interview : Soprano & Red.k

Il y a quelques semaines (pour ne pas dire mois…) repreZent était allé à la rencontre des mcs Marseillais Soprano et Red.k à l’occasion de la sortie de leur album en commun « E=2mc’s ». Quelques problèmes techniques plus tard, un passage de la vidéo à l’écrit, et voilà enfin la retranscription de ce qui nous a été confié. Attention, après le lecture de cet interview, l’album « E=2mc’s » n’aura plus de secret pour vous.

Comme sur repreZent on aime bien jouer au professeur, nous décidons d’entamer notre interview sur les bases d’un cours de physique et interrogeons le duo sur la signification de leur formule E=2mc sachant qu’à la base le E définit l’énergie de masse, quand est-il ici ? Soprano : « L’énergie en masse… nos collègues disent que c’est le E d’explosif, pour notre part on avait pas trop calculé… 2 mcs pour une formule explosive c’était un peu le sous-titre de l’album. »

Le Labo
La partie théorique étant faite, place donc à la pratique et entre directement dans le labo qui s’ouvre sur un bruit de canette bien connue… (ndlr : Soprano nous annonce que sur tous les projets qu’il va faire pendant très très longtemps il y aura toujours au moins 1 son de Jay Fase. Si sur cet album il n’y a qu’une prod du Suisse, sur d’autres projets à venir il y en aura bien plus.) « Pour cette instru, on a directement eu l’idée du concept des présentations, nous, le projet., à la première écoute on savait que ce serait le morceau d’intro. On s’est adapté à la rythmique militaire, saccadée, ça nous a permis de trouver ce flow spécifique à ce morceau dans lequel on se répond. Paradoxalement, si c’est le premier morceau de l’album c’est le dernier qui a été enregistré. Lorsqu’on s’est vraiment penché sur le morceau on a commencé par la partie accélérée, mais surtout la présentation du projet, dans ce morceau, on décrit tout ce qu’il va y avoir dans l’album : du flow, de la technique, du conscient, etc. on a essayé de mettre tout notre album dans ce titre. »

Flow Siamois
Flow siamois suit logiquement ce morceau vu qu’ils ont le même ADN. On y retrouve pas mal de délire technique des deux mcs et l’on se demande où les rappeurs vont chercher leur inspiration. « Celui là c’était au pur feeling… on a reçu la prod de Soul Children, on a vraiment kiffé, on s’est penché sur le refrain qui est venu naturellement et ensuite je suis allé devant le micro, j’ai posé ma phase “c’est Red.k, je sais que tes gars découvrent”, Sopra me dit ok, si tu commences par ça moi je vais faire ma présentation et ainsi de suite… on enchainait chacun de façon à répondre au mieux à l’autre en pensant à comment l’autre pourra ensuite enchaîner » et Soprano de compléter : « c’est exactement ça, ce n’est pas un texte écrit à l’avance, on arrivait au micro et il posait sa phase par rapport à celle d’avant. C’est comme ça qu’on arrive à avoir des flows qui se suivent et c’est surtout pour ça que le morceau s’appele flow siamois. ».

Meskine
On enchaîne avec « Meskine », titre également clipé et dont les premières notes nous on fait peur, mais fausse alerte, pas de rap à la sauce eurodance ici ! « L’album n’a pas été travaillé de manière méthodique… on l’a fait en 20 jours… les prods arrivaient et l’on posait dessus sans trop se poser de question ». Les choses sont claires, cet album a été travaillé un peu dans l’urgence, mais nos deux compères ne passeront pas à côté d’une explication de texte. Red.K, tu nous parles des mcs à la Luda, dis-nous en plus… « À la base je reprends le flow à Rick Ross, j’ai essayé pas mal de rimes dessus, mais à la fin la référence à Luda s’est imposée, c’était juste une ptite pique, y’a rien de particulier à interpréter là ». Mais si tout cela n’était pas vraiment réfléchi quand est-il du passage de Soprano qui nous dit qu’ils font du son à la Bieber Justin (ndlr: qui avait posé aux côtés de Luda justement) « C’était même pas calculé ça… c’est la première fois qu’on nous le fait remarquer d’ailleurs. Le truc c’est qu’on a vraiment gambergé le truc en mode egotrip, on a recherché les punchlines, le flow, la technique, la performance, les jeux de mots… egotrip pour que les gars tripent. »

Le Temps D’une Pause
On continue notre passage en revue de l’album et l’on arrive à « Le temps d’une pause », morceau qui nous fait penser à la bo de Taxi 1 ; les couplets, le refrain chanté, la prod… Y avait-il là une sorte de clin d’œil ? Red.k : « C’est pas volontaire du tout, on a reçu la prod et on a eu un gros gros coup de cœur, on a d’abord pensé au thème qui nous inspirait un truc détente d’où le titre, on a gratté nos couplets, on les a enregistrés et puis on s’est dit qu’il fallait ramener une touche féminine au morceau. Ce n’était pas du tout une référence à Taxi 1 ou quoi que ce soit, on a fait ça comme ça, car c’est ce qu’on aimait ».

