L'Interview d'Apollo Brown & Guilty Simpson Au Royal Arena

Le Royal Arena version 2013 était très intense pour repreZent, et pour continuer de faire vivre ces moments on vous propose de lire les interviews qu’on a pu réaliser sur place. Cette semaine, place à Apollo Brown et Guilty Simpson qui ont très gentiment répondu à nos questions tournant toujours autour de leurs rapports avec le Hiphop, de leurs débuts jusqu’à maintenant.

 

Est-ce que vous pouvez nous raconter vos premiers souvenirs en lien avec le Hiphop ?
Apollo Brown : C’est un peu cliché comme réponse, mais mon père avait acheté le disque de « Rapper’s Delight » donc c’est mon premier souvenir direct avec le Hiphop. Enfin même si à l’époque je ne savais pas ce que c’était, pour moi c’était juste une chanson, je n’avais aucune idée de ce qu’était le Hiphop. Par contre, le premier album que j’ai eu c’était « He’s the DJ, I’m the Rapper » de Will Smith et Jazzy Jeff, c’est avec cet album que j’ai fait mes premiers pas dans le Hiphop « moderne ».

Guilty Simpson : Ça devait également être « Rapper’s Delight », mais le premier son que mon père écoutait et qui m’a vraiment marqué c’était « The Message ». Je trouvais mon père tellement cool à l’époque, il connaissait le morceau par coeur… je me souviens encore de mon père qui le rappe à la maison. C’est étrange d’ailleurs en y repensant, mon père fait partie de cette génération qui a fait le Hiphop sans le savoir, il n’est pas de la génération Hiphop comme on peut l’être, mais lorsque les choses sont sorties il était là, il connaissait les textes et tout. D’ailleurs si l’on reprend « The Message » maintenant, le sujet, la façon de décrire les choses, c’est très contemporain en fait. C’est encore d’actualité. C’est ça la beauté du Hiphop, tu peux le mettre dans une machine à traverser le temps, l’envoyer dans le futur il aura toujours une signification, quelque chose à raconter. Sinon je me souviens également d’un morceau d’Eazy E « Still Talkin’ Shit », c’était un son que j’adorais, tu sais ces premiers sons que tu écoutes un peu en cachette parce que tes parents ne veulent pas que tu les écoutes… ça m’a libéré en quelque sorte. Je peux me souvenir des sensations que je ressentais lorsque j’écoutais ce morceau, et ce même si je ne savais pas encore ce que le Hiphop allait devenir dans ma vie. Tout ce qui m’intéressait c’était d’écouter les rappeurs et d’écrire toutes les paroles de leurs textes, d’être en mesure de voir sur le papier ce qu’ils rappaient. C’est un de mes premiers souvenirs avec le « genuine Hiphop », retranscrire les rimes des mcs dans mon cahier.

Apollo, on voudrait revenir un peu sur ta « pause », ce retrait par rapport au monde du Hiphop, comment en es-tu arrivé là ?
A.B. : Tu sais à cette époque je ne réalisais pas qu’il y avait une « fan base » pour le style de rap que je produisais, j’étais fatigué de ce que je pouvais entendre tout le temps à la radio ou à la télé jusqu’à en être dégoûté. Ce n’était pas mon genre de musique, ce n’était pas le genre de musique que je voulais faire et pourtant c’est ce que les gens semblaient apprécier, donc pourquoi continuer ? Pendant ces deux ans pour moi tout était terminé, la production était derrière moi, je n’ai pas refait un seul beat, je ne m’y intéressais vraiment plus. Et puis il y a eu un cousin à moi qui m’a rendu attentif à ma « fan base », il m’a fait comprendre qu’il y avait un public pour ce que je faisais, des amoureux du boom bap, du « old fashioned real hiphop ». Quand j’ai réalisé qu’il avait raison, que tout n’était peut-être pas fini alors je m’y suis remis… Et quand je vis des moments comme aujourd’hui, les concerts, les festivals, le contact avec ce public je suis vraiment heureux et fier d’être revenu.

