En l’an de grâce 2014, plus précisément le 13 décembre, l’Undertown affichait un line-up à faire pâlir d’envie n’importe quelle salle programmant du rap. Vald, Nemir et Eriah au cours de la même soirée.
Votre interviewer de service s’y est donc précipité dans le but de rencontrer dans un premier temps Nemir. Et seulement lui. Mais finalement, grâce au trèfle porte-bonheur qu’il porte en permanence sur lui, il est reparti avec un dictaphone plein à craquer. Non pas un, ni deux, mais bien trois artistes sont finalement passés par la case entretien, avec des questions parfois préparées et parfois non. Les réponses des mc’s seront restituées dans l’ordre des entrevues: D’abord Nemir, puis Vald et enfin Eriah, l’enfant de la ville.

Round 1 avec Nemir. Entre colocation, yaourt et vin, le mc de Perpignan est longuement revenu sur la vie en communauté.
 
repreZent : Défi de l’interviewer, je vais essayer de te poser une question inédite. T’a-t-on déjà demandé pourquoi tu avais posé avec ton portable sur la pochette de ton EP Ailleurs ?
Nemir : Nan, jamais… Parce que ça me ressemble… je pense que depuis tout à l’heure, t’as remarqué que tu me parles et que je suis sur mon téléphone en même temps… Alors en fait tout simplement parce que l’on cherchait la pochette du EP. J’avais fait un essai avec un mec de ma ville qui fait des photos et je détestais tout. A un moment donné, je me suis énervé, emporté un peu et j’ai dit : « Écoute, moi je n’aime pas poser, je n’ai pas envie de poser. Moi je fais ma vie, on va se promener, prend des photos et à la fin de la journée, on verra s’il y a quelque chose de cool. » Et à un moment donné, nous étions dans la structure associative dans laquelle je donne des ateliers d’écriture, j’étais sur mon téléphone sur un fond blanc, il a pris la photo…et c’était la pochette. Le truc c’était « ailleurs ». C’était vraiment l’état d’esprit dans lequel j’étais quand il a pris la photo. Je n’étais pas concentré. Et c’est ce qui me définit aussi en général : j’ai toujours tendance à faire plusieurs choses à la fois. On me fait souvent la remarque que je me disperse beaucoup et que j’ai l’air d’être tout le temps ailleurs. Et le portable, j’ai l’impression que c’est une extension de moi-même. Je suis tout le temps concentré dessus, je te réponds en même temps… Ça peut gêner. Des gens peuvent se dire : « il n’est pas avec nous »… Mais mortelle la question, c’est l’histoire de la pochette aussi…
 
Qu’est-ce qui a changé depuis la sortie de ton EP  jusqu’à maintenant ?
On a fait énormément de concerts, énormément de rencontres… ce qui a changé en positif, c’est à peu près ça. Et le côté négatif, c’est que ça nous a créé aussi l’inverse. Parce qu’il y a eu énormément d’attente après le EP : « Ah ouais nickel, le EP nous plaît, il y a un vrai univers, c’est versatile, riche, intéressant. Faut voir la suite, faut que ça tue ».  Et ce fameux « faut que ça tue »,  c’est comme une espèce de chape de plomb présente au quotidien qui a fait qu’en 2014, on a rien voulu sortir. On a voulu se concentrer dans : « qu’est-ce que l’on fait ? », dans quoi on part ? Moi il est hors de question que je refasse deux fois la même chose. Fallait que je trouve des évidences, je les attends toujours… j’en trouve quelques-unes. En tout cas, le truc est quasi fini et ça va arriver en 2015, parce que l’on a tellement payé en 2014 en matière d’immersion, de voyage intérieur. C’était un peu douloureux. On n’a pas que ri, on a aussi pleuré.
 
T’es toujours en coloc’ avec En’zoo ? [beatmaker attitré de Nemir : NDJ]
Oui. On a changé un petit peu de méthode : des fois pendant deux mois, on ne se voyait pas, on travaillait à distance pour que quand on se revoit, la magie réopère. Qu’on se redécouvre aussi. Que chacun ait le temps de bosser son univers personnel. Parce qu’on était tellement un binôme, qu’au final on bossait l’univers global. On s’apportait des choses, mais ensemble. On en a discuté et on s’est dit que chacun de notre côté, on peut essayer de faire les voyages qui nous sont propres, dans les chemins que l’on peut entreprendre.
 