Je Rappe Comme Ca Me Chante
La transition est toute trouvée pour parler de « Je rappe comme ça me chante »… À l’écoute du morceau on peut se demander si les mcs ont eu besoin de s’expliquer sur certains de leurs choix artistiques et plus particulièrement Soprano. « Quand on a entendu la prod qui fait très eminem/dre, on a pensé à cette phrase de Red.k : jrappe comme ça me chante… et posé sur cette prod c’est parti tout seul… (ndlr : Soprano commence à rapper) jrappe comme ça me chante, jchante comme ça me rappe… on est parti sur ce délire et de là on a commencé à construire le morceau. Mais pour que les gens comprennent le concept, il faut que l’on explique comment on a construit le morceau. Red.k fait le premier couplet, il rappe, mais avec un flow vraiment barge, limite aggressif et moi je dois arriver après calmement en chantant, comme je l’ai toujours fait. Et ensuite c’est red.k qui chantonne et moi qui fait un couplet en reprenant un peu le même flow qu’il avait. C’est comme ça qu’on a conçu le titre, pour que chacun rappe comme il le chante et chante comme il le rappe. » et Red.k d’ajouter : « Ca c’est pour la forme, mais le fond du morceau c’est de dire “Arrêtez de vous complexez, faites ce que vous voulez”, faut arrêter de se mettre des barrières imaginaires, il faut faire ce qu’on a envie de faire. » Sopra : « il faut que les artistes arrêtent de se mentir à eux-mêmes, ils doivent faire ce qu’ils ne veulent pas ce que la critique veut qu’ils fassent. Faut surtout pas essayé de plaire à tout le monde parce que tu vas te bousiller… jpense qu’être vrai c’est être vrai envers soi-même, je pense que c’est ça le message de ce morceau… fais-toi plaisir, rappe comme ça te chante. »

Avant De S’en Aller
Mais voilà, à trop faire ce qu’on a envie de faire on passe d’un « Meskine » à « Je rappe comme ça me chante » à « Avant de s’en aller », son qui nous a donné de l’urticaire… mais comment faites-vous pour changer si radicalement de style entre 3 morceaux ? Soprano : « Parce que je suis humain… quand je me lève le matin je n’ai pas envie d’écouter un Meskine, j’ai envie d’écouter un son tranquille… à Midi je regarde le journal télévisé, jsuis énervé là il passera mieux. Ensuite l’après-midi jsuis avec mes potes, on délire, on va partir dans l’egotrip à force de se vanner, le soir t’es avec ta femme, tes enfants, tranquille quoi, tu vas pas écouter Meskine ! Et puis depuis le début de ma carrière, je n’ai jamais eu envie de m’enfermer dans une case, je fais ce que j’ai envie de faire sur le moment. Et puis c’est ma marque à moi, de faire de tout, d’être partout… voilà c’est dit ! ». Justement, est-ce que Soprano se rend compte qu’il a un peu modifié le paysage rapologique et surtout radiologique du rap français, avec ce format spécifique qui fait que ça va être écouté et diffusé largement ? « Je l’ai réalisé plus tard, quand j’ai commencé à faire des morceaux qui ont plu à des personnes qui n’écoutaient même pas de rap, jme suis dit “awww…”. Des gens me disaient qu’ils se retrouvaient dans ce que je disais, que le rap ne leur parlait pas forcément, mais que mes textes oui… c’est là que j’ai vraiment réalisé. »

A Plumes Ouvertes
Revenons à E=2mc, car finalement il n’y a pas tant que cela de refrains chantés dans cet album, mais surtout du rap et particulièrement un morceau de 2x 40 mesures, « A plumes ouvertes ». Plus de 6 minutes… alors on leur demande « Mais ça vient d’où l’idée de faire un morceau de plus de 6 minutes en 2012 ? ». Et si Sopra semble apprécier notre question, c’est Red.k qui prend le relais pour y répondre : « Quand tu reçois ce genre de prod ça t’inspire, t’as envie de te lâcher… et bizarrement on avait trouvé le même thème, Sopra avait trouvé “A plume ouverte” et moi “Paroles à ma plume”. Et ensuite ça c’est fait tout seul, j’ai écrit mon couplet, et puis je l’ai complété, on s’est dit qu’on allait aller jusqu’à 40 mesures afin de bien expliquer ce que l’on voulait dire, ce que l’on pense sur ci et ça. ». Soprano : « il n’y a pas vraiment de thèmes dans ce genre de morceau, on lâche tout ce qu’on a envie de dire sur le moment, ce n’est pas calculé. On parle de rap, de la famille, de Zemmour, ça va un peu dans tous les sens. »

