Interview « Asocial Club » (Vîrus, Casey, Prodige, Al, DJ Kozi) (2e partie)

Et voilà, place au deuxième tiers de cette interview fleuve!

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R : Y a-t-il un esprit revanchard derrière l’Asocial Club ?

C : Revanchard, nan. On n’a pas autant d’énergie à mettre dans le truc. Après faire de la scène, faire des disques : y a une compétition et c’est normal. On a envie d’être bon, que ça se voit. Je trouve ça…sain.

P : Faut déjà qu’on ait perdu, mais on perd tout le temps (rire général), donc à partir de là…Revanchard par rapport à quoi ?

…Au milieu du rap

C : On n’a pas les mêmes attentes. On veut bien finir ce qu’on fait, être content de ce que l’on fait. T’en as dès le départ, avant de commencer, ils pensent à qui ça va plaire. On ne fait pas les mêmes choses. Et notre manière de penser pour plein de monde, c’est une manière de penser de trou-du-cul. Normalement c’est plutôt : tu fais de la musique, tu gagnes de l’argent, c’est tout. Ça sert à quoi de faire de la musique pour rien gagner ? Les gens ne comprennent pas ça, qu’il y ait juste le plaisir. C’est déjà un luxe de faire ce que tu veux, ce n’est pas rien. Certains vont dire qu’il n’y a aucune ambition, que c’est à un niveau de trou de balle. Nous, ça colle avec ce que l’on est.

V : Et y a beaucoup de keu-mé [mec : NDJ] qui vont te dire  « Ouais, je kiffe toujours » pour garder un reste de dignité. Mais je me dis que c’est pas possible. Y en a qui font les choses super-mécaniquement. Y a pas la part humaine du truc. C’est robotisé.

C : Dans la musique, ça serait plus facile de se mettre en scène. Je pourrais être la dernière caillera [racaille : NDJ] du moment, il pourrait être le dernier taulard du moment [en désignant Vîrus]. On peut tous s’inventer un personnage. Mais c’est pas comme ça que l’on cogite nos vies en général, même dans la musique. Pourtant, il y en a qui savent diviser : ils vont dire que la musique c’est du théâtre, de la mise en scène et la vie c’est autre chose. Et moi, c’est mêlé. Je ne fais pas de distinction entre faire du rap et vivre ma vie. C’est 2 langages différents en fait, on ne peut pas se comprendre.

A : On n’aborde pas les choses en se disant là on va divertir, là on va faire pleurer.

C : Ce n’est pas orienté vers les autres, c’est orienté vers nous-mêmes. T’écris ce qu’il te plaît déjà à toi. Les autres interviennent une fois que t’as terminé, que le truc est lâché. Les autres ne sont pas là dans la pièce quand t’écris. T’en as, ils écrivent avec la possibilité d’avoir 1 million de spectateurs avec eux, ils écrivent avec un million de personnes dans la pièce.

P : Si ça plaît à la ménagère de 50 ans, c’est vraiment que l’on n’a pas fait exprès (rire général).

C [en rigolant] : C’est un scrabble, un mot compte triple !

R : La dernière fois que tu es venu à l’Usine Vîrus, je t’ai raté. Du coup, j’avais préparé des questions que j’aimerais te poser maintenant. Pour commencer, j’ai lu dans une de tes interviews que ça t’avait marqué le fait qu’en Suisse, « dans les montagnes », les gens connaissent les paroles de tes chansons. C’est quoi du coup ta vision du pays, spontanément là ? et par extension la vôtre ?

C : C’est le chocolat, les montagnes, l’horlogerie et la banque!

A : La Belgique : c’est les frites…(rire général).

V : Quand t’as pas mis les pieds, c’est sur de l’apriori. Là, c’est un contexte particulier : Il y a avait une tempête de neige de ouf et du verglas. Pour te dire, on n’était même pas sûr de pouvoir venir de l’hôtel à la salle. Et je me suis dit, y aura personne. Si y a 3 gouttes de pluie vers chez nous, les gens ne viennent pas au concert…

A [le coupant] : Il a botté en touche avec la météo ! (rire général)

V : Nan, c’était un contexte particulier. Et après c’est aussi lié au fait que pour moi, c’est très nouveau finalement que je bouge. Y a encore pas longtemps, je faisais Rouen et son agglo’. Et quand c’était le grand luxe, je faisais une cave à Paris.

