Anciennement membre du groupe Loud x Lary x Ajust, le montréalais Loud vient de sortir « Une année record » son premier album solo qui a eu l’effet d’une bombe chez repreZent. On a donc décroché notre téléphone et virtuellement traversé l’Atlantique afin de s’entretenir avec lui, un moyen de faire connaissance avec un artiste qui ne tardera pas à devenir une valeur sûre du renouveau du rap francophone.

Avec ton groupe vous aviez un univers musical très trap ce qui n’est plus vraiment le cas dans ton album, pourquoi un tel revirement ?
Pour 2 choses je pense, d’abord c’est un album solo, un projet plus personnel. Les sonorités trap, cette ambiance ne se prête pas tant à raconter des trucs personnels à mon avis. Avec Loud x Lary x Ajust on était plus jeunes aussi, c’était nos influences de l’époque, une énergie que l’on ressentait. On était en groupe, c’était de la musique que l’on faisait pour faire des spectacles donc ça correspondait bien à ce style de rap. Pour le projet solo, même si on y retrouve quelques trucs trap, c’est plus une étendue de toutes mes influences, de mes goûts.

Je lisais dans un entretien que tu as fait pour Le Devoir, que tu avais pris des risques pour ce projet, que tu étais allé « plus loin à gauche »…
En fait on est surtout allé dans un truc plus pop, plus accrocheur, plus mélodieux.

Toujours dans cet entretien, tu soulevais quelque chose de très intéressant, tu disais qu’en faisant un album un peu plus pop tu sortais de ta zone de confort.
C’est nouveau pour moi, ce n’est pas quelque chose qu’on a prouvé à nous autres qu’on pouvait faire. Il y a toujours cette part d’inconnu quand on explore de nouveaux thèmes, des nouvelles sonorités, ou juste des nouvelles méthodes de faire. C’est différent des choses qu’on a déjà faites et dont on connaît le résultat. Il est là le risque, dans cette zone d’inconnus.

Quelles sont la part d’influence d’Ajust et Ruffsound dans ce tournant ? C’était une volonté commune ?
Oui c’est une idée commune, tous les trois on avait envie d’aller dans ce sens, c’était quelque chose que je voulais faire depuis longtemps. J’écoute beaucoup de pop, et je voulais explorer ce style, c’était pareil pour Ajust et Ruffsound. Je pense qu’on était prêt en même temps à se lancer dans ce truc. Ruffsound avait déjà fait ça pour d’autres artistes, des artistes pop, donc il avait déjà ce bagage, cette faculté de rendre la chanson comme on la voulait.

La comparaison est facile, mais on sent quand même comme une influence de Drake dans ton album…
Forcément, c’est une influence à mon avis, c’est même un des artistes les plus influents de ma génération. Il a aussi une influence sur le reste du game, mes autres influences sont aussi influencées par lui, son son est devenu un peu comme un standard. C’est comme Kanye ou Jay, c’est des standards qui se retrouvent dans la musique de tout le monde.

Ton album est très personnel, ça se ressent particulièrement au niveau de l’écriture, t’avais des choses à sortir ?
Oui quand même, et c’est aussi ce que j’apprécie chez les artistes que je suis de près, c’est cet aspect-là, ce lien direct avec la personne. C’est ce qui m’a toujours le plus intéressé dans les artistes que je suis et que je suis encore. Pour moi faire un album solo c’était la seule manière, une façon évidente pour le faire, pour être plus personnel.

Même en faisant un album à connotation pop, on garde des textes très rap, avec des mises au point, des punchlines…
Faut pas que ça prenne trop de place non plus, c’est pas le but de mon album, mais le rap est quelque chose de très compétitif, c’est d’ailleurs ce qui est très intéressant dans le rap par rapport à d’autres musiques. On est parfois plus dans une sorte de sport qu’un art. Il y a parfois des comptes à régler, des choses à clarifier ou des simples mises en garde pour affirmer nos positions.

On ressent également une sorte de schizophrénie dans tes rapports à la gloire, tu la convoites pour mieux la rejeter…
C’est vrai que c’est particulier, c’est ce que l’on recherche, on fait tout pour que ça arrive… mais personnellement mon but n’est pas d’être vu partout, je suis plus à la recherche du succès que de la célébrité. Mais des fois les deux viennent ensemble, et si on peut parfois avoir l’impression que c’est ce que l’on recherche, dans le fond on cherche surtout à réussir pour pouvoir vivre de ce que l’on fait, pas pour le prestige d’y arriver.

Devenir immortel puis mourir en quelque sorte… puis être enterré sur du Prodigy, mais quelle chanson en fait parce que ça peut faire des très longues funérailles…
Sur l’album Hell on Earth… n’importe quel morceau de cet album, c’est l’album de mon enfance.

Pour nous européen il y a un côté un peu déconcertant dans cette facilité que tu as à mélanger le français et l’anglais… c’est un plus selon toi ?
J’ai entendu les deux, autant pour l’accent que pour le franglais. Pour certains ce n’est pas possible et pour d’autres c’est justement ce qui fait la différence. Ça peut être un avantage dans le sens où ça peut nous démarquer, ça peut être confus pour certains qui ne parlent pas bien anglais, mais ça témoigne surtout de la culture ici. On est culturellement plus près de New York que de la France… C’est vraiment ancré dans le rap québécois, c’est le rap américain qui est le plus influent ici, c’est naturel pour nous de faire comme ça.

C’est vraiment quelque chose qui fait partie de toi.
Oui, et je pense qu’il y a en France, en Suisse ou en Belgique un marché énorme, de fans de rap français, mais j’ai pas l’impression qu’il y a besoin d’un français de plus, d’un français de l’extérieur pour venir prendre une place. Je pense que ce serait ridicule d’essayer de lisser mon accent, de vouloir rentrer dans le moule, de faire comme les autres alors qu’il y en a déjà tellement qui le font. La seule chose que l’on peut offrir de plus c’est justement notre particularité, après si ça va percer on le sait pas, mais on aura su resté authentique.

Le timing semble en tout cas favorable, le rap français n’a jamais été autant francophone que maintenant… des Suisses, des Belges, il nous manque juste des Canadiens qui tournent par chez nous !
C’est vrai, avant le rap français c’était Marseille ou Paname, mais maintenant c’est différent. C’est un peu comme quand New York s’est tourné vers Atlanta puis Chicago… Pendant longtemps c’était que New York, avec l’accent de New York, le son de New York alors que maintenant les influences viennent de l’extérieur.

Réussir en France c’est important pour toi ?
Oui c’est certain c’est sans prétention, mais avec de l’ambition.
Je dis pas qu’on a tout fait ici, mais pour nous la France ça représente d’autres options, un nouveau marché, c’est un défi en fait. Ça se rapproche un peu d’un rêve d’enfance de pouvoir réussir en France.

Et c’est quand que tu viens par chez nous ?
On va venir bientôt en Europe, c’est prévu en tout cas, le plus vite possible même !

Crédit photo : William Fradette