itw: Flynt


Avec un petit temps de retard, l’interview fleuve de Flynt arrive sur reprezent… c’était la vieille de son concert à Genève le 30 octobre et c’est Skywalk, notre interviewer de rappeur français qui pose les questions. A noter que Nasme, Dj Blaiz, leur photographe, Sentin’l, son backer et le président de l’association Plein les watts étaient présent et il se peut qu’ils interviennent…

Retrouvons donc tout ce petit monde réuni autour d’une table dans une ambiance agréable et détendue.

repreZent : Présentations ?

Flynt : On m’appelle Flynt…je rappe depuis 1996. En deux mots : j’ai sorti un album en 2007 « J’éclaire ma ville », plusieurs maxis avant cet album et quelques compilations dont « Explicit Dixhuit » sorti en 1999, tout ça en auto-production. J’aime écrire.

R : 2007, sortie de l’album « j’éclaire ma ville ». Silence radio depuis, reviens un peu sur la période écoulée

F : Après l’album, on a fait beaucoup de concerts…c’était notre objectif, on voulait l’emmener sur scène.

R : Et ta « non-présence » dans les médias ?

F : [Il réfléchit] Après l’album, on a fait une tournée, je suis allé un peu au bout de ce qu’on pouvait faire avec un album : on a sorti un dvd, plusieurs clips, on a monté 2 concerts à Paris, on l’a fait vivre partout où on pouvait, on est allé en Suisse, en Allemagne; on a fait un certain nombre de dates en France. Après ça, j’ai voulu souffler un peu et puis je n’avais pas spécialement d’actualités. Donc pas de raisons particulières d’être présent dans les médias. Les médias, je les intègre à ma manière dans ma musique, ils font partie de la démarche, je les approche quand il y a de l’actu mais je ne cherche pas à tout prix à ce qu’on parle de moi. Pour moi, le buzz est une connerie, ça ne signifie pas grand-chose, car c’est très souvent faussé par les médias. Certains médias font beaucoup de mal au rap. Alors je veux être indépendant vis-à-vis des médias. Et puis, le vrai média, c’est nous.

R : Je vais revenir sur le gimmick « 1 pour la plume », également 1er maxi extrait de l’album. Selon toi, d’où vient cette « culture de la plume » partagée par l’ensemble des MC’s du 18e arrondissement de Paris ?

F : Je ne suis pas sûr que la culture de la plume soit partagée par l’ensemble des MC’s issus du 18ème… Ce qu’on a en commun surtout, c’est ce quartier. Un autre point commun c’est peut-être aussi le fait qu’on n’ait pas envie que l’on nous dicte ce qu’on a à faire et comment on doit le faire, ni ce qu’on a à dire, on défend une certaine image du rap et une certaine démarche. On associe souvent le 18ème à un rap avec un message plutôt positif, avec des textes plutôt bien écrits. Cela vient sans doute de l’environnement : un quartier parisien à la fois populaire et bourgeois, ouvert sur l’extérieur, avec une vie culturelle assez dense, des salles de concert, des théâtres, des cinémas, des touristes. On est tous des produits de notre environnement. C’est un quartier enclin à faire émerger le rap et l’expression sous toutes ses formes.

R : Sur le remix du titre « 1 pour la plume », Mokless apporte peut-être un début de réponse, en rappant : « Dis-moi où t’habites, jte dirais comment tu rappes. »

Nasme : Ce n’est pas qu’une histoire plume, c’est aussi un choix dans les instrus. C’est aussi un choix musical, pas qu’une direction dans l’écriture.

R : Toujours sur « 1 pour la plume », tu dis : « écrire c’est dur ». Sur le titre que tu poses pour la compile « Appelle-moi mc » avec Nasme, tu rappes : «  Ecrire, rapper, c’est dur, dédicace à tous mes confrères. ». C’est ça ta conception du mcing ?

F : Ce n’est pas une conception, c’est mon vécu. Ecrire c’est du travail. C’est long. En indé, c’est encore plus long. Tu peux mettre 3 ans à faire ce que tu pourrais faire en 6 mois. Et puis les mots ont de l’importance et trop de valeur pour en faire n’importe quoi alors je les retourne dans tous les sens. Rapper aussi c’est dur : Il faut être bon sur scène, il faut travailler, il faut avoir du charisme, un style, une voix, du flow. Il faut savoir s’entourer aussi, il faut même savoir s’exprimer en parlant, il faut être complet pour être un bon MC.

