Quelques heures avant son concert au Cully Jazz Festival, Hindi Zahra s’est entretenu avec RepreZent. L’occasion de revenir sur son parcours et de plonger dans les recoins de son univers.
 
RepreZent : Revenons un peu sur ton parcours… de ta naissance à Khouribga, au Maroc, à ton ascension sur la scène musicale.
Hindi Zahra : Je suis née là-bas parce que mon père était militaire. Mais je suis originaire du sud du Maroc. Je suis berbère et mon père est d’origine mauritanienne. Il vient d’une tribu touarègue qui s’est installée entre Ouarzazate et Agadir. Ce qui est intéressant dans cette vie de fille de militaire, c’est que, dès le départ, tout n’a été que voyage. Je suis née dans un endroit qui n’est pas chez moi. C’est une prédisposition à l’adaptation. Par rapport à la musique, cela pousse à la capacité d’entendre énormément de choses différentes. Par exemple, dans le nord du Maroc — là où je suis née — il y a l’énorme influence des Chikhats (NDLR Danse et musique folklorique marocaine). J’ai quitté cet endroit quand j’avais un an, mais c’est une influence que j’ai gardée. Et pourtant, je n’ai aucun souvenir de cet endroit-là. Tous ces voyages et l’ouverture d’esprit de ma famille m’ont énormément apporté. Tous mes oncles sont des musiciens. On vivait tous ensemble. Notre garage est lieu où tout le monde se réunissait autour des guitares, du café, du thé. La musique était constamment présente. Ma mère mettait de la musique dès le matin : Chikhat, Bollywood, les Beatles. Mes oncles étaient plus rock, psychédélisme, musique gnawa. Mes grands-parents nous apportaient les musiques berbères traditionnelles. Tu vois donc le foisonnement dans lequel j’ai grandi. D’ailleurs, le Maroc est un lieu qui est pour l’ouverture. Il y a aussi un autre grand avantage en Afrique; la jeune génération écoute beaucoup de musique traditionnelle. C’est une musique qui est toujours très vivante chez nous. C’est du groove. Cela, pour moi, a été une école merveilleuse. J’ai accepté tous les genres de musique qui se présentaient à moi. Cela a été mon cours de musique. La seule découverte externe que j’ai faite, c’est le jazz. Ça a été mon choc. C’est ce que j’ai apporté de mon côté dans le paysage musical de ma famille. Et tout ceci sans compter la musique espagnole, andalouse qui est également très présente au Maroc. Un autre avantage de ce pays se matérialise au travers des chaînes de montagnes du Maroc. Les gens sont isolés d’un village à un autre. Chacun d’entre eux développe un style différent. Des styles très développés. C’est très impressionnant. Je ne dirais jamais à quel point le Maroc a un niveau musical incroyable.
 
Quand je suis arrivée en France, j’avais ce background réunissant toutes les influences que j’ai découvertes au Maroc. Avant d’aborder sérieusement le jazz, j’ai commencé par la musique classique. Ensuite, je me suis intéressée plus profondément au jazz. Une des choses que j’aime dans ce style, c’est qu’il n’y a pas de frontière entre l’instrument soliste, la voix soliste, l’introduction de la musique africaine — ce sont d’ailleurs les premiers à l’avoir fait —, le 6-8, les influences indiennes. Ça a vraiment été la première musique des rencontres culturelles au niveau international. Je me suis plongée là-dedans, car c’était le miroir de ce que je voulais. Piocher partout pour créer ma musique. En plus, il y a ces voix de femmes si particulières. Après la guerre, on a pu constater que les hommes sont devenus des crooners parce qu’ils ont été au combat. Ils ne voulaient plus être là-dedans. Les femmes, quant à elles, sont à l’opposé. Partout dans le monde. On a Edith Piaf, on a Oum Kalthoum, Maria Callas, Billie Holiday. Ces femmes-là représentent toutes les infirmières, toutes les femmes qui ont épongé les souffrances. Elles avaient des choses à recracher. Cela était vital pour moi, car il y avait un rapport avec mes origines. Nous au Maroc, guerre ou pas guerre, c’est comme cela que c’est. Les Chikhats, par exemple, c’est la douleur féminine complètement transcendée. Il y a aussi Jdeb chez nous. Il faut que les gens sachent que les femmes africaines cachent toute leur force volontairement. C’est voulu. Tout ce qui est mystique, c’est les femmes. Elles ont un pouvoir sur la vie et sur la mort. Quand on voit les cérémonies de guérison, de transe, c’est les femmes. J’ai eu la chance de rencontrer une maîtresse gnaouas qui m’a expliqué que, la tradition gnaouas au solstice de printemps, au moment même de la transformation biologique de tout — à l’intérieur de nous et dans la nature —, la transe doit commencer. Ceux qui ont besoin de se débarrasser des informations qui sont dans leur corps. Pourquoi Jdeb au Maroc ? C’est la guérison. C’est mon apprentissage philosophique sur la musique : la philosophie de la guérison. Le corps stocke la merde, ce n’est pas la tête. Les vraies tensions sont dans le corps. La transe gnawa, c’est secouer son corps pour le vider. Le rythme 6-8, c’est le battement du coeur. C’est une science qui n’est pas reconnue. Pour moi, le travail de la musique chez les chamans, chez les troubadours est fantastique. Mais, le grand manque d’intelligence fait que c’est parfois mal vu. Et ceci se constate avec toutes ces civilisations que l’on a dénigrées. Alors qu’elles regroupent des milliers et des milliers d’années de connaissance pure sur le système de la nature. Nous, nous sommes censés être évolués et, pourtant, on a dénigré la plus grande beauté scientifique complexe qu’est la nature. Un proverbe berbère dit : « ne te regarde jamais de toi-même, mais regarde-toi depuis l’étoile la plus lointaine ». Tu réaliseras alors qu’on est infiniment petit. Pour moi, la musique est là.
 
