C’est par une belle fin d’après-midi au Festi’Neuch de Neuchâtel et après un concert de très bonne facture de l’artiste que repreZent est allé interviewer Kery James, mettant ainsi fin à une trop longue absence de nos pages du mc français. Et parce qu’on voulait immortaliser la rencontre de la plus belle des façons, on a demandé à Sven de Almeida de nous accompagner pour faire quelques photos.

 

Peux-tu nous parler de ta première rencontre avec le Hiphop ?
La première rencontre qui a eu un réel impact sur ma vie et ma carrière se passe à la MJC d’Orly, c’était un endroit assez vivant et les débuts du rap en France aidant, il y avait là une activité Hiphop qui était très forte. Il y avait des après-midi danse tous les mercredis, y’avait des gens qui venaient depuis le 95 jusqu’à Orly. Il y avait un groupe de rap qui s’appelait le « Profil Idéal », c’est avec eux que j’ai commencé à découvrir la danse puis je me suis mis à écrire des textes.

À ce propos, est-ce que tu te souviens de ton premier texte ?
Le tout premier que j’ai écrit il me semble que c’était un truc dans lequel je disais « Halte au racisme » après j’avais interprété un morceau sur le premier album de MC Solaar « Qui sème le vent récolte le tempo », le titre était « Ragga Jam »… mais je pense que c’était plus par imitation, je regardais ce que faisais les plus grands, les textes à thème, j’essayais de faire comme eux et donc ce que je disais était un peu la résonance de ce qu’eux disaient.

À quel moment as-tu réalisé que tu pouvais avoir ta propre identité, que tu pouvais aller au-delà de la simple imitation ?
C’est difficile à dire… je pense que c’est venu avec le premier album d’Ideal J qui était un mini EP… même un peu avant en fait.

Et c’est là que tu as senti que le Hiphop pouvait t’apporter quelque chose dans la vie ?
C’était assez complexe en fait puisqu’on a sorti un disque assez tôt, à l’âge de 14 ans on a pu voir certaines choses, on était au Midem à Cannes, on arrivait aux Bains Douches en limousine… il y avait une partie de rêve, mais le rêve s’est vite éteint. Je ne pense pas que je me disais que le Hiphop était en train de m’apporter quelque chose. Ça s’est fait de manière naturelle, ça m’a évité de plonger totalement dans la rue, à l’époque quand même le rap c’était, contrairement à maintenant où tout le monde essaie de tout mélanger, à l’époque le rap c’était vraiment une alternative à la rue. Celui qui était dans le rap on l’appelait un zulu pas une racaille. Maintenant les racailles veulent faire du rap et les rappeurs veulent être des racailles…

Justement, quel regard portes-tu sur l’évolution du rap français ?
Pour moi ça évolue clairement dans le mauvais sens, je ne me reconnais plus du tout dans ce qui se fait, j’ai arrêté d’écouter du rap au début des années 2000 que ce soit français ou américain. Je trouve qu’on a perdu le sens des choses, j’ai du mal à comprendre comment un jeune peut aimer le rap en le découvrant tel qu’il est aujourd’hui. J’ai l’impression que lorsque j’ai découvert le rap ça nous apprenait des choses, pleins de sujets auxquels je me suis intéressé grâce à des chansons de NTM ou d’IAM. Alors qu’aujourd’hui un jeune qui écoute du rap, s’il fait qu’écouter du rap français il va finir abruti…

Effectivement… (ndlr: là c’est le drame, Mr Seavers ne peut rebondir à cette réponse et s’en suit 20 secondes de silence quelque peu gênant)

Est-ce que tu penses qu’une chanson peut changer le monde ?
Je dis toujours que la musique ce n’est pas l’élément capital qui détermine la vie des gens, mais ça peut l’influencer. Quand t’es un jeune des cités, que t’es soumis aux tentations de l’illicite, vendre de la drogue, braquer, etc. Si tu écoutes toujours de la musique qui t’encourage à le faire, tu ne te remettras jamais en question. Par contre si tu écoutes des morceaux qui peuvent te mettre en garde sur les conséquences de tes actes, ça t’empêchera pas forcément de la faire, mais ça aura peut-être pu t’éveiller un peu, de te poser la question et de ne pas croire que c’est quelque chose de normal. C’est nuancé comme réponse donc, je ne vais pas dire que la musique est l’élément capital qui détermine la société, mais la musique participe à entretenir des choses dans une société ou elle peut contribuer à les faire changer. Toutes les révolutions avaient leur chanson… les gens auront toujours besoin d’une « bande originale » pour le film de leur vie.

