Madame Marie-Pierre Genecand, il ne vous a fallu que quelques lignes (ici) pour passer de la tragédie qui a touché Paris ce week-end au rap de Kaaris. J’ai beau lire et relire votre texte, je ne comprends pas où vous voulez en venir et encore moins comment vous essayez d’y parvenir. J’ose espérer que vous n’avez pas pris ce raccourci qui mène du terrorisme à l’islam, de l’islam aux banlieues, des banlieues au rap… mais je dois avouer que je ne trouve pas d’autres explications. Votre billet aurait pu rester anecdotique, malheureusement vous n’êtes pas la seule à réfléchir ainsi et si pour les connaisseurs votre raisonnement ne réussit qu’à démontrer votre méconnaissance du rap, pour les lecteurs non initiés il ne fait que creuser ce fossé entre les générations et les classes sociales que pourtant vous semblez vouloir dénoncer.

Ainsi donc pour vous le rap ne vaut pas uniquement s’il est conscient, il doit en plus être pacifié, policé afin de ne pas heurter vos oreilles et votre sensibilité et ainsi livrer un message parfaitement en adéquation avec l’idée que vous vous faites du rap, à savoir un rap modéré. Mais le rap ce n’est pas ça, ça ne l’a jamais été. J’ai cru un instant que vous en saisissiez les nuances lorsqu’en parlant de Kaaris vous nous dites qu’il exploite une colère qui n’est pas gérée par les autorités. Malheureusement votre raisonnement s’arrête là, vous faites d’ailleurs le même reproche au Kery James des débuts, lorsqu’il appelait à la révolte. Aucune réflexion de votre part sur les sources de cette violence, sur ce besoin de la jeunesse d’exprimer son mal-être à travers des chansons. Non, vos préjugés vous cantonnent à caricaturer. Enfermée dans vos préjugés vous êtes incapable de saisir le fond du sujet. Tout ce que l’on peut être amené à croire en lisant vos quelques lignes c’est qu’il existe une seule et unique façon d’exprimer sa colère, toutes formes sortant du cadre que vous fixez n’étant pas pertinentes. Mais expliquez-moi alors comment comprendre les raisons de la colère si l’on se refuse à la considérer.

Pour vous un bon rappeur se doit donc, non seulement, de dénoncer une situation de façon poétique, mais en plus il doit proposer des solutions tout en assurant le lien entre des mondes que tout oppose. Un modèle finalement très libéral qui minimise au maximum les devoirs de l’État envers une certaine partie de sa population. Un état de fait parfaitement compris par ces mêmes rappeurs que vous dénigrez. Une situation qu’ils expriment chacun à leur manière à travers des textes dans lesquels ils expliquent que la seule façon pour leurs proches de s’enrichir est illégale. Et si pour vous ils prônent simplement une vie de gangster, pour moi ils ne font qu’exprimer ce que pensent leurs auditeurs ; si l’État nous met de côté alors on se débrouillera seul, par tous les moyens nécessaires. Que ce soit en vendant de la drogue, en braquant des banques ou en le racontant à travers des morceaux de rap. Car c’est ça l’essence du rap, conter son quotidien, son environnement, exprimer son ressenti, parfois s’échapper de sa réalité en utilisant les multiples formes offertes par le rap.

Mais quoi qu’il raconte, au final le rap est et restera toujours à l’image de ce qui l’entoure, sorte de miroir de son époque. Le rap est violent ? La société est violente. Le rap est futile ? La société est futile. Le rap est égoïste ? La société est égoïste. Le rap est matérialiste ? La société est matérialiste, etc. Pour bien saisir cela il faut écouter plus qu’un Kaaris et un Kery James, mais votre schéma de pensée binaire s’y refuse, pour vous le rap ne sera jamais vraiment de la musique, encore moins un art. Pour vous le rap c’est une sorte de grand-frère qui doit aider les autres, combler les lacunes de l’État, construire des ponts que les personnes comme vous détruisent à force de stigmatisations, oubliant que le rap reste avant tout de la musique, une forme d’art, rien de plus, rien de moins.

Joram Vuille
rédacteur en chef