C’est dans sa loge, quelques minutes après son concert donné à Festi’Neuch que Rachid Taha nous a chaleureusement accueilli pour l’un de ses entretiens qui vous marquent. Visiblement agréablement surpris de l’intérêt que lui porte un média Hiphop, on a juste eu le temps de se présenter qu’il nous déclare : Le Hiphop j’ai bien connu, j’ai bossé avec la Zulu Nation… Afrika Bambaata… Futura 2000… j’ai même failli faire un titre avec Public Enemy…

Public Enemy ?
Ça remonte à l’époque de Carte de Séjour, j’avais fait un titre qui parlait de politique, c’était l’époque de la Marche des Beurs, je faisais la grève de la faim pour les papiers. C’était en 1982, il y avait « Rock against racism » à Londres et nous on avait repris le principe à Lyon. J’étais ami avec Futura 2000 et ils ont entendu parler de moi, ils voulaient faire des trucs avec des arabes. Après la vie a fait que ça ne s’est jamais concrétisé… À l’époque j’étais sur un label qui s’appelait Mosquito qu’on avait monté avec Bernard Meyet. On avait sorti un album extraordinaire, on bossait avec des mecs comme le trompettiste Don Cherry, Linton Kwesi Johnson, Yellowman…

Et voilà, sans nous en rendre vraiment compte on venait d’entrer dans le monde de Rachid Taha, un monde de musique, de coups de gueule, de rencontres, de revendications… un monde vrai, sans fard. Afin de ne pas perdre totalement pied, on essaie de rester en terrain connu, on décide donc de continuer de discuter de rap.

Mon fils a 28 ans, pendant des années il fumait de l’herbe, il écoutait du rap, Iam etc… et moi au bout d’un moment, je suis désolé, mais je vais te dire ce que je pense… je n’ai jamais pu supporter Iam… ils ne savent pas rapper les mecs, pour moi le plus grand morceau de rap français c’est le truc des Inconnus, après y’a eu MC Solaar qui je trouve est l’un des meilleurs, au moins il articule tu vois.. Un jour j’étais en studio avec Brian Eno et il me demande ce qui marche le plus en France en rap, alors je lui fais écouter Iam. Il me fait « what?? », je lui réponds qu’ils vendent plus 1 million d’albums… « Whaaaattt ??? » c’est la France je luidis. Et là il me répond que la France c’est un des seuls pays où l’on peut faire carrière sans savoir chanter. C’est un peu violent, mais c’est comme ça…

Rachid Taha est comme ça, toujours souriant, le regard malicieux d’un enfant, on ne sait pas toujours à quel degré il faut comprendre ce qu’il dit, mais on est pas là pour interpréter, on retranscrit. À vous de savoir dans quel monde il navigue. Pas facile car être entre différents mondes c’est aussi ce qui le caractérise, musicalement, mais aussi et surtout humainement. Lui qui voyage beaucoup, quel regard porte-t-il sur les pays arabes et leur jeunesse ?

J’étais en Algérie il y a pas longtemps pour présenter Cheba Louisa, un film de Françoise Charpiat (NDLR : Rachid Taha produit des musiques de film également) et tous les gamins ils n’ont qu’une envie c’est de se barrer. Que ce soit en Tunisie, en Égypte, en Jordanie, au Maroc… tous les mômes veulent partir, et quand tu leur demandes pourquoi ils te répondent qu’ils n’ont pas d’avenir chez eux. Moi j’en ai marre de tout ça, à l’époque des Omeyyades on traduisait jusqu’à 1000 livres par an, maintenant si tu regardes on a peut-être traduit 1000 livres en 600 ans… T’as vu le bordel que c’est? T’as vu où on en est maintenant ? Tous les jours t’entends des trucs sur les musulmans, mais moi j’aimerais bien entendre par exemple qu’un Algérien est champion de tennis, pilote d’automobile, golfeur, qu’il va aller sur la lune, mais non, rien. Bon il y a des choses dont on peut être très fier. Quand je vois Abdellatif Kechiche qui gagne la Palme d’Or, qui en plus la gagne de façon totalement différente… un musulman qui fait un film lesbien, c’est un paradoxe, mais c’est bien parce que quelque part ainsi on contredit la bêtise humaine, on contredit toutes ces conneries. Il y a aussi cet excellent film sur Sixto Díaz Rodríguez réalisé par Malik Bendjelloul, c’est un Algérien qui l’a fait. Donc malgré tout on est là d’une manière ou d’une autre… l’un des meilleurs acteurs en France actuellement c’est Tahar Rahim, on a aussi Leïla Bekhti, Rachida Brakni, Isabelle Adjani… On est là, mais en même temps on reste montré du doigt d’une manière assez rocambolesque. Tu vois moi j’ai bien aimé un truc, le mec qui fait un attentat et qui s’appelle Alexandre, c’est quand même assez génial non ? Mais plus sérieusement les convertis c’est souvent les pires, tu sais qu’en France celles qui mettent la burqa c’est des converties.. Ma mère elle n’a jamais mis de burqa.. jamais… enfin voilà, il faudrait plus montrer ça plutôt que de toujours pointer les mêmes du doigt.