Avant on parlait de l’évolution du rap français, ne pense tu pas que tout cela n’est pas révélateur d’un changement des intérêts et des préoccupations de la jeunesse, y’avait 20 ans on pensait encore pouvoir changer le monde alors qu’on a un peu l’impression que les jeunes d’aujourd’hui sont résignés…
C’est intéressant ton point de vue, je n’avais jamais regardé sous cet angle là. Je pars vite dans la dureté, la fermeté dans mon analyse, mais c’est vrai que c’est un peu comme si tout le monde avait baissé les bras, comme si les rappeurs avaient baissé les bras… Je n’avais jamais réfléchi sous cet angle là. Plus personne ne croit en rien, la politique, les médias, etc. Le message n’est plus la priorité, on est dans le paraître maintenant… La musique superficielle va plus marcher que quelque chose de profond… Toute la société va dans ce sens-là en fait.

Justement en parlant du message, quand on dit Kery James les gens disent souvent que « quelques chansons ça va », mais écouter un mec me faire la morale ça me fatigue…
Je comprends, après j’ai essayé de faire en sorte que dans mes albums ce ne soit pas que ça. Si tu écoutes « À l’ombre du show-business » ou « Réel », ce n’est pas vraiment ce que j’appelle des albums moralistes, mais en même temps il faut bien que ça existe par rapport à tout ce qui est là et qui en est l’antithèse.

Malgré tout tu restes comme mis à l’écart médiatiquement, est-ce que tu penses que tu déranges ?
Je pense que je ne serai jamais ce qu’on appelle un bon client pour les médias parce que j’ai des prises de position qui ne vont pas forcément dans leur sens. Je peux dire des choses que tout le monde peut reconnaître comme étant dans l’intérêt commun, mais je peux aussi dire des choses qui peuvent déranger… Et moi-même personnellement je ne suis pas à l’aise dans les médias, volontairement je ne vais plus à la télé, car j’y ai eu de très mauvaises expériences et puis voilà, ça ne m’intéresse pas. Je suis quelqu’un de nuancé, je ne suis pas un pacifiste complet, je ne suis pas non plus dans l’excès de violence… J’aime bien dire que je suis un pacifiste avec une arme, je suis nuancé et à la télé t’as pas le temps de faire dans la nuance. À la télé il faut soit qu’ils me présentent comme le rappeur repenti musulman ou comme le dangereux mec de banlieue… Ils te laissent pas le temps pour la nuance, là on a le temps de parler, mais ce serait impossible en télé, tu dois aller vite au but, prendre des raccourcis et au final ils se servent plus de toi que le contraire.

Revenons un peu à la musique pour terminer… Et si maintenant tu étais en face de toi à tes débuts, qu’est-ce que tu te dirais ?
Je serais partagé… je serais vraiment partagé, car tout ça m’a amené… il y a plein de choses que j’aurais pu éviter si je n’avais pas fait de musique, mais c’est très possible que j’ai évité plus de choses bien plus grave grâce à la musique…

Mais tu te donnerais quoi comme conseils artistiques ?
Je n’aurais rien d’autre à lui conseiller que de lui dire d’écrire, d’écrire ce qu’il ressent. C’est la meilleure façon d’avoir la chance que des personnes puissent se reconnaître dans ce que tu fais, d’écrire ce qu’on ressent vraiment.

Et pour le futur de Kery James ?
Pour le futur alors le rap tel que j’ai pu le faire ce soir ou dans le dernier album pour moi c’est vraiment terminé, mais ça ne veut pas dire que j’arrête l’écriture ou que j’arrête de rapper. Mais je vais faire ça dans une forme beaucoup plus acoustique, avec du chant. J’ai fait des expériences beaucoup plus acoustique que le rap et j’ai vu que je m’y sentais beaucoup mieux. Dans le rap j’ai l’impression que j’ai fait le tour, et surtout le rap nécessite certains codes, il faut que ça reste du rap, tu dois rester dans certains codes, et même des codes d’écriture ce qui fait que tu restreins ton écriture et j’ai envie de sortir de ça pour aller ailleurs sinon j’aurai l’impression de me répéter.

Et pour terminer notre dernière question traditionnelle, qu’est-ce que ça signifie pour toi le terme « repreZent » ?
Pour moi c’est avant tout représenter ceux que l’on prétend défendre et j’essaie de le faire de la meilleure manière possible.