Cela faisait 6 ans que l’on attendait un album solo d’Orelsan, et si le temps nous avait presque fait oublier qu’il rappait encore, le mc nous a vite remis à l’ordre avec son magnifique « La fête est finie ». repreZent est allé à sa rencontre, discussion sur un canapé dans un hôtel lausannois.

Basique, ton premier single nous a un peu fait penser à Mannschaft de Youss, du coup on s’est dit qu’on allait débuter par une citation : c’est pas parce qu’on veut se faire rare qu’on n’est plus à la mode…
C’est vrai que ça fait un petit moment… j’étais rare, mais pas si rare non plus, c’est juste que j’ai fait d’autres choses. C’est vrai qu’en solo ça faisait 6 ans que j’étais plus trop sur le devant de la scène, c’est ce qui m’a surpris quand j’ai sorti Basique; les gens m’attendaient encore. Généralement dans le rap on a l’habitude de sortir des projets tous les ans, mais en fait c’est pas forcément nécessaire, il faut savoir respecter son rythme en fait.

Eh oui, les gens t’attendaient encore… certains au tournant pour voir comment Orelsan allait pouvoir continuer à faire du Orelsan à 35 ans…
Je pense que l’idée c’est justement de ne pas faire du Orelsan, enfin de garder… c’est dur quand même parce que je fais plein de chansons et du coup y’en a pleins que je ne garde pas juste parce qu’elles me ressemblent moins. Après du Orelsan est-ce que c’est des chansons d’ado perdu ? Est-ce que c’est des chansons rigolotes? Est-ce que c’est Suicide Social ? Est-ce que c’est des chansons plus sombres comme Étoile invisible ? Je fais plein de trucs différents… j’ai l’impression que tant que je raconte des trucs qui me touchent, que je les tourne à ma façon ça restera du Orelsan.

On était censé changer les choses… mais finalement c’est nous qui changeons ?
Je pense que t’as plus les mêmes convictions quand t’as 35 ans que quand t’avais 15-20 ans où tu te dis que tu ne ferais jamais ça, que tu ne seras jamais comme ci. Alors qu’en fait tu changes, t’es obligé… moi perso je trouve ça bien de changer. Je pense que ce qui serait faux c’est de se dire « c’est dommage on a changé ». Alors bien sûr t’as une certaine nostalgie, par rapport aux convictions que t’avais à l’époque, mais tout change, mes goûts musicaux… je n’ai pas envie de rester bloqué dans un mec de 18 ans coincé dans le corps d’un mec de 35.

Tu le disais avant, pendant ces 6 dernières années tu as été très actif, surtout à la télé ou au cinéma, ça se ressent dans l’écoute de ton album, l’ordre des morceaux…
L’ordre des morceaux c’était très important pour moi, j’ai envie qu’il y ait un sens, que ça raconte quelque chose. C’est pour ça que le premier morceau c’est le mec un peu perdu qui se dit OK, je vais y aller, je vais le faire. Ensuite il est de nouveau déçu puis à la fin t’as les morceaux optimistes comme s’il y avait eu un voyage. Évidemment un morceau comme Bonne Meuf il est avant Paradis, La Lumière est avant Bonne Meuf parce que ça parle de la rencontre.
Je m’intéresse au scénario du coup je pense que j’ai intégré ça dans mon album. Avoir écrit Bloqué m’a certainement apporté des techniques de vannes qui marchent mieux, de rythme. Quand j’écrivais un morceau, je me disais ça c’est ma chanson 3, ça c’est la dernière… ça m’a beaucoup débloqué. Au départ Paradis c’était ma chanson 2 et que tout le reste de l’album serait que positif, cool.. Mais je n’ai pas réussi… donc Paradis est venu en avant-dernière position de l’album.

Au niveau du rythme également, ton album s’écoute vraiment comme un film…
Je l’ai vraiment réfléchi comme ça en fait… SAN je le vois comme la première scène d’un film, genre la scène d’intro, La fête est finie je le voyais comme le générique et Basique je le voyais comme la vraie première scène du film. J’ai vraiment réfléchi comme pour un film, la première scène c’est souvent une scène qui est censée raconter plus ou moins le film, mais qui n’est pas forcément nécessaire à la narration.

Avec un superbe générique de fin…
Comme je m’adresse à moi quand j’avais 15-20 ans je m’adresse au moi perdu d’avant. C’est aussi pour ça que je parle du dernier volet de la saga parce que je trouve que ça fait vraiment une belle boucle. Après je ferai forcément un autre album, mais il me fallait quand même un grand générique de fin.