En parlant de mise en avant, on en vient tout naturellement à parler de ses projets en cours, dont la mise en place d’un festival de rock arabe.

Je suis en train de monter le premier festival de rock arabe, j’ai beaucoup de groupes et je travaille actuellement sur ce projet, il faut miser sur la continuité. Faire des disques c’est terminé, c’est fini à moins de mettre des casques et s’appeler Daft Punk… Donc il faut trouver d’autres alternatives, moi je fais des festivals, des courts métrages. Je pense que la musique a pris une autre manière d’exister et je pense que cette manière d’exister il faut qu’elle soit politique. Parce qu’on n’a pas le droit, quand tu vois le Bangladesh, des bâtiments qui s’écroulent, des milliers de morts… tout ça pourquoi ? Pour les Benetton, Prada et tous ces fils de pute qui nous vendent leurs chemises à 200 euros… Excuse-moi, mais je suis en colère, mais ma colère c’est de la couleur.

Mais ça tombe bien, nous on aime les gens en colère alors on en profite. La discussion nous amène finalement à Paris, Paris et sa jeunesse, Paris et son monde de la nuit, Paris et ses préjugés…

La jeunesse… moi quand je joue à Paris ils ne viennent pas me voir.. Ils vont dans les boîtes de nuit, ils écoutent les artistes américains ou alors ils vont dans des cabarets arabes où ils paient 50 euros leur verre et là c’est complet. Enfin je ne suis pas là dedans, mais tu sais qu’il m’arrive encore de me voir refuser l’entrée de certaines boîtes de nuit parce que je suis arabe. D’ailleurs Amnesty International a classé Paris dans les villes les plus racistes du monde, c’est mieux de ne pas être noir ou rebeu à Paris… À part dans des endroits comme le Georges V avec ses Qataris que j’emmerde. Non, mais faut le dire ça aussi, ils ne sont pas clairs eux, d’un côté ils te montrent le champagne et de l’autre ils sont salafistes…

Et quand on lui demande si sa génération ne porte pas une part de responsabilité dans cette résignation de la jeunesse il est aussi franc que pour le reste.

On a échoué quelque part, on n’a pas réussi à sensibiliser les jeunes… Là j’ai fait un entretien avec un mec du Monde, il fait un truc sur la Marche des Beurs et veux que je lui raconte… mais lui raconter quoi ? Que j’ai connu les ratonnades ? Qu’on me poursuivait dans la rue parce que j’étais arabe ? Que j’avais une carte de résidence ? Que je faisais des GAV ? Que lorsque je sortais avec ma femme on lui disait qu’elle pouvait entrer, mais pas moi ? D’ailleurs ça m’arrive encore maintenant… C’était dans une boîte de nuit à Paris, je vais te dire le nom même, le Montana. J’arrive là-bas avec un jeune qui bosse dans un magazine, les mecs à l’entrée me disent : « Lui il rentre, mais pas toi. ». Je demande pourquoi et on me répond qu’il y a déjà trop de mecs dedans… Ok, je me mets au coin et je vois arriver Gilles Lellouche avec 6 mecs et eux ils entrent sans problèmes… Voilà c’est une réalité française, mais je ne peux pas être sur tous les fronts, j’essaie de faire de mon mieux, j’ai de la chance de pouvoir travailler avec des gens reconnus. Tu te rends compte que si j’étais cinéaste c’est comme si j’avais bossé avec Spielberg et Orson Welles… Je devrais avoir des couilles énormes… Robert Plant, Brian Eno… mais moi on ne me donne pas de privilèges. Mais finalement ça m’amuse tous ces trucs, c’est comme ça, c’est comme ces cacahouettes finalement. Mais je ne sais pas, c’est dommage, des fois j’ai envie de pleurer.. Mais la vie elle est comme ça. Un jour j’ai écrit une nouvelle qui s’appelait « qui m’aime me juive »… voilà… (rires)

Et si finalement tout n’était pas qu’un éternel recommencement…

Tu sais aujourd’hui même les communistes deviennent FN… regarde la nana de Marseille… Je vais être clair, le FN c’est des connards. T’as vu le mec qui s’est suicidé à Notre Dame ? C’est un mec d’extrême droite, un ancien OAS… l’OAS! Ces mecs là c’est comme des nazis, des collabos… Y’a eu comme un entracte et d’un coup ils ont créé l’OAS… Et le FN lui rend hommage. Il ne faut surtout pas avoir peur de leur rentrer dans la gueule, mais voilà, c’est pas que je suis fatigué, mais ça me fatigue tout ça…

C’est malheureusement déjà l’heure de se quitter, on prend rendez-vous pour une prochaine fois afin de continuer et surtout terminer, nous l’espérons, sur une note plus positive. En attendant cela, nous remercions Rachid Taha pour sa sincérité et son franc parlé, ça fait cruellement défaut de ce monde du show-business. Bonne route à toi camarade et à bientôt!