L'Interview de Gaël Faye

C’est à Gaël Faye que repreZent a tendu son micro lors de son passage au Paléo. Un Gaël Faye à l’image de sa musique; positif et ouvert et qui nous avoue ne plus avoir beaucoup de demandes d’interview de la part de médias spécialisés Hiphop. Un Gaël Faye qui donc nous fournit la première question d’une interview qui se révélera finalement bien plus Hiphop que la majorité de celles que l’on peut avoir avec certains rappeurs… Mais est-ce une surprise ?

Tu nous disais que les médias spécialisés Hiphop s’intéressent de moins en moins à toi, comment explique tu cela ?
Je ne me suis jamais vraiment posé la question, il faudrait y réfléchir car il y a certainement une explication rationnelle. Je me rends compte qu’il y a beaucoup de gens qui écoutent du rap mais qu’ils s’en foutent de la culture Hiphop. Il y a plein d’auditeurs de rap qui se foutent de ce qui s’est passé avant, ils écoutent juste le truc qui marche maintenant, mais ils n’écoutent pas du rap d’avant… Moi quand j’ai commencé à écouter du rap j’englobais ça dans un tout, j’avais des potes breakers, graffeurs, etc. c’était bien plus global. Et puis surtout, tout ce qui sortait dans le rap m’intéressait. J’allais vraiment chercher tout, je ne restais pas fixé sur un artiste, vraiment j’essayais de tout écouter, de lier les différents crews, je lisais les dédicaces sur les albums… je ne sais pas, c’était peut-être plus un truc de passionnés…

Est-ce que tu penses que c’est aussi lié au fait que ton public n’est pas vraiment un public rap ?
Ce public-là, ce public rap dont tu parles, je ne vois pas ce qu’il écoute. En tout cas moi comme je me l’imagine, un public de b-boys tu vois… je ne sais pas où il est aujourd’hui, j’ai l’impression que même les trucs de rap qui fonctionnent maintenant c’est pas grâce à des gens qui sont vraiment dans le mouvement. Je ne sais pas trop, mais finalement c’est peut-être une bonne chose, ça veut dire que le rap est devenu simplement une musique, que ce n’est plus une secte (rires). Mais je l’aimais bien moi ce côté-là, quand on faisait les block-partys, les concerts sauvages à Paris… enfin jte parle de ça quand j’avais 15 ans, quand je suis arrivé en France. On était toujours les mêmes aux mêmes endroits, finalement même les gens du public se connaissaient. Par la suite, j’ai aussi connu ça avec le slam, c’était pareil avant que ça explose médiatiquement. Aujourd’hui tout est tellement développé, les rappeurs se connaissent moins les uns les autres… enfin je ne sais pas vraiment, je ne fais qu’émettre des idées comme ça… Et puis il y a aussi le côté qui fait rêver, à l’époque on n’avait pas accès facilement aux choses, aux albums qui sortaient, etc. On attendait d’acheter Radikal pour lire les chroniques, d’écouter ton émission spé pour finalement acheter l’album, vraiment l’acheter, le tenir dans les mains, lire les crédits, tout ça, on prenait le temps. Maintenant, je vois comment les gens fonctionnent, enfin les gens qui viennent à nos concerts, les chansons qu’ils connaissent le plus ce sont celles qui sont clippées, qu’ils ont découvertes sur internet, mais ils s’en foutent un peu de ce qui était là avant moi. Quand on fait des hommages aux X-Men ça ne va pas les pousser à aller écouter les X-Men par exemple.

C’est étrange parce qu’on pourrait justement penser que ton public est plus ouvert aux découvertes…
Oui il est ouvert mais il considère ce que je fais simplement comme de la musique… C’est plus du genre : ils sont allés à un festival, ils ont regardé un concert de rock c’était bien, regardé un concert de Hiphop c’était bien, etc. J’ai l’impression que ça va plus dans ce sens. Et puis aussi je n’ai pas les codes du Hiphop comme on pourrait se les imaginer… Quand on me voit on se dit plus « Ah ça doit être un slammer voir de la chanson française ». C’est des gens curieux, mais pas parce qu’ils sont passionnés de Hiphop, ils sont ouverts, mais pas forcément intéressés par le Hiphop.

