Notre premier contributeur est Virgile Morales qui a eu envie de traiter du thème de la solidarité sous un autre angle et de manière très courte « J’ai toujours aimé ce genre de délire et je crois qu’en se mettant de contraintes il est des fois plus facile de tenir une histoire et de la traiter comme on le souhaite. ».

Bonne lecture!

Idolâtries dilatoires

Dieu nous aime tous comme on est à ce qu’ils m’ont dit. Paraît même qu’il nous a faits à son image, le créateur de ce merdier. Enfin bon, quand je me permets de lancer un œil sur les dames qui passent, je me demande bien à quoi il doit ressembler le grand-père. Il a sûrement un corps à faire trembler toutes les vierges et une caboche plus dégueulasse que ce vieux tenant la main de sa jeune épouse bolivienne. Ouais, ils pourraient m’expliquer que c’est plutôt à l’intérieur que ça se passe et que peu importe l’enveloppe, l’important c’est l’âme. C’est probable que mon interprétation superficielle soit fausse, mais leurs histoires d’âmes, ça ne tient pas plus la route que les fables sur les lutins et les fées. 

Parce que du peu que j’ai pu voir depuis mon bout de trottoir, ils sont pas bien câblés ces gens-là. Des fois, y en a un qui s’arrête et il veut me taper la parole. Il prend des nouvelles très rapidement, je sens bien qu’il s’en branle le cul de ma petite histoire. Lui, il veut me parler de la Grande. La création, la rédemption et surtout que quand je finirai desséché par cette canicule, il y aura un paradis qui m’attendra. Et puis, son grand bouquin qui sera le seul livre qu’il aura ouvert de toute sa vie de mensonges. Lui, sa mission est accomplie et il dormira le ventre rempli d’ego.

Aujourd’hui, le soleil a encore envie de voir crever la pauvreté. Même le climat veut plus de nous ou plutôt de moi. Faut pas croire qu’on se tient les coudes dans la rue. On est la version la plus aboutie du Capitalisme. Quand la faim vient me pourrir le cerveau, je scrute les plus faibles et les nouveau-nés du rejet. Je m’empare du peu qu’ils ont. Avec le temps, j’ai plus eu de scrupules à le faire. Y a jamais de nuages quand mon odeur souhaite me dégoûter. Je sens la moisissure, l’excrément, la transpiration, la bière, la clope, le vomi, l’ammoniac, le rejet, la lâcheté, l’abandon de ma fierté. J’ai pas eu le don pour faire les bons choix. Et encore est-ce que ça existe les bons choix ? Y a tellement de vies noyées sous la boue que c’est peut-être que sans nous les autres, ils seraient pas bien comme il faut. 

Et qu’est-ce qui fait que moi j’ai été attiré par ce qui suintait la mort ? Même éducation que mon frère et pourtant c’est lui qui a le grand palace et les belles demoiselles. Enfin, j’imagine. Après tout, j’ai pas revu sa tronche depuis plus d’années que ma mémoire peut en compter. On s’était brouillé durant un de ces repas de famille qui puent des pieds. C’est celui qui allait bien qu’on a soutenu. Moi, j’ai été châtié par mon vieux et sa pute de bonne femme. Une vraie tête à bites celle-ci. Madame « Je sais tout sur la vie », savait surtout comment écarter les jambes, ouvrir la bouche et attendre que l’argent rentre. J’ai eu le temps de prendre quelques fringues, voler un peu d’argent pour me payer ma folie et puis je me suis barré avec le vent. 

Je pensais que c’était bien le vent, mais le vent il a fini par souffler tellement fort que mes jambes se sont écroulées et depuis il me garde à terre.

Seul et accompagné de toutes ses quilles se pressant devant ma tête, évitant de me regarder pour ne pas devoir feindre d’un semblant de compassion. Après, c’est moi qui reste à hauteur des tibias, c’est moi qui n’ai pas le courage de me botter le cul pour avancer. Mais à quoi bon ? Chuter encore dans la tristesse qui tourne autour de moi en entraînant tout ce que j’aime dedans. Je crève de chaud et personne ne s’arrête. Deux jeunes m’ont lancé une pièce sans le moindre regard sur ma personne. Un automatisme, je commence vraiment à croire que je suis devenu plus transparent que la glace. Ou bien peut-être qu’il pense que je suis un vieux clébard qui sait pas articuler trois palabres. 

En face des jambes, il y a ce bistrot qui respire le sucre. Je rêverais de manger une tranche de ce moelleux au chocolat qui vient me narguer quand je suis en train de faire la poubelle d’à côté. Il y a pas si longtemps, je suis allé à la fermeture de cette boulangerie, en espérant grailler les restes. Tout ce que j’ai reçu du patron, c’est un « Je préfère nourrir les rats que de te donner de quoi glander toute la journée sale profiteur. Fous le camp de mon trottoir avant que je te balaye les os. » Je suis reparti avec tous mes os et puis je suis allé me coucher. Une preuve de plus que l’humain est un tas de bouse de vache.

Le soleil joue à cache-cache avec les immeubles et ça me fait du bien. Les pantins continuent de marcher sans buts, mais à quelques mètres de moi, il y a cette petite fille pointant ces orteils vers moi. Elle me regarde avec ces yeux pleins de ciels. Elle est très charmante, mais elle me regarde avec un visage plus fermé que ces cons de rasés aux blousons noirs. Mais au moins, elle me remarque, me considère un peu. Et maintenant, voilà qu’elle s’avance vers moi le crasseux, l’ivrogne, le drogué, le puant. Ses chaussures sont rouges et plus petites qu’une cannette. Une fille comme ça que j’aurais voulu procréer. Cela m’aurait peut-être donné un peu de couleurs dans ce film grisâtre. Ses cheveux respirent l’innocence. Est-ce que la chaleur me fait halluciner ou j’ai une lueur d’espoir en face de ma triste gueule ? Elle est désormais à moins d’un mètre de moi, elle ne dit rien et moi non plus. J’aurais peur de faire faner cette fleur qui a poussé à travers cette bouse. Elle s’approche encore de mon visage qui reprend forme humaine. Qu’est-ce qu’elle va me murmurer ? Je l’ai vue reculer de ma joue et de son joli sourire sortir un crachat de l’enfer qui a atterri en plein sur mon front. Elle a rigolé et ma fleur s’est transformée en un crapaud faisant des petits bonds jusqu’au trottoir d’en face. Elle a rejoint un homme que je connaissais déjà. Le propriétaire de ma boulangerie inatteignable. La solidarité dans ce foutu monde, ça serait qu’on se pende tous ensemble aux couilles des Dieux.

Virgile Morales