C’est aussi avec ce morceau que tu t’adresses aux jeunes, c’est important pour toi de garder un contact avec les jeunes ?
Comme je m’adresse à moi quand j’ai cet âge-là, je me suis demandé ce que j’aurai eu envie d’entendre à l’époque. Le truc un peu rassurant c’est de se dire que les jeunes d’aujourd’hui ont les mêmes problématiques que moi y’a 15-20 ans. Après c’était un gros doute pour moi… mon dernier album était sorti y’a 6 ans donc le public a grandi. Est-ce que je vais encore avoir des jeunes dans mon public ? Et même si plein de monde pense que j’ai un public de gamins c’est faux… je me rappelle que lorsque j’avais cet âge-là… quand j’étais fan d’un truc j’étais vraiment fan et ça me ferait chier qu’un jour les gens de 15 ans ne m’aiment plus. Après je ne rappe pas en pensant à eux, surtout que je parle souvent de trucs personnels… je ne pense à personne finalement, mais c’est vrai que je suis très content de savoir qu’il y a encore des jeunes qui m’écoutent.

D’un autre côté maintenant tu plais aussi à ceux qui n’aiment pas le rap…
C’est cool… Mais je ne sais pas pourquoi ça marche, j’ai toujours eu envie de toucher plein de gens différents. Peut-être qu’au début je m’en foutais un peu, je rappais pour rapper, donc ça touchait que les gens de ce milieu. Mais maintenant quand je fais des morceaux j’ai envie d’écrire plus simplement, peut-être parce que je suis au mix entre les deux âges donc je comprends un peu tout le monde. J’ai vraiment eu cette volonté de parler à plein de gens. La plupart de mes artistes préférés sont aussi des gens très universels, même si j’écoute aussi plein de trucs chelous qui ne toucheront jamais personne… mais quand même les artistes majeurs, que ce soit Queen, Michael Jackson, Bob Marley c’est quand même des artistes qui parlent à tout le monde.

Musicalement ton album est comment dire… cohérent sans vraiment l’être…
Je voulais qu’on reste dans une certaine cohérence sans avoir ce truc « un son, une ambiance ». Avant on faisait pas mal ça dans le rap français, surtout moi. Genre ça c’est mon son à la Supertramp, ça c’est mon son 90s, etc.. On construisait tous les albums comme ça. Là ce qui est cool c’est que les instrus se tiennent, mais que quelqu’un d’autre puisse se dire « ça c’est du Orelsan ». On voulait avoir cette influence de son anglais avec des tempos un peu plus lents, avec des synthés, du piano. C’est jamais vraiment les mêmes sont, mais on reste toujours dans le même univers.

Comment vous avez bossé avec Skread sur cet album?
Des fois on part ensemble, on loue des maisons et on s’isole une semaine ou deux, lui il fait des sons, moi j’écris mes textes.. ou des fois je bosse seul, je lui envoie des a capella et il retravaille dessus, des fois c’est l’inverse. Y’a vraiment pas de règles si ce n’est que j’ai beaucoup de mal à prendre des prods…. moi pour qu’il y ait une prod qui match avec mon texte… c’est ça le plus dur en fait… pour qu’un texte fonctionne avec une mélodie et une prod je dois en essayer 100. J’aime bien bosser avec des boucles, je coupe des trucs et je fais mes petites maquettes…
Et Skread a aussi la volonté d’aller plus loin, on est sur la même longueur d’onde, on se dit qu’on peut toujours apprendre, progresser, découvrir et même là, en sortant de cet album, alors qu’il marche très bien, on se dit déjà qu’on peut aller plus loin.

Et au niveau des influences actuelles, qu’est-ce qui t’a le plus touché ?
Je suis ultra sensible à tout ce qui se fait, ce qui est dur c’est de ne pas faire de la copie. J’écoute majoritairement des trucs nouveaux… sur l’album les grosses influences c’est Post Malone, Rae Sremmurd, Stormzy, Skepta… j’écoute beaucoup de rap anglais (ndlr : pour approfondir le sujet on vous conseille d’écouter NAYUNO qui était consacrée à Orelsan). Et les nouveaux ici aussi, par exemple Damso, Niska, PNL, j’écoute beaucoup et je trouve que c’est de la bombe. Tu ne peux pas passer à côté de ça, c’est trop marquant comme sonorités. Quand j’écoute ça au début je me sens complètement à l’ouest et après je me demande comment je vais pouvoir intégrer ça sans les copier.

Un ancien qui sait se renouveler, c’est rare…
C’est difficile de prendre l’influence sans copier, des fois on la sent plus ou moins, mais c’est difficile de ne pas faire la même chose. Par exemple pendant un moment j’écoutais beaucoup MHD et un de mes sons y ressemblait trop, beaucoup trop donc j’ai jeté. Mais tout ce mélange, ces influences je trouve ça positif. En fait moi quand j’ai commencé la musique je copiais vraiment, ce n’était pas de la traduction, je copiais de A à Z… j’écoutais Method Man et Redman, j’allais traduire leurs textes, je découpais tout pour comprendre comment ils faisaient, j’écoutais Big L, Eminem, je voulais faire comme eux. Maintenant je prends des inspis, je ne vois pas pourquoi je ne m’inspirerais pas de trucs actuels… Avant si j’écoutais Iam ou NTM je voulais faire exactement la même chanson, je n’avais pas le recul nécessaire pour juste m’en inspirer.

Au niveau des feats, c’était surprenant de ta part…
L’idée des invités est vraiment venue en fonction des morceaux, ce n’était pas calculé à l’avance. À la base je n’avais pas de feats sur mes albums et j’étais parti dans le même état d’esprit pour celui-ci. Tout s’est fait de manière organique, à part Stromae car je savais que je voulais bosser avec lui. Nekfeu ce qui s’est passé c’est que c’est lui qui m’avait invité sur Cyborg, mais en fait je lui ai rendu 2 jours avant qu’il finisse l’album et il n’a pas eu le temps de le mettre dessus… j’écoutais ce morceau, entre-temps Dizzee avait posé dessus et je me disais que le passage de Nekfeu manquait donc c’est allé de soi au final. Pour Ibeyi, ça faisait longtemps que je voulais faire un truc avec elles, mais je ne savais pas trop comment le faire. Pour Maître Gims, quand j’ai écouté Christophe je me suis dit qu’il fallait Maître Gims sur ce morceau, que ça lui allait trop bien. En fait ce qui est marrant c’est que je pense que pour ces feats on entend comment ça s’est fait. Sur certains albums tu sens que des mecs ont pris tout ce qui se proposait juste pour les avoirs… Mais je pense que ça se ressent au final. Dernièrement j’ai beaucoup écouté Life of Pablo et je me disais quand tu entends Kendrick qui débarque ça rend le truc tellement ouf… ça m’a aussi beaucoup décomplexé du feat. Quand tu écoutes le premier morceau tu te dis que Kanye n’a pas de couplet, que c’est Chance qui fait tout, et après tu te rends compte que le morceau ne pouvait pas être autrement.
Après tous les feats arrivent en fin d’album, je trouve que ça vient aérer le tout. Au bout d’un moment, comme sur le Chant des sirènes, tu te tapes que moi, que moi… alors que je fais jusqu’à 4 couplets de rap… là j’ai l’impression que ça aère vraiment… quand t’as Nekfeu et Dizzee qui débarquent au milieu du truc tu te dis que c’est cool, en plus c’est des placements différents. J’envisage tout, tout le temps, donc voilà, c’est venu pour servir l’album, l’important pour moi c’est que le feat serve le morceau avant tout.

Tu arrives gentiment au bout d’une grosse tournée promo, t’es passé dans tous les « gros » médias, mais tu acceptes quand même de jouer les prolongations pour des petits sites comme repreZent… pourquoi ?
En fait vous faites partie, avec d’autres gens en France aussi, qui me soutiennent depuis longtemps et je pense que c’est le moment de rendre la pareille. repreZent il me semble que ce n’est pas la première fois qu’on se rencontre. Et puis il me semble que c0est important de soutenir des médias un peu moins mainstream, mais plus pertinents. C’est à dire que des fois je vais en télé et on me raconte n’importe quoi et c’est aussi agréable de donne la parole à des gens qui savent de quoi ils parlent…

PS:
Orelsan a bonne mémoire (ou presque…), il avait rencontré Sophia en 2012, mais avant il nous avait fait une visite du musée du rap français en 2011 puis répondu à nos questions en 2013 à Festi’Neuch.

crédits photos : Jean Counet/Greg & Lio