Full One Records, 10ans de Hiphop

records_cd_foa_bigDifficile de résumer en quelques lignes le parcours de Full One et de son label Full One Records. 10 ans donc, 10 ans que ce belge installé à Genève produit et distribue du Hiphop qu’il refuse de formater. Difficile aussi de faire la liste de ses collaborations et apparitions tant elle est longue, mais on citera quand même du coté ricain King Solomon, Infamous Mobb, Jesse Al Malik, Lil Dap (Group Home), The Animal Crackers, Soul-J, Havoc (Mobb Deep), Tragedy Khadafi, Nature, Blaq Poet (Screwball), Guru, Scorpio (Grandmaster Flash & Furious Five), Masta Ace tout comme Kool Shen, Oxmo Puccino, Dj Spank, Leeroy, La Rumeur, Akhenaton, Rockin’Squat pour le français. En gros, 10 ans de Full One ça donne:

159 titres édités
19 albums produits
37 références distribuées
50’000 disques vendus (production & import-export)
122 collaborations avec des artistes du monde entier

Pas mal pour quelqu’un qui ne fait pas ça à plein temps! Bon, on pourrait parler encore pendant pas mal de temps de ce que Full One a fait, mais le plus simple est encore d’aller faire un tour sur son site pour plus de détails et pour télécharger les nombreuses mixtapes spécialement enregistrées pour les 10 ans du label.

En attendant, et parce qu’on fait aussi des interviews d’artistes suisses sur repreZent, on vous propose de faire plus ample connaissance avec un mec intègre et plus que sympathique, ah ils sont bien ces belges!

Full One Records fête ses 10 ans, quel regard portes-tu sur ton évolution ?
Plutôt positive, globalement je pense que c’est une évolution qui a été artistique avant toute chose. L’élément majeur de ses dix ans a été de garder une constance de travail.

C’est à dire ?
En 10 ans tu croises pas mal de monde, tu vois beaucoup de personnes qui raccrochent, qui se désintéressent de la culture Hip Hop, qui passent à autre chose. Je pense que la plus belle des choses c’est de montrer que 10 ans après t’es toujours là, en place.

Le label a 10 ans, mais je me doute bien que t’as pas commencé dans le rap en créant un label…
Personnellement ça fait 15 ans, porte d’entrée par le graffiti…plutôt par le tag, le genre de chose que tu fais quand tu as 13-14 ans. Ça a été ma porte d’entrée dans cette culture, ça m’a permis de découvrir les autres disciplines par la suite.

C’était à Genève ?
Oui, mes débuts à Genève, mais par nationalité j’ai été vite attiré par la Belgique, j’y allais souvent… ça m’a permis de voir ce que pouvait être le hiphop dans deux cultures distinctes, deux pays différents… des immersions intéressantes.

Parlons de la Belgique, à part Benny B et les fils de policiers, qui fait du rap là bas ?
Il y a énormément de très bons groupes et mc’s en Belgique : Starflam, CNN (Criminels Non Négligeables), Akro, De Puta Madre, RAB, Sozyone Gonzales, P.50, Scylla, Gandhi, Leg et encore tellement d’autres…

Full One Records en Belgique ?
C’est certainement plus connu en Belgique qu’en Suisse. Je suis conscient qu’une bonne partie des gens pensent que j’habite encore en Belgique et j’ai certainement fait plus de choses avec le mouvement belge que suisse.

Comment t’expliques ça ?
Parce que principalement j’ai été plus attiré à mes débuts par le rap belge, ça avait un petit quelque chose de dépaysant. Y a des gens qui pensent que j’ai mis de côté le mouvement genevois pour ne mettre en avant que des américains, des français ou des belges. Je sais que c’est quelque chose qu’on me reproche dans l’ensemble de mon travail. Une critique que j’accepte mais qui n’a pas de réel fondement.