Finalement ce fameux public qui dit « Généralement je n’aime pas le rap, mais ça, j’aime »…
C’est malheureusement souvent ça et je dois dire que j’en ai marre de ce truc-là.
Je pense que c’est toujours ce truc que l’on a quand on est artiste et qu’on écrit une chanson engagée, tu sais que 99 % des gens vont passé à côté, juste prendre ça comme un morceau parmi tant d’autres, et puis il y a peut-être une personne que ça va réveiller et elle aura un engagement concret sur le terrain. Je pense que c’est pareil pour mes auditeurs, la plupart écoutent parce qu’ils se disent que c’est cool, que ça passe à la radio, etc., et puis il y a peut-être 2 % des gens qui vont vraiment écouter attentivement, et ça va vraiment changer quelque chose… peut-être même un peu leur vie. Enfin comme pour moi certains artistes ont changé ma vie. Il y a peut-être dans mon public un gamin de 13 ans qui va vraiment changer son approche de ma musique et pousser plus loin tous mes lyrics, voir ce que je dis dans mes textes, voir les références, etc. Enfin j’ose espérer ça, quand je parle de Jean-Paul Gouteux dans un de mes textes ce n’est pas juste du name-dropping, j’espère vraiment qu’un gamin de 13 ans va aller chercher sur internet de qui je parle, peut-être acheter son bouquin, le lire et en savoir plus sur le Rwanda. C’est un rêve, enfin un voeu…

Donc tu fais partie de ceux qui pensent qu’une chanson peut changer le monde ?
Changer le monde catégoriquement non, mais tu peux faire prendre conscience de certaines choses, des gens avaient une trajectoire et ils peuvent un peu la dévier parce qu’ils ont découvert ton album, un peu comme après une discussion avec quelqu’un.. C’est uniquement ça, tout peut avoir une incidence, mais c’est important de savoir que la musique a aussi ce pouvoir-là.

Justement qu’est-ce que la musique a changé chez toi, et plus particulièrement le Hiphop ?
Il a changé beaucoup de choses… Il m’a permis d’avoir confiance en moi, de sortir la part de création que j’avais en moi. Je pense que s’il n’y avait pas eu la culture Hiphop, comme je ne jouais d’aucun instrument, je savais que je voulais écrire, mais je ne savais pas comment le faire… j’écrivais des poèmes, mais je les gardais pour moi, jamais je n’aurais osé les réciter à quelqu’un. Et c’est parce qu’un jour j’ai découvert ce truc qui me permettait de gratuitement le dire, l’exprimer sans véritables codes, dans une liberté totale. Le Hiphop m’a ouvert aux autres et surtout j’y ai trouvé une famille, des gens qui t’acceptent. Ça m’a permis d’être moi.

Et comment as-tu découvert le Hiphop ?
La première fois c’est un peu comme tout le monde, tu regardes la télé, tu écoutes la radio… moi j’étais au Burundi donc c’était des artistes internationaux qu’on entendait. Le premier clip c’est Public Enemy, les premières chansons à la radio c’était Benny B, MC Solaar… Et puis après quand je suis arrivé en France j’écrivais des poèmes, dans ma classe en seconde il y avait un breaker et dans la mjc où il allait tous les samedis il y avait un groupe de rap qui cherchait un rappeur, comme il pensait que je rappais il m’a mis en contact avec eux. Donc je suis allé dans cette maison de quartier, j’ai passé un casting… Ils ont trouvé bien mes textes et tout a commencé comme ça, j’étais minot, j’avais 15 ans.

