Interview « Asocial Club » (Vîrus, Casey, Prodige, Al, DJ Kozi) (1ère partie)

Affable, communicatif, passionné, humble: 4 adjectifs qualifiant l’Asocial Club en interview, pour autant de mc’s en son sein. Eclairage en trois parties, sur un tout récent « supergroupe» de rap français, dans la bonne humeur et les canapés de l’Usine à Genève. Avant leur concert du 17 mai. [DJ Kozi se repose durant l’interview : NDJ]

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Reprezent : Combien de titres du prochain cd vous allez jouer ce soir ?

Casey : Du prochain cd, 5.

R : Et le concept, c’est quoi ? Plus la tournée avance et plus vous en faites, parce que plus vous en avez enregistrés ?

C : Nan, tout est déjà enregistré, mais vu qu’il faut qu’on se voie, qu’on répète…Ce qui est compliqué dans les collectifs, c’est les emplois du temps de tout le monde. On n’a pas eu le temps d’avancer, de bien bosser d’autres morceaux, d’être à l’aise. Même si tu les fais en studio, après pour se les mettre en bouche et être à l’aise avec, c’est plus difficile. Donc on prend pas de risques, on les fait petit à petit.

Al : Pour préserver un petit peu une part de mystère. Pour que les gens les découvrent aussi sur le disque.

R : La tournée va durer encore longtemps ?

C : C’est le début. Le disque va sortir le 21 juin [« Tout entrée est définitive », composé de 11 titres : NDJ]. Donc on espère que si il intéresse, qu’on ait des concerts à l’automne prochain. Là on vient de l’enregistrer, on vient de le faire, les morceaux sont super frais. C’est la 1ère fois là qu’on fait les nouveaux morceaux sur scène.

A: Jusqu’à maintenant, on a joué qu’un titre.

R : Je reviens sur le nom du groupe. En dehors du contexte musical, est-ce que vous vous définissez au quotidien comme des asociaux ?

A : D’une certaine façon, mais c’est aussi un positionnement par rapport au rap game, si il faut appeler ça comme ça.

C’est que par rapport à ça ?

C : Après y a surement des trucs perso dans nos vies. C’est une manière d’être vis-à-vis du rap, où y a des espèces de connivences, comme dans tous les petits milieux et y a un milieu. Nous, on est hors milieu.

A : On est même allergique. S’il y a la famille du rap, ce n’est pas la nôtre.

R : Par rapport à l’asociabilité, vous considérez que vous n’êtes pas adaptés à la vie sociale ou que vous ne voulez pas l’être ? J’avais plus en tête le dernier EP [format plus court qu’un album : NDJ] de Vîrus [Faire-Part : NDJ] concernant cette question…

Vîrus : C’est un choix, tu peux jouer un rôle et y participer. Si tu veux vraiment fêter la St-Valentin, tu peux y aller physiquement. Mentalement, nan. Après par rapport à ta question d’avant, c’est à peu près mon point de vue dans la vie. Par rapport à plein de trucs : le monde du travail, aller chez le docteur. Plein de trucs bateau de la vie. Des trucs qui sont des corvées, alors que pour d’autres c’est beaucoup plus simple. L’attente dans une salle d’attente par exemple. Enfin, tu peux participer à quelque chose de contre-nature, mais perso ça serait contre-nature. Moi j’estime pas être adapté, mais je fais pas forcément d’efforts pour l’être. J’ai fait des trucs, j’ai reniflé et j’y suis pas allé. Comme des soirées, tu regardes dedans et tu t’en vas.

A : Moi je dirais, t’es pas adapté, tu veux pas t’adapter, mais tu t’adaptes.

C : Chacun a son truc perso. Moi je te dirais que dès le départ, j’avais l’impression d’être en dehors du truc et même si je voulais y rentrer, y avait pas moyen. T’as des paramètres qui font que tu peux pas. Donc à un moment, t’acceptes ton sort aussi. On se retrouve là-dessus. Chacun de notre côté, on a toujours l’impression d’être un peu seul. Mais c’est ça quand tu fais tes trucs un peu différemment, faut accepter la solitude et l’incompréhension. Et vu qu’on est à peu près dans le même délire, on est moins seul ensemble.

R : Je reprends une phrase de toi Al : « Faut admettre que l’on ne peut rester replié sur soi-même, du berceau au cercueil ». C’est un point de vue que vous partagez tous, une nuance dans l’asociabilité?

C : Tu ne peux pas être seul. Les autres existent, t’es toujours en contact des autres. C’est bien là qu’est le problème. Si y avait pas de souffrance à être seul…T’as toujours besoin d’un autre à un moment donné. T’as besoin du boulanger pour qu’il te fasse du pain. Même quand t’es asocial. Tu n’es jamais vraiment autonome, tu n’es jamais vraiment coupé de la société. C’est une posture mentale, intellectuelle. L’être humain n’est pas fait pour la solitude. En tout cas, quand tu aimes être seul, c’est considéré comme un problème, quoiqu’il en soit.

V : Asocial Club, c’est un paradoxe. La phrase du morceau que tu cites, c’est « Tout seul », un morceau à 2 [avec Al, issu de son album Terminal 3 : NDJ]. C’est l’ambiguïté du truc. Tu peux aimer être seul, mais à un moment…tu passes une journée complète seul, après deux…l’exemple de la boulangère : après tu vas peut-être lui parler un peu  « Alors comment vous le faites ce pain avec le pavot là ? » (rires).

A : Comme après, l’inverse : une fois que tu vas être trop entouré, tout le temps avec quelqu’un, à un moment où à un autre tu voudras bien être sur ton canapé en train de te les gratter tranquille.

V : Inversement, y a des gens qui supportent pas du tout le fait d’être seul.

C : Qui ont du mal à être seul, qui ont du mal à vivre seul. Qui admettent qu’ils sont complètement dépendants, que leur bien-être dépend complètement du fait d’être en contact avec autrui. Mais ça par contre, ce n’est pas considéré comme une espèce de tare. C’est ça qui est bizarre.

R : J’ai essayé de trouver des interviews de vous sur le net…

C : T’as du galérer (rires).

…Ouais, il n’y en a pas beaucoup. Mais dans l’une d’elles, Casey, tu dis que vous ne vivez pas forcément en opposition à quelque chose. Vous faites votre vie comme vous l’entendez. Du coup finalement, vous vous retrouvez par rapport à quoi dans l’Asocial Club ? Vous partagez les mêmes sensibilités, abordez la vie sous le même angle ?

C : Déjà c’est une manière de se positionner par rapport au pe-ra [rap : NDJ]. On a tous à peu près la même cogitation. La mode du moment, les ventes, c’est pas dans nos préoccupations. Qui fait quoi ? les petites rumeurs du milieu…On n’est vraiment pas là-dedans, ça nous fait des points communs. Et on a tous ce trait de caractère : on n’a pas beaucoup de patience avec la connerie. On n’a pas d’indulgence, y a pas d’empathie pour ça.

A : Conjuguer avec, tout le temps : y a des gens qui savent le faire. Ils sont en face de quelqu’un avec qui ça ne va pas, mais comme ils ont des intérêts, ils conjuguent avec ça.

C : La connerie dans les milieux du rap, y en a beaucoup. C’est comme dans tous les milieux, y a des gens avec leurs désirs, leurs ambitions, qui l’étalent en gros, partout ; qui viennent te saouler avec leurs rêves alors que t’en as rien à foutre. 2 rappeurs se rencontrent, y en a un qui dit : il a signé, il n’a pas signé, il a vendu…on en a rien à foutre.

Petite parenthèse, vous ne vivez pas du rap, vous avez tous un taff à côté…

A : On a tous des situations, différentes…

Prodige : C’est ce qui permet de dire ce qu’on veut…

A : C’est le prix de l’indépendance…

R : Les tournées vous rapportent financièrement ?

C : Oui tu gagnes des thunes…

A : Ca dépend, les miettes que j’ai gagné dans le rap, c’est de l’argent que j’ai réinvesti dans le rap.

V : Faut demander les relevés Sacem [société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique : NDJ], ça va plus vite…(rires)

P : Franchement, on a dépensé plus d’argent que ce qu’on a gagné, la réalité elle est là. Le prix de l’indépendance, il est là. On sort un disque, on sait jamais où ça va. Ça t’appartient plus. Faut pas croire que quand on fait un concert ou deux, on est blindé.

 

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