On te reproche ça ?
Ça n’a jamais été très concret, c’est des choses que j’entends. Ce qui est contradictoire c’est que je travaille quotidiennement avec des genevois. Que ça soit sur des conseils, du partage de connexions, des collaborations artistiques…je suis Hip Hop, le partage c’est quelque chose qui le compose mais qui n’est pas forcément visible, ce n’est pas un travail signé publiquement d’où les reproches.

Full One le travail l’ombre…
(Rires) Appelle ça comme tu veux…

Dans la lumière tu fais quoi avec les genevois ? (ndlr : Mr Seavers très en forme dans les transitions, passant de l’ombre à la lumière)
En 1999, j’ai fait une tape avec le D.U.O. J’ai produit l’album de Soul-J en 2007 qui même s’il rappe en ricain vivait sur Genève. Je travaille avec Sark et Sonoblast depuis de nombreuses années au niveau de la production. Au début, avant d’avoir un label, j’ai fait de la distribution, j’exportais les disques genevois en Belgique. Des collaborations sur murs avec des graffeurs comme Jazi, Serval. Et pour ce qui est de plus récent, j’ai filé un petit coup de main pour le bouquin de Serval et aussi sur l’album de Vincz Lee par exemple. Mais comme je te dis, je m’étale pas là-dessus, ce n’est pas à mentionner, c’est Hip Hop.

Voilà pour montrer au MCG que tu bosses sur Genève…
Ouais, t’as vu je ne suis pas complètement frontalier…

Difficile d’être frontalier quand on n’a pas de frontières.
En effet, les frontières c’est seulement celles que l’on s’impose. Pour ma part, je bosse uniquement au feeling et au talent artistique.

Ce n’est pas des frontières, mais des murs.
C’est une limitation qualitative, je travaille avec les gens que j’estime artistiquement. Peu importe leurs origines.

Pas d’envie de gros coups commerciaux ?
Les gros coups commerciaux j’en suis revenu. J’ai pensé à une époque pouvoir vivre de ma passion sans franchement penser à faire des hits, juste de pouvoir payer mon loyer, ma bouffe et le reste. Je l’ai vécu et j’ai compris que c’était très difficile. J’ai aussi vite été conscient que pour faire des « gros coups », il fallait faire des compromis que je n’étais pas prêt à faire.

Quel genre compromis ?
Formatage sonore aussi bien au niveau de ce qui va être rappé, que de la mélodie, des refrains, de la durée de ton titre… ce genre de choses.

C’est clair qu’en sortant des morceaux de 7min32 », difficile de passer en radio.
C’est difficile, mais ce n’est pas un titre pensé pour passer en radio. Après que le morceau n’ait pas été joué sur des gros airplays n’a pas entamé en quoi que ce soit la réussite de ce disque. Days Are Longer a été joué partout en Europe mais sur des émissions spé.

Tu ne regrettes pas un peu que beaucoup de rappers se formatent justement ?
Je ne peux pas le regretter, parce que c’est un phénomène que je comprends. Quand tu évolues dans ce milieu depuis 10 ou 15 ans, que t’as tout fait pour ne pas te formater que t’as tourné en rond sans pouvoir réellement subvenir à tes besoins, je comprends que certaines personnes tentent le tout pour le tout. Ce n’est pas une tare de vouloir vivre de son art, après selon les dérives auxquelles on arrive il faut pouvoir l’assumer.

Mais même en se formatant, difficile d’en vivre en suisse, non ?
Perso, je m’en suis remis de mes illusions de pouvoir en vivre, j’ai un travail… je bosse 10h par jour et le soir et le week-end je fais du son. C’est aussi simple que cela mais faut des couilles pour l’assumer au quotidien, ce n’est pas la solution de facilité.

C’est ça qu’il faut que les jeunes comprennent.
C’est beau d’avoir des illusions et c’est important de rêver. Mais ce n’est pas la réalité de la vie, la réalité c’est qu’au jour d’aujourd’hui très peu vivent du rap.
Mais par contre, le parcours que j’ai eu dans le Hip Hop m’a donné les références nécessaires pour avoir le travail que j’ai aujourd’hui. J’ai été engagé sur ce que j’avais fait plutôt que sur mes diplômes.