Est-ce que tu penses que si tu avais 15 ans maintenant tu retrouverais cette même énergie Hiphop, ce breaker qui voit un mec écrire dans sa classe et lui propose de venir faire du rap…
J’espère que ça existe encore, mais franchement je ne sais pas du tout, mais je pense que ça doit encore exister tout ça, les mecs qui dansent, les mjc, les gars qui graffent à côté… Après je ne sais pas si les gens y accordent encore autant d’importance, s’ils considèrent que c’est quand même un combat. Parce qu’il y a aussi ça que j’aime dans l’esprit Hiphop, c’est que c’est un combat, pas forcément un combat social, mais le truc de combattre pour être ensemble, de ne pas oublier le copain qui est à côté… partager le cake comme disait Iam. C’est ce truc-là pour moi, ce n’est pas carriériste ou individualiste. Pour moi le Hiphop c’est le partage. Malheureusement c’est un état d’esprit qui se perd, enfin surtout quand tu arrives à nos niveaux, quand tu as un projet un peu médiatisé et tout, là tu as les tentations de dire « là c’est mon steak, c’est à moi, c’est pour moi. ». Et tu oublies que si tu es là c’est parce que tes potes t’ont soutenu sur tes premières rimes toutes pétées… qu’un dj te filait des sons pour que tu puisses t’entraîner… J’essaie de garder cet état d’esprit, ce partage avec les autres. On fait des ateliers, des concerts gratuits, on offre des scènes à des jeunes, etc. Et quelques fois ça devient concret, on avait un copain à qui ont donnait nos premières parties et finalement il a été signé et a pu sortir son album et maintenant ça marche plutôt bien pour lui (ndlr : il s’agit de Jali). Tu vois avec lui ça a débuté comme ça : on avait un concert à Bruxelles, je savais qu’il faisait de la musique et donc je lui ai dit de venir faire un truc, on a trouvé ça bien, ensuite on a enregistré le morceau avec lui pour notre album de Milk Coffee & Sugar et ensuite à chaque fois qu’on faisait un concert à Paris il faisait nos premières parties… et maintenant c’est lui qui m’invite. C’est comme ça, mais ce n’est pas un truc du genre « c’est mon écurie », parce que maintenant c’est un peu comme ça, genre « ça m’appartient, c’est mes ptits », non l’idée c’est « on est ensemble », on se soutient.

Finalement tout ça c’est un peu la base de la culture Hiphop…
Pour moi le Hiphop c’est surtout dans la tête, c’est des trucs que tu vis, c’est une démarche. Un état d’esprit qui pour moi est de s’amuser, de faire réfléchir, d’être positif, d’être dans une sorte de combat volontariste… ce n’est pas de l’entrepreneuriat, je pense que c’est aussi ça qui a bouffé le Hiphop, faut faire des sous, etc. Pour moi c’est plus être volontaire, vouloir changer les choses, mais positivement avec notre musique. Et puis surtout c’est ouvert à tout le monde, tu n’as pas besoin de connaître le solfège ou autre, si t’as un truc à dire tu peux t’exprimer. C’est ça pour moi être Hiphop, tu peux, tout le monde peut… C’est exister en fait, c’est ça le véritable esprit du Hiphop pour moi. Faire exister un truc qui ne devrait pas exister et qui en plus existe sans moyens. Là on a des musiciens et tout, mais s’il fallait le faire a capella on le ferait comme ça et on l’a fait plein de fois. C’est un truc spontané… Mais je ne veux pas qu’on me prenne pour un théoricien du rap, surtout pas. Pour moi la définition elle est intéressante à partir du moment où chacun a sa définition. Chacun a son truc et c’est ça qui fait que c’est très fort.

Et pour terminer, comme tu es sur le site repreZent.ch, est-ce que tu penses que ça veut encore dire quelque chose repreZenter de nos jours ?
En tout cas pour moi ça veut toujours dire quelque chose ! C’est encore et toujours ce truc d’exister pour moi, on parle des choses qui sont mises sous silence. Donc repreZent, là j’ai mon porte-voix, mon micro, ma poska… et je vais dire les choses parce que je me sens pas tout seul, je me sens soutenu. Derrière moi il y a tous ceux qui font que je suis là où j’en suis. Donc je suis aussi leur voix, celle des sans voix. Moi quand je fais une chanson qui parle du Rwanda pour moi c’est repreZent… c’est repreZent… sinon on n’en entendrait pas parler.