J’Ai Vu
Un peu dans la même logique on retrouve « J’ai vu »… Soprano : « J’ai vu a été enregistré avant, avec Plumes ouvertes on a simplement approfondie le truc. J’ai vu c’est plus un concept, on s’image dans l’œil du monde et on dit tout ce qu’on voit de l’intérieur. » Red.k « C’est vraiment là la différence, dans j’ai vu on prend pas position, on dit ce que l’on voit, c’est beaucoup moins personnel qu’à plumes ouvertes. ».

Après toute cette lecture, vous avez mérité une petite « Pause Quenelle« …

Rêves Et Illusions
Pour conclure ce passage en revue, « Rêves et illusion » nous paraît totalement appropriés puisque même s’il est le premier morceau fait pour cet album, il permet de terminer de façon cohérente. Mais en faisant ce genre de morceau, les mcs n’ont-ils pas l’impression d’enfoncer des portes ouvertes, de n’énumérer que des lieux communs, des clichés ? Soprano « La société telle qu’elle est actuellement nous pousse à utiliser des clichés, si l’on regarde ce qui s’est passé à Toulouse, le simple fait qu’on dise “ne confondez pas islam et islamisme” a suffi à tout mélanger. Les clichés on vit dedans tous les jours, on essaie de les combattre, mais on est dedans. Avec « Rêves et illusions », on est dedans, dans la matrice en quelque sorte. » Mais ce n’est pas aussi un constat d’échec ? Red.k « J’aimerais bien faire un morceau dans lequel je dis que tout va bien, mais c’est pas le cas… dans le début de mon couplet je te parle de la musique, je pensais que seul le talent suffisait, mais je me rends compte que c’est pas le cas, je ne parle pas pour moi personnellement, mais y’a des arnaques qui sont bien plus hautes que des mecs vraiment talentueux par exemple. » Soprano : « C’est vrai, peut-être ça fait défaitiste, mais c’est comme la politique, depuis que je vote j’ai toujours voté contre… jamais pour quelqu’un. Fallait voter contre LePen, contre Sarkozy… y’a jamais personne pour vraiment nous repreZenter… c’est malheureusement une réalité. »

Soprano Et Le Succès
Et voilà, c’est presque terminé, mais avant cela il fallait gratter un peu les vieux sons pour revenir sur un feat de Soprano sur un titre de Dynamike dans lequel il disait « je suis la voix que personne n’entend », quelques années plus tard, qu’est-ce que ça fait d’être la voix que tout le monde entend ? « En général, les gens se disent que dès que tu es connu c’est plus facile, mais c’est pas le cas, bien au contraire ! Tu vois même si je fais un feat avec des rappeurs super underground que personne ne connaît, il faut que je fasse attention à ce que je dis. Je ne peux pas aborder tous les sujets, mon exposition médiatique pourrait se retourner contre moi… alors qu’avant je pouvais dire absolument ce que je voulais. Je dois toujours réfléchir à ce que j’écris et qu’elles pourront être les réactions, il y a des sujets actuellement qui sont tabou, on va pas débattre sur ça, mais par exemple Dieudonné, la Sexion… y’a des sujets dès que tu en parles ça devient problématique, dès que tu es connu tu dois faire vraiment attention à tout ce que tu dis, argumenter, etc. Mais pour le reste j’évite de trop gamberger, je fais la musique qui me plaît. J’évite de me dire qu’il faut que je fasse ci ou ça pour l’underground ou pour le grand public. Même si j’imagine la tête de la fan de “Chérie Coco” qui tombe sur “Meskine”… Chaque fois qu’un artiste a voulu faire un des deux, il est tombé. Celui qui a voulu à tout prix resté underground aujourd’hui il est plus là, même si les gens vont dire qu’ils le regrettent ils l’ont jamais soutenu, son disque vous l’avez pas achetez. Et d’un autre côté, tous ceux qui se sont dit faut que je fasse du grand public, ils ont perdu la base, même leur âme… ils ont perdu tout et à la fin ils ont plus d’artistique… »

Mais avant de partir, direction le Québec avec Soprano qui nous chante du Roch Voisine :

Merci à Jorge Luquas pour la prise d’image.