Vis-tu de ta musique ?
Oui. Je suis intermittent du spectacle depuis deux ans, ça va faire la troisième année.
 
Quelqu’un t’a-t-il déjà tenu le discours du « puriste déçu » : maintenant que t’es connu, je t’écoute plus ?
Oui. J’ai même fait un morceau sur ça, sur l’album qui arrive. Je ne fais jamais un morceau sur un sujet. J’essaie d’englober plusieurs sujets qui donnent un tout. Moi je viens d’une école du kick, du freestyle, mais je suis beaucoup plus complexe et multiple que ça. Et aussi d’une école du non-préjugé. Donc je peux me mettre à essayer des choses qui déplairaient à des mecs ou des meufs un peu plus sectaires, qui regardent tout comme étant une agression. Alors que moi je considère le reste comme étant des possibilités. C’est juste une question de regard et de rapport. Donc je pense que j’aurais 10x plus de haters [« haineux » en anglais : NDJ] avec l’album, parce que l’on a élargi le registre. Musicalement, c’est très large. Il y a des trucs très rudes, mais y a des trucs très loin. Très pop, très soul, très jazzy, très reggae. Comme dans tous mes sons, il y a des sous-couches d’influences. Il y a des morceaux super pop mais la couche d’influence « le 4e niveau après le rez-de-chaussée », il est reggae, musique arabe, new soul ; mais le résultat en apparence il est plus pop.
 
Tu chantes sur l’album ?
Oh oui. En parlant de l’album, j’aimerais bien sortir un projet gratuit juste avant. Et le 1er single deux mois après le projet gratuit. Et l’album dans la foulée.
 
On retrouvera En’zoo aux manettes ?
Toujours. Il a tout produit, absolument tout.
 
Concernant ton flow, en tout cas à l’époque de la sortie du EP, tu utilisais la technique « yaourt ». Tu peux revenir dessus ?
Ouais, c’est vrai. Technique « yaourt », c’est que je considérais ma voix comme un instrument qui venait s’ajouter de façon supplémentaire à une composition musicale. Donc pour ça, je trouvais des onomatopées, des gimmicks. J’utilisais ces techniques pour m’enregistrer avant d’écrire mes textes, pour qu’il y ait une prédominance musicale. Aujourd’hui, c’est un peu différent, c’est un peu entre les deux. L’aspect musical est intégré, tellement je l’ai répété. C’est très long à écrire comme ça, par contre. Parce qu’il faut que la voyelle sonne pareil, il faut que je respecte le sujet, et des fois les mots ont leur limite. Si je commence à « yaourter » avec une fluidité comme si je le faisais en cainri [américain : NDJ], donc il y a l’espèce de façon de mâcher et d’articuler, je dois réadapter en français sans perdre cette fluidité de la langue. Mais il y a des compromis qui sont mortels et c’est intéressant, je trouve. Le but c’est de faire swinguer la langue, comme disait Médine de moi, dans un de ses morceaux.
 
Dans une interview accordée à l’abcdrduson, tu dis que « tu n’as pas de règles » dans le processus créatif, que tu fonctionnes à l’impulsion, à l’humeur du moment. Du coup, y a un côté chaotique qui ressort…
Absolument. Heureusement qu’après il y a mon côté très perfectionniste d’après-prod. Mais au départ, c’est toujours très bordélique, c’est un no man’s land. À la base, tu te dis : « Mais comment ils vont s’en sortir, il y a de tout. Ils partent dans tous les sens. » Notre but justement, c’est de se jeter de façon très impulsive. On emmagasine un maximum de matière et on garde 10 % de toute cette matière. Un peu comme les mecs qui sont propriétaires de vignes : ils ont des hectares de vignes et ils font quelques litres de bon vin. Je ne sais pas faire sans la spontanéité du moment. Moi je suis quelqu’un qui a beaucoup d’humour, mais je serais incapable de faire rire si j’écrivais mes sketches par exemple. On m’a souvent fait cette remarque à la fin d’un concert, que je devrais écrire des sketches. Mais je dis non. Je ferais 10x moins rire demain si je préparais. J’essaie de ne jamais préparer, je me jette. J’ai une impulsion, je suis obnubilé par le truc, j’ai trois heures pour l’assouvir. Dans trois heures, l’impulsion est morte. J’aurais déjà assimilé. Et en l’assimilant, je perds ce qui me met le plus en valeur.

Propos recueillis par Skywalk