itw: Karib & Masta Pi (Opak)


Comparons ce qui est comparable et intéressons-nous un peu plus près à ce qui se passe en Belgique, histoire de pouvoir faire des parallèles crédibles entre l’état du rap de ces deux pays. Pour ce faire, c’est sous le soleil, sur une terrasse carougeoise que repreZent a reçu les membres du collectif Opak.

RepreZent : Présentez-moi dans les grandes lignes le collectif « OPAK » dont vous êtes issus?
Karib : « Opak » est un collectif fondé en 2002 composé de Masta Pi, moi-même, Scylla, l’AB7 et DJ Alien, beatmaker. Collectif avec lequel on a sorti en 2004 le premier album « l’arme à l’oeil » et en 2006 « dénominateur commun ».

R : Si mes sources sont exactes, dans le collectif, il y a un travailleur social [Ndr : Masta Pi], un prof [Ndr :Karib] et Scylla qui a fini « Science Po ». Avec vos diplômes, vous cassez les stéréotypes du « rappeur-déserteur » de cours…
Masta Pi: Y a des textes où on parle plus de nos vécus personnels, donc évidemment Karib va pas dire « je fais du holding »ou « je travaille en bourse ».Moi non plus. Lui est instit’ primaire, moi je suis éducateur social et Scylla bosse au ministère…On raconte vraiment ce qu’on est à la base, l’historique des études qu’on a faites pour l’aboutissement du travail qu’on fait.

K : Comme dit Masta, on parle de notre vécu donc on ne va pas commencer à s’inventer des vies genre « on est des gangsters, on a rien foutu à l’école ». Maintenant on est pas à mettre ça spécialement en avant. C’est déjà arrivé qu’une ou deux fois dans les morceaux, il y ait un petit clin d’œil en rapport avec ça, mais c’est rare le fait que j’aborde que je sois prof dans une chanson. Mais ce n’est pas du tout un problème de le mettre en avant. Maintenant, c’est pas une priorité. On est comme on est : On vient de Bruxelles, c’est pas la banlieue parisienne, c’est un autre vécu, c’est autre chose. Moi, ça me pose aucun problème d’être moi-même.

R : A l’ origine, le groupe « OPAK » est donc constitué de 4 mc’s. Que s’est-il passé ? Vous en avez perdu en route ?
K : Pourquoi sommes-nous deux ? En réalité, le terme « collectif », c’est justement pour le différencier du mot « groupe ». « Opak » a peut-être été à un moment considéré comme un groupe, mais à l’heure actuelle, c’est un collectif ; à savoir que chacun est libre de faire ce qu’il a envie : Scylla est dans ses projets, l’AB est dans ses projets, Masta est aussi dans des projets…Moi je suis tout ça de près parce que je ne suis pas dans un projet solo à proprement parler. Des projets en collectif, je ne crois pas qu’il y en aura encore. Le but de notre venue, c’était de faire un morceau avec Sentin’l [Ndr : présent au moment de l’itw].

R : Qu’est-ce qui vous amène sur Genève ?
K : Bon, ben j’y ai déjà un peu répondu : Ce qui nous amène sur Genève, c’est de pouvoir faire un featuring avec notre ami Sentin’l, le mc à la plume acérée [Rires]. Donc voilà, on s’est connecté sur internet, j’ai vraiment kiffé ce qu’il faisait…Ca s’est fait vraiment naturellement. De fil en aiguille, de messages en messages, on s’est lancé : « tiens, pourquoi pas faire un featuring ? », on a échangé quelques prods et ça s’est fait assez rapidement.

R : Donnez-moi votre avis sur la situation communautaire et territoriale en Belgique [Ndr : Séparation de Bruxelles néerlandophone/francophone]
K : C’est tendu, c’est politique… Je pense qu’au plus profond d’eux-mêmes, les gens n’ont pas envie que la Belgique se sépare. Maintenant, je te donne l’avis francophone. Les problèmes viennent beaucoup du côté néerlandophone : le ressenti à l’heure actuelle, c’est de se dire qu’il y a énormément de gens qui veulent du changement. Maintenant ils ne veulent pas forcément une rupture de la Belgique, mais ils veulent apparemment plus de pouvoir politique et de décisions propres à leur communauté. C’est un peu ça qui fout le bordel et je sais pas du tout vers où on va…C’est quand même une grosse crise politique de te dire que tu bats le record du monde de pays sans gouvernement. Le gros problème de la situation, c’est Bruxelles. Bruxelles, c’est le noyau de la Belgique : c’est « en territoire » flamand, mais c’est peuplé par 90% de francophone. C’est ça qui fait toute la problématique de ce conflit.

MP : Il y a le gros problème de Bruxelles, comme Karib l’a dit et le problème du gouvernement. Mais on en a un en fait, un gouvernement en affaires courantes, qui traite les affaires urgentes. Le problème surtout, c’est le « formateur » dont le rôle est d’informer le Roi des personnes pouvant créer deux gouvernements, donc occuper la place de ministres par exemple. Le formateur n’a pas réussi à s’entendre avec les partis gagnants qui sont la « NVA » du côté néerlandophone et le « parti socialiste » côté francophone. Ces deux partis ne s’entendent pas, ce qu’il fait qu’on a pris un « réformateur » qui n’est pas dans les partis gagnants. Bref, un problème de gouvernance principalement. Entre eux, les gens s’entendent très bien.

R : Comment se porte le marché du rap en Belgique ?
K : On est un petit pays, il existe des petites structures. Des choses se passent, on ne va pas le nier, mais ça reste vraiment ridicule par rapport à ce qu’il y aurait moyen de faire. Heureusement qu’il y a des gens passionnés. Regarde tu prends Scylla qui à l’heure actuelle a été un des gars qui a eu le plus de « buzz », si il avait voulu faire quelque chose avec une maison de prod ou quoi, fallait partir en France. Pour finir, il va le faire en indépendant parce que les contrats qu’il avait en France, c’était pas super non plus.

MP : En Belgique, y a pas de structures, y a que des passionnés en fait. On a des ASBL [Ndr : association sans but lucratif] qui aident mais qui sont pas orientées musicalement. Elles sont ouvertes sur la danse, la musique et le travail social en fait. Des mc’s belges qui réussissent comme Gandhi, Scylla ; qui réussissent à s’exporter que ce soit chez vous, en France ou en Belgique où ça fonctionne bien pour eux, est-ce qu’ils gagnent de l’argent ? Réponse : non, clairement. Ils ont des cachets de scène, mais ils travaillent tous les deux : ils vont au boulot le matin, le soir ils rentrent et le week-end ils ont des scènes. Point de vue scènes, c’est beaucoup du copinage : C’est compréhensible, mais en même temps très fermé. Ca crée des tensions.

K : La structure est aussi difficile à créer juste parce que déjà la moitié du pays, voire même plus que la moitié des habitants est néerlandophone, donc le rap français ça ne leur parle pas forcément plus que ça…

MP : [Ndr : le coupant] Y en a qui sont ouverts…

K : [Ndr : s’adressant à Masta] Oui, mais attends Masta : Sur 100% de Flamands, y a peut être 10% qui kiffent le rap français. A mon avis, c’est un peu similaire à la Suisse…

R : Votre vision du rap francophone ?
MP : Positive et négative, dans le sens où beaucoup de retard, trop ancré encore dans ce mouvement racailleux et de plus en plus, malheureusement. Moi franchement, ça me touche pas. Le rap francophone, Dieu merci, il évolue à mort ; mais les créneaux sont trop fermés donc ils s’enferment à fond dans la caricature du mec de cité qui doit être d’office agressif et bicraveur. J’ai été voir « Jedi Mind Tricks » en Flandre, concert de folie : les mecs arrivent avec leurs femmes sans problèmes, pas une bagarre, rien. T’arrives à Bruxelles, tu vas voir n’importe quel concert, t’attends dix minutes y a une bagarre. Pour revenir à la question, ça me parle pas parce que j’ai l’impression qu’en majorité, ça tourne un peu en rond.

K : je me permets d’ajouter aussi quelque chose en rapport avec cette vision du rap francophone : Qu’on le veuille ou non, le rap que tu fais va toujours être en relation avec ce que tu vis. Masta parle de Sentin’l, de Cenzino. Ce sont des gars qui viennent de Suisse et on est pas encore dans des problématiques de cités françaises. Tout ça pour dire que moi le rap de cité ne me parle pas, pourquoi ? Parce que ce n’est pas ce que je vis. J’ai jamais habité dans une cité, la violence gratuite, les insultes à tout-va : ça me parle pas. En France, ils sont ancrés dans un système de réflexion où pour être bon et pour percer, il faut être hardcore, violent.

MP : Tu fais une chanson où tu parles d’échanges humains, de choses positives; ¾ des gens n’en ont rien à foutre. Tu fais une chanson en disant : « J’ai eu une embrouille, j’ai sorti un gun », ça parle aux gens parce que visuellement ça se rapproche du cinéma. Visuellement, un film d’action est plus intéressant qu’un film d’amour et fera péter les entrées. Ca devient du « rap business ». Booba, il fait son business là-dedans et il le fait très bien. Je vois pas un gars « hardcore » rapper une chanson consciente.

R : Futurs projets ?
MP : Manger une fondue chez Sentin’l ce soir, vider la bouteille [Rires] Nan, j’ai un EP qui est en cours de mixage qui va sortir j’espère, mais je donne jamais de date, d’ici la fin de l’année : je crois que je suis large [Rires]. Derrière on finira l’album…

R : L’album d’Opak ?
MP : Non, l’album de Masta Pi. Je dis « on » parce qu’il y a une équipe derrière : Les beatmakers, le mec qui m’enregistre, le mec qui mixe. Ils méritent tous d’être cités parce qu’ils ont tous déchiré dedans et ça fait plaisir. Et Karib qui est là aussi, qui fait pas grand-chose [Rires]. Sur le Ep, il y a que des morceaux à moi, parce que je considérais que le Ep c’était pour me présenter en tant qu’artiste solo après Opak. Après sur l’album, y aura des featurings avec l’Hexaler, Karib, l’AB aussi. Peut-être avec des suisses, on sait pas encore…Ca dépend de la partie de poker de ce soir [Rires]

K : Je vais parler pour moi, y a pas de projets solo à proprement parler. Moi c’est vraiment la passion, donc continuer d’avoir un pied dans la musique, à écrire chez moi, à taper des featurings à droite, à gauche ; à backer Masta sur scène et je back également l’AB. Sinon si je peux me permettre, même si ils ne sont pas là : l’AB est en train de travailler 2 projets et y a Scylla qui est en train de peaufiner son album solo qui devrait sortir je pense vers le mois de septembre, octobre.