suivront, moi je sais que ce que je suis en train de faire aujourd’hui, c’est ce qui se fait aujourd’hui. Mais je sais aussi que ça ne va pas plaire à tout le monde, j’ai un public qui est resté coincé sur mes trucs d’avant, ils ne sont pas au courant de ce que j’ai pu faire durant les années où je n’étais pas en France. « Le calme sous la pluie » c’est aussi quelque chose d’aujourd’hui, mais quelque chose que j’ai fait pour un public francophone qui n’a rien à voir avec ce que j’aurais fait avec 3 Coronas par exemple. Parce que mon public francophone est très réticent à cette nouvelle vague qui vient d’arriver, moi je la vis depuis plus de 10 ans aux États-Unis, elle n’est pas nouvelle… Le vrai problème en faisant un EP comme « Le calme sous la pluie » c’est que finalement je ne fais plaisir à personne parce que je suis trop entre-deux, trop ci ou pas assez cela. Mais voilà, personnellement je ne pouvais pas faire un truc seulement à l’ancienne, mais je devais garder cette spécificité quand même pour revenir en France… C’est frustrant, en vérité j’ai travaillé avec un frein à main. Je n’ai pas travaillé comme je le voulais, mais pour moi c’était important aussi parce que c’était une manière de refrapper à la porte, de dire aux gens que je reviens. Je suis là, avec « Le calme sous la pluie » j’ai voulu vous faire plaisir, maintenant je vais me faire plaisir moi. On passe aux choses sérieuses et finalement cet « Le calme sous la pluie » est la transition parfaite entre ce que j’ai pu faire avant et ce que je vais faire maintenant. Ceux qui suivront c’est ceux qui vivent le Hiphop d’aujourd’hui, ceux qui ne suivront pas et bein ils resteront à écouter le Rocca d’avant, mais tu sais, ça ne me dérange pas plus que ça.

Mixtape « Rocca El Chief vol. I et II » disponible sur iTunes dès le 16 septembre.