A : On est toujours surpris. Là ce soir, si y a du monde, on va être surpris.

C : Ah ouais, rien n’est acquis. C’est une surprise quand les gens viennent. Le samedi soir, tu peux être avec tes potes, au resto avec ta meuf, d’autres vont voir leur famille. Je suis toujours étonnée que les gens veuillent venir suer à un concert de pe-ra.

V : Par rapport à ce que l’on explique depuis tout à l’heure : c’est en lien avec la façon de faire les trucs. Bon là je suis un peu choqué, parce que Suisse, autre pays. Mais même dans ton coin, un mec qui finit tes phrases…t’as envie de lui glisser un « Merci !». C’est obligé que ça surprenne.

Tous ensemble : T’as envie de lui demander comment il en est arrivé là!

P : Et puis faut voir le rap que l’on fait, ça surprendra toujours de toutes les manières.

C : On est toujours étonné et tant mieux, ça veut dire qu’on n’est pas blasé non plus. C’est arrivé des fois de faire des concerts où y avait 10 pelos. Mais ça te fait kiffer quand même, parce qu’ils sont là ! Ils sont venus ! Ils pourraient ne pas venir. Des fois, bon sans donner des noms, tu croises des rappeurs qui n’ont pas fait des dates, parce qu’ils croyaient qu’il y aurait 300 et en fait il y avait 80 personnes au concert précédent. Il y en a qui annulent, s’il n’y a pas de préventes. Je trouve ça super-choquant : ça veut dire que les 80 qui sont venus, ils n’existent pas, ce n’est pas des gens ? Le jour où on devient des baltringues « Ah ils sont 20, on annule », mais c’est mort, faut tout arrêter. Moi ce qui m’inquiète, c’est ma personnalité : Si le rap te rend con, je préfère arrêter le rap. Le rap ce n’est pas toute ma vie, j’ai pas envie que ce truc-là me rende teubé [bête : NDJ].

A : Et t’as des mecs qui viennent, qui font le concert, mais comme t’as 40 personnes, ils vont limiter leur show.

C : C’est être traité comme tu voudrais que l’on te traite.

V : C’est l’échelle humaine, on y revient.

A : Des fois, il y a des gens qui viennent et qui te disent : « j’ai écouté ton truc ». J’ai presque envie de m’excuser : « Pardon de t’avoir dérangé ». Tu t’es retrouvé un moment et t’as du mettre mon disque. D’autres artistes que tu croises et ils te disent « Mon public », ils emploient des termes comme ça.

P : Comme Sec’ [Casey : NDJ] l’a déjà dit : t’as des mecs qui fanfaronnent mais dans 10 ans, ce seront les premiers à marcher pieds nus, tellement ils rêvent de ceci, de cela. Parce que le rap ça rend fou !

C : On n’est pas dans la réalisation d’un rêve d’adolescent fait de paillettes, de sollicitations et de tapis rouge. On est dans une réalisation perso. T’as déjà le luxe de pouvoir cracher des mollards, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Certains le font au bistrot et nous on le fait avec de la musique entre potes. C’est déjà pas mal ! Moi j’ai des potes, ils rentrent chez eux, ils regardent un DVD, ils dorment, c’est tout. Ils n’ont pas de passion. Ils n’ont pas un truc qui leur brûle les tripes. C’est pas rien dans une vie d’avoir ça. Un truc qui te donne envie de te lever, même à 4 du matin pour le faire. J’ai un truc qui me tient en éveil, un bouillonnement et on en discute. On a l’impression d’être une secte secrète, comme quand on était petit. On était plus jeune, on est 4, 5 dans le quartier à kiffer le rap, c’était minoritaire. On avait un langage particulier, rien que ça, ça te tient !

V : C’est le seul truc qui te ferait lever à 4h du matin sous la neige, y a rien de comparable. Et même le mec en face de toi passionné de cactus, tu vas le comprendre. Et il va se lever pareil.

A : Le mec aura du contenant, il sera consistant.

C : On est une génération différente, mais t’as des anciens, les parents, pour eux le travail ça ne peut être que douloureux. Quand tu sais que toi tu fais de la musique, tu fais des balances, tu bois de la bière…C’est pas normal et c’est exceptionnel à chaque fois. Pour ceux qui font des tournées de 120 dates dans l’année, Les 120 fois où ça va t’arriver, c’est exceptionnel, parce que ce n’est pas la vie de la majorité des gens.

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