Toi qui as été dedans, qui es ressorti et y es revenu, comment vois-tu l’évolution du Hiphop ?
A.B : À mon avis, le Hiphop fait fausse route commercialement, c’est quelque chose d’un peu étrange d’ailleurs, l’argent a toujours été présent dans le rap, mais il ne l’est plus de la même façon que dans les années 90. Mais pour moi ce qui est vraiment différent c’est la façon de faire la musique, de créer qui a radicalement changé. C’est sans aucun doute la plus grosse évolution de ces dernières années, la façon de faire la musique et de l’aborder. Il est tellement aisé maintenant de faire de la musique, pour n’importe qui… Acquérir un peu d’équipement ou des softs et commencer à faire des beats, acheter du matériel d’enregistrement et commencer à s’enregistrer… Même si tu n’as aucun talent, c’est facile de rapper, de s’enregistrer et de diffuser ta musique… et même de trouver quelqu’un qui va l’aimer… Est-ce que je suis d’accord avec ça ? Non. Mais il faut reconnaître qu’il y a un nombre incalculable de rappeurs sans talent qui sortent chaque jour, sans aucun intérêt, sans aucune qualité… et pourtant… Enfin je ne sais pas, c’est une évolution dans la façon de faire de la musique, mais je reste persuadé qu’il faut des années, pas uniquement pour un producteur, mais aussi pour un mc pour faire de la musique de qualité. Je me fous de la rapidité à laquelle tu deviens célèbre… Ce n’est pas ça l’important finalement. Donc voilà, la façon de faire la musique a radicalement changé, tout comme celle de la distribution avec internet, tu n’as plus besoin des MTV ou des radios pour diffuser très largement ton son. Bon pour des artistes comme nous qui ne sommes pas diffusés en radio c’est plutôt une bonne chose, je veux dire on est en Suisse là, en train de vous parler, on fait des concerts… Tout ça, c’est aussi grâce à cette évolution qui peut être positive, internet te permet d’amener ta musique très rapidement et facilement auprès de tes auditeurs.

G.S. : Pour ma part, je dirais qu’actuellement le Hiphop sert à vendre, si tu veux vendre un truc il suffit d’y mettre du Hiphop ou de le mettre dans un morceau et ton produit va se vendre… Le Hiphop est devenu comme le sexe, il fait vendre… Et si personnellement je pense que ce n’est pas juste, je ne sais pas si l’on peut dire que ce soit totalement mauvais ou totalement bon. Mais je me dis que quelque part on a perdu le sens de la valeur du Hiphop, ce qu’il signifie. Des gens deviennent des stars du rap sans jamais vraiment avoir été dans la culture Hiphop… Alors que pour moi le Hiphop est un combat, on en a fait sans promoteurs, sans argent, uniquement par amour. C’était dur et c’est pour ça qu’on l’aime. Si tu acquiers des choses trop facilement c’est plus difficile de les aimer à leur juste valeur, alors que lorsque tu te bats pour y arriver ce sera à jamais en toi… Vivre des moments comme ceux que l’on vit actuellement, avoir dû se battre pour les avoir les rend d’autant plus précieux, à l’inverse si tu deviens une star en une nuit, tu vas vouloir que tout se passe en une nuit, tu n’auras pas la patience ni la force de te battre… Et au final on perd tout ce qui fait le Hiphop et un artiste, c’est pour ça qu’aujourd’hui tu as autant d’imitations, les gens ne font que des variations du truc qui marche sur le moment, ils n’essaient pas d’être eux-mêmes, ils ne font que suivre. Mais quand tu vas au combat, que tu comprends ce que c’est alors tu te fous de ce qui marche, tu veux vivre en étant toi, c’est ça les fondements du Hiphop pour moi, de s’en sortir en faisant les choses correctement, comme elles te correspondent. J’aurais souvent pu faire des hits, des morceaux qui auraient fait de moi quelqu’un de bien plus célèbre que je ne le suis, mais ce n’est pas ce que je recherche. Quand tu sors quelque chose, tu dois pouvoir l’assumer encore 20 ans après, c’est ton âme qui doit parler en quelque sorte… Et quand j’entends certains trucs, je ne suis pas certain que les rappeurs qui les rappent seront fiers de leurs sons plus tard, qu’ils ne se sentiront pas un peu embarrassés en réécoutant certains de leurs textes… Pour moi l’évolution elle est là, je ne peux pas dire si c’est mauvais ou pas, ce n’est pas mon but, je veux juste être un artiste. Mais n’oublions pas que le Hiphop a été créé à partir de rien, des samples de James Brown, des djs et des mcs, et encore les mcs n’étaient même pas des rappeurs, ils ne faisaient que chauffer le public… On vient de là ne l’oublions pas et rien n’arrêtera le Hiphop car il y aura toujours quelqu’un pour se souvenir de ce que c’est, de faire vivre cette flamme. Les fondations sont solides et survivront quoi qu’il arrive, ce n’est pas des stars d’un jour qui pourront détruire cela, tant qu’il y aura des gens pour faire vivre cet esprit Hiphop des débuts le Hiphop survivra.

