Deux avril 2020 : Une ouverture de morceau digne d’un crochet dans le foie (« Un bon négro c’est un nègre mort/un raciste qui se respecte c’est un porc »), un clip en noir et blanc pour accentuer la violence du choc… il n’en fallait pas plus pour solliciter le Genevois OG BraX [ex Braccobrax, NDR]. D’autant plus que sa ligne frondeuse entra malheureusement en résonnance avec la mort tragique de George Floyd quelques semaines plus tard (le 25 mai 2020)… L’occasion de revenir avec lui sur le titre « OM2 » duquel est tirée la punchline assassine, de discuter de ses expériences de vie en Suisse ainsi que de sa carrière. Carrure de physio et textes découpés au couteau : rencontre avec un OG qui en a sous le capot.

Reprezent : En guise d’introduction, je voulais te demander si tu étais toujours chez Colors Records? Je ne sais plus très bien qui est chez eux, je marche sur des œufs depuis que j’ai commis une erreur dans mon dernier billet qui, semble-t-il, a été mal prise…
OG BraX : Nan, j’ai quitté Colors cette année au mois de février, après une dizaine d’années de collaboration. Je sentais que c