J’ai également pu voir une grande sensibilité salvatrice qui pousse vers la méditation dans ta musique. Comment as-tu fait pour capturer cette essence-là ?
Hindi Zahra : C’est la contemplation. Depuis que je suis petite, je fais ça. J’ai la chance d’avoir eu toute cette famille autour de moi et, en même temps, ma bulle. Il n’y a pas de limites entre les uns et les autres. Tu me mets dans une pièce où il y a quelqu’un qui ne va pas bien, moi aussi je n’irai pas bien. Pour moi, la sensibilité, c’est pouvoir ressentir. Ma vraie source sera toujours la nature, car elle pousse à la contemplation, au silence et à la méditation. J’aime la solitude. J’aime aller y chercher une beauté et la donner aux autres. Souvent, quand j’enregistre, j’imagine quelqu’un qui est dans un bureau, coupé de tout. Et, s’il écoute ma musique, j’essaie de l’emmener ailleurs. C’est cela pour moi la musique. Ça a également été salvateur pour moi. C’est essentiellement pour cela que je la propose salvatrice. La musique m’a sauvée, m’a nettoyée des mauvaises émotions, et m’a appris énormément.
 
Dans ton univers, le Maroc est très présent. Pourtant, quand j’écoute tes créations, c’est comme s’il n’était qu’une suggestion.
Hindi Zahra : Ce qui est suggéré, c’est que le Maroc est une porte ouverte. C’est comme s’il y avait toute cette force dans le Maroc, cette ouverture d’esprit que les gens n’arrivent pas à percevoir. Ça, pour moi, il faut un fil conducteur. Je n’ai pas envie de dire : « je suis marocaine, je fais de la musique marocaine ». Il y a des gens qui le font beaucoup mieux que moi. Ce que je veux proposer, c’est un pont entre les cultures. Un rappel d’où viennent les choses. Par exemple, sur « Cabo Verde ». C’est un morceau où je chante en berbère, en darija (NDLR Arabe dialectal marocain) et en anglais. Sur ce titre, la rythmique est cap-verdienne et je chante de manière malhoun (http://musique.arabe.over-blog.com/article-origine-du-malhoun-118859995.html). De ce rythme cap-verdien, on va ensuite vers le tagnawit. Le résultat montre que l’alliance des deux est totalement logique. C’est cela que je veux créer, un plat complet.
 
Par rapport à cette ouverture, tu chantes dans plusieurs langues, mais principalement en anglais.
Hindi Zahra : C’est le côté de l’universalisme. C’est aussi dû au fait que j’ai commencé par le jazz. Quand tu improvises dans ce style, tu ne chantes pas en français ou en chinois. Tu le fais en anglais. L’improvisation a été, pour moi, tellement importante. Pareil pour le blues. Ce sont mes grandes écoles. Et elles sont afro-américaines. L’anglais, c’est aussi une manière de créer un pont vers le berbère et vers le darija. Quand je vais en Norvège et que je chante « Imik Si Mik » — qui est une chanson en anglais et en berbère —, j’aime voir que ceux qui comprennent la partie anglaise s’intéressent à la partie en berbère. J’aime apporter le berbère sur du jazz, mêler de l’oriental et l’anglais.
 
Quand tu te produis dans tous ces pays et que tu apportes une proposition qui est aussi marquée au niveau de la mixité des influences, est-ce que tu remarques des réactions différentes d’un public à l’autre ?
Hindi Zahra : C’est toujours l’enthousiasme. Il y a toujours une réponse positive parce que ce que je propose est un vrai voyage. C’est emmener quelqu’un d’un endroit à un autre et que, jusqu’au bout, il se dise : « mais, j’étais où ? j’étais ici, j’étais au Cap-Vert, à Cuba, au Maroc, en Iran ». C’est une espèce de perdition positive. C’est ce que je veux apporter.
 
Comment est construit ton processus créatif pour aboutir à cela ?
Hindi Zahra : Je me lève à 3h30 du matin, j’écris jusqu’à 7-8h. Ensuite, à 13h je commence à travailler à la guitare et à la peinture. Puis, je compose et je mets tout ensemble.
 
Quels sont les artistes orientaux que tu recommandes ?
Hindi Zahra : Des artistes comme Medina Souli, qui est fantastique. Daoudia est aussi extraordinaire. Il y a aussi Najat Aatabou ou Khadija Ouarzazia. Il y a aussi des guitaristes et des chanteuses qui sont en train d’arriver et qui vont proposer quelque chose de magnifique.

par Sophia