Justement, on vient de fêter les 40 ans du Hiphop, qu’est-ce que vous pouvez lui souhaiter pour les 40 prochaines années ?
G.S : J’aimerais que les mcs continuent de se préoccuper de rapper, les producteurs de produire… À une époque, on pouvait aimer Will Smith et N.W.A en même temps, personne n’allait te juger pour ça. Pour moi être capable d’apprécier Will Smith et N.W.A c’est ça qui a fait et fera la force du Hiphop. Ce n’est pas que Will Smith est supérieur à N.W.A ou l’inverse… Des gens qui sont bien dans leur peau, dans leur style, dans leur musique sans dénigrer le style de l’autre, c’est ça que je souhaite au Hiphop. Le Hiphop sera encore là quand je ne serai plus là, les enfants de mes enfants pourront en écouter si les artistes continuent non pas d’imiter, mais de chercher à toujours aller plus loin, de monter le niveau à chaque fois. Je pense que si les artistes (mcs et producteurs) font tout pour être à chaque fois meilleure que les autres alors le Hiphop sortira vainqueur. Il faut que l’on puisse regarder dans 40 ans avec fierté ce qu’on fait aujourd’hui, qu’on se sente bien avec sa musique.

A.B : Je suis d’accord avec ce qu’il vient de dire, que chacun fasse de son mieux. Je m’en fiche de ce que les gens aiment, mais assurons-nous de faire de la musique de qualité. S’assurer que l’on fait ce que l’on aime, ce que l’on veut faire et pas uniquement faire les choses en fonction de ce que les autres veulent ou pensent, de ce qui passe à la radio ou non. Il faut travailler à faire des choses de qualité avant tout, des choses que l’on ressent.

Pour terminer, est-ce que vous pensez que le terme « repreZent » signifie encore quelque chose en 2013 ?
A.B : Sans aucun doute, tu dois représenter qui tu es, ta famille.. Tu représentes beaucoup de choses en fait de nos jours… avec Guilty on représente Detroit, mais également les USA, et le Hiphop… Il représente sa famille, je représente la mienne… Je veux dire représenter… Quand tu es en public, tu dois te souvenir que tu représentes toujours bien plus que toi-même. Tu dois être conscient de tous les gens, de tout ce que tu peux représenter à l’extérieur… En fait on représente le monde en quelque sorte…

G.S : Je pense que le terme repreZent n’a jamais été désuet parce qu’on a toujours voulu développer les choses au mieux que l’on pouvait, de faire des choses que d’autres ne pouvaient pas faire pour justement les représenter. C’est les fondamentaux d’un artiste Hiphop, si tu ne représentes rien alors tu es perdu… C’est le plus important, d’ailleurs quand tu reviens chez toi, dans le quartier où tu as grandi c’est la première chose que les mecs te disent « j’aime la façon dont tu représentes ta ville, ton crew… ». Quand on parle de représenter ce n’est pas l’idée d’où l’on va, mais d’où l’on vient. C’est pour ça que je pense que le mot repreZent sera toujours aussi fort, que je le garderai toujours dans mon coeur. Représenter ma ville, représenter mon crew, représenter J. Dilla… tu représentes qui tu es et tu es ce que tu représentes, c’est le plus important pour un artiste Hiphop.