R : Quel est ton processus d’écriture ? (thème, instru)

F : Je n’ai aucune règle à part que je suis très exigeant avec moi-même. Ma règle, c’est de sortir les meilleurs lyrics possible sur les meilleurs sons possible en rappant le mieux possible. Mais je n’ai pas réellement de processus et c’est peut-être pour ça que ça me prend du temps. C’est toujours en solo en tout cas, je n’aime pas qu’il y ait du monde autour de moi quand j’écris.

R : Dans « mes sources », tu dis : « C’est l’énorme fossé qui traverse la ville où j’ai atterri/ceux qui possèdent des immeubles, ceux qui campent devant la mairie »

Paris 2010. Qu’en est-il du climat social ?

F : Tu poses cette question presque 5 ans jour pour jour après la mort révoltante de 2 jeunes à Clichy-sous-Bois, qui avait déclenché les émeutes de 2005. Le constat aujourd’hui, c’est que les problèmes qui étaient à l’origine de ces émeutes par exemple sont toujours bien présents et qu’ils ne sont pas prêts d’être réglés. Les inégalités sont toujours là et le fossé s’agrandit un peu plus chaque jour. Et puis la politique menée en France favorise les riches au détriment des pauvres. Les pauvres, les galériens, les miséreux, ça rapporte rien à l’état et ça lui coûte des sous, alors il essaie de dépenser le moins possible pour ces gens, il les laisse dans leur merde, ça l’arrange carrément.

R : Mais vue de l‘extérieur, la France semble proche de la « guerre civile ». Toi, vue de l’intérieur ?

F : Je suis justement en train d’écrire un texte qui commence comme ça : [Ndr : il rappe]:« Un cocktail de politique sécuritaire et de jeunes qui saturent/ça va péter comme à Watts [Ndr : Emeutes à L.A.] à la prochaine bavure/ça va flamber comme en 2005/ça fera des sièges pour le front national à l’assemblée/personne n’a réglé les problèmes à l’origine des émeutes/pour les militants d’extrême droite c’est une aubaine… » etc. Tous les événements semblent indiquer que ça va péter oui et salement.

R : Toujours dans le même titre, tu rappes : « Mes sources, c’est le rap, le vrai, celui qui passe peu à l’antenne. » Tu peux définir le « vrai rap » ?

F : Un rap vrai c’est un rap qui reflète la personne qui le rappe. « Vrai », dans le sens où elle ne joue pas un rôle, où elle ne s’est pas travestie. Que la personne n’ait pas édulcoré son truc pour avoir plus d’audience. Au niveau musical, un rap vrai pour moi c’est un rap qui fait bouger la tête, un style particulier que tu reconnais tout de suite. Pas quelque chose de formaté. Le choix des musiques est très très important, on étiquette trop de sons « rap » alors que c’est une mutation du rap qui n’est même plus du rap, c’est de la variet. Le rap vrai c’est l’anti rap de variet, l’anti rap pour journalistes, l’opposé d’un rap qui n’a aucun sens et aucune âme.

R : Sur « ça fait du bien d’le dire », il y a une phrase qui m’interpelle : « la politique noie le poisson dans la plaie, remue des couteaux dans l’eau/dans l’injustice ne naîtra jamais la paix. » Si tu laisses les expressions telles quelles, la phrase a quand même un sens…

F : C’est marrant parce que je parlais avec DJ Blaiz’ l’autre jour et je lui disais que cette phase-là, personne ne m’en avait jamais parlé, ça me fait plaisir que tu m’en parles [rires]

R :…Tu dis qu’à travers l’inversion des expressions, la politique fait n’importe quoi.

F : Oui, c’est ça. Je veux dire qu’ils font les trucs à l’envers.

R : « Le rap c’était mieux avant » ?

F : Je connais la personne qui fait ça [Ndr : Les t-shirts]. Je le connais très bien même. Je n’ai jamais porté ce t-shirt et je ne le porterai jamais car je ne partage pas cette opinion. Je ne cautionne pas le fait que cela soit placardé comme ça comme si cela avait valeur de vérité. C’était mieux avant quoi, avant qui… ? C’était mieux les flows de 1990 ? Je considère que c’est manquer de respect à tous les gens qui se donnent du mal pour faire ce qu’ils font aujourd’hui et surtout à ceux qui le font bien. Je ne considère pas que mon album ait à envier à certains disques sortis auparavant. Ecoute Nasme par exemple et je pourrai en citer beaucoup d’autres et je te jure que ça n’a rien à envier a beaucoup de mecs du rap « d’avant ». Ecoute les flows d’aujourd’hui, les univers d’aujourd’hui, y a vraiment des bons raps, bien écrits, bien rappés, avec des phases dans tous les sens, bien produits, bien réalisés. Après l’esprit rap c’était peut-être mieux avant oui certainement et oui il y a de plus en plus de rappeurs donc de plus en plus de déchets et d’arnaques mais ce t-shirt crée par des amateurs de rap à la base ne contribue pas à redorer le blason de cette musique.

R : T’écoutes du rap français ?

F : Oui bien sûr que j’écoute du rap français…qu’est-ce que j’ai écouté récemment… j’ai écouté Casey, Mic Pro, Nasme. J’écoute un peu ce qui sort, sans attendre forcément une sortie en particulier en rap français. J’écoute les gens avec qui j’ai fait des trucs, je découvre des gens tous les jours, il y a des artistes que je suis quand même, il y a des gens qui me passent des cd. [ Ndr : Il passe le micro à Nasme]

N : Si on fait du rap, c’est qu’on en a écouté un jour ou l’autre. On est pas la première génération à en faire, on n’a pas inventé le rap français. Donc pourquoi une fois que t’en fais, t’en écoutes plus ? C’est une logique un peu bizarre. Je pense qu’on est de kiffeurs de son, on kiffe autant le rap français que le rap cainri. Autant tu me ramènes un rap suisse, il est bon, jvais le kiffer. Un rap du Brésil…C’est le rap. La musique est universelle, dès que la musique est bonne, elle est bonne. Pas de frontières. Aucune fierté…on kiff le rap [rires].

F : Ca m’arrive de dire : « Oh le bâtard, elle est mortelle sa rime, j’aurais bien voulu l’écrire ». Ca arrive heureusement, tant mieux, moi je suis content qu’il y ait des gens qui fassent du bon rap, intelligent ou pas même, parfois, mais bien écrit, bien produit, bien réalisé, qui fait bouger la tête, qui sonne, qu’il y ait des artistes qui mènent bien leur barque et qu’ils aient une bonne démarche. Et toi, t’écoutes quoi en rap français en ce moment?

R : Heu…ben moi j’écoute Casey, je trouve qu’elle écrit bien. Certains artistes du label LZO records : Taipan, Iris et Arm « les courants forts ». Et l’album de Despo aussi que j’ai trouvé bon.

R : Je t’interviewe pour un site de hiphop romand qui s’appelle « repreZent.ch ». Je te pose la question maison : Représenter, qu’est-ce que cela évoque pour toi ?

F : Dans mon album je dis dans le titre « Le Bif’ » : « (…) la zik j’en fais pas pour plaisanter aussi vrai que mon rap représente ceux qui se sentent représentés ».Quand je dis ça, ça veut dire que je représente les personnes à qui mes textes parlent. Aujourd’hui, je ne considère pas que je représente un quartier ou des gens en particulier, je ne représente pas le 18e. Je représente ceux qui se sentent représentés par mes paroles et ma démarche. Quand je dis que je n’en fais pas pour plaisanter c’est parce que c’est important de bien représenter ceux qui comptent sur toi pour le faire bien. [Ndr : Il tend le micro à Nasme]

N : [Il réfléchit] Représenter, représenter… Déjà je pense que c’est ce qu’on fait tous les jours dès qu’on fait de la musique, dès qu’on fait du rap. On représente cette forme de musique, on représente peut-être une façon de faire, un mode de vie, un quartier. On représente ceux qui n’ont pas la parole. On représente plein de choses en faisant du rap de toutes les façons. Pour ma part et je pense de la part de Flynt aussi, c’est toujours de représenter avec un message positif.

R : T’es quand même à Genève pour donner un concert demain [Ndr : Le 30 octobre] aux côtés de Sentin’l pour le vernissage de son album. Comment s’est faite la connexion entre vous deux ?

F : Sentin’l m’avait contacté il y a deux ans grâce à Dimé qui lui avait filé mon mail, il m’avait proposé de faire un titre ensemble qui ne s’est pas fait et puis on est resté en contact, on échangeait parfois des mails. Et un jour, je lui ai dit « quand est-ce qu’on vient faire un concert à Genève ? », et puis il a monté le projet et on est là.

Je n’ai pas participé à son album, car comme je te disais, écrire me prend du temps et je n’avais pas le temps de m’investir dans son projet à ce moment-là.

R : Actualités ?

F : Je prépare comme je peux un deuxième album, j’aimerais beaucoup te donner une date de sortie, mais malheureusement je n’en ai pas.

Question bonus :

R : J’ai une question pour toi Nasme. C’est toi qui « post » sur le forum de l’abcdrduson ?

Nasme : Hein, quoi ? [rires]. Non, non. Moi ça s’arrête à Facebook !

R : Ok, d’accord. [rires] y a un mec qui post avec ce pseudo-là. Jsuis fixé comme ça, merci.

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