Regrettes-tu de ne pas avoir fait d’études ?
Oui et non, j’ai pris un chemin plus sinueux c’est tout mais aujourd’hui je n’exclue pas de reprendre des études.

Pour en finir avec le rap ?
Non le Hip Hop c’est mon mode de vie depuis 15 ans. Ce n’est pas quelque chose que tu peux arrêter du jour au lendemain. Ce n’est pas comme si je décidais de changer de hobby, genre de passer du tennis au badminton…

Donc on va encore entendre parler de Full One pendant longtemps ?
Certainement.

C’est vague…
Oui, mais je m’avance jamais sur les projets en cours. J’ai tendance à parler une fois que les choses sont faites.

Donc pas d’exclu pour reprezent ?
Euh…non pas d’exclu pour repreZent…en même temps si je te donne une exclu la phrase que je viens de te dire ne veut plus rien dire.

Un homme intègre dans le rap game…
L’intégrité est certainement synonyme de longévité, après les gens jugeront si je le suis ou pas.

Les reprezentiens pourront juger ton travail avec le sampler des 10 ans que tu leurs offres. C’est quoi ce cd pochoir ?
C’est le cd anniversaire des 10 ans du label. Qui est composé à 80% par des titres inédits et par des fonds de tiroirs, des titres que je n’avais pas sorti à l’époque pour l’une ou l’autre raison. C’est aussi le premier cd qui peut se transformer en pochoir, un concept pour intégrer le maximum de disciplines Hip Hop.

Offrir un pochoir à Genève, par les temps qui courent c’est risqué non ?
Je pense qu’à Genève on a plus tendance à se soucier des murs sales que des questions importantes, la crise du logement par exemple donc oui c’est peut-être risqué mais pas autant que de se tromper de débat. Puis je n’oblige personne à aller peindre…

Mais y’a 15 ans tu l’aurais fait
Carrément (rires)

15 ans dans le Hip Hop ça donne du recul, quels sont les gros sons qui t’ont marqué ?
J’ai toujours du mal à répondre à cette question parce qu’en quinze ans, il y a tellement de choses qui m’ont marqué, je te répondrai par noms d’artistes plus que par titres. En français, je pense à East, Fabe, Akhenaton, Starflam, Rival. En ricain : Eric B. & Rakim, Krs-One, Nas, Slick Rick, Furious Five et la majorité des albums de Cypress Hill.

En parlant de Cypress Hill, le rock dans le rap ça te parle ?
Ouais bien sûr. Je pense que notre musique n’est pas à mettre en autarcie des autres univers musicaux. La combinaison Hip Hop & Jazz a déjà fait ses preuves qualitatives par exemple.

Quels sont les sons qui tournent chez toi maintenant ?
En Hip Hop l’album de Large Professor, Blaq Poet, Medine, Scylla, Big Twin, Oddisee,… en fait j’achète du récent comme des vinyls anciens donc je découvre aussi des sons que je n’avais pas eu à l’époque, soit parce que j’étais passé à côté soit à cause de leur année de sortie. Là par exemple, j’ai mis la main sur quelques vieux maxis d’Arabian Prince. Sinon pour le reste, du jazz du Mingus, Monk, Tatum, de la soul et du classique.

repreZent, ça veut dire quoi pour toi ?
repreZent c’est un des axes central de notre culture mais qui a tendance à disparaître. RepreZenter ce n’est pas quelque chose qui est lié à l’argent, c’est encore une des rares actions gratuites. Tu repreZent ta culture, ce que dont tu es fier, tu repréZentes ton savoir-faire, ton talent.

Si tu as lu cet interview jusqu’à la fin, tu as mérité de recevoir à la maison le cd sampler des 10 ans de Full One. Envoie un mail avec ton nom et adresse à info(at)reprezent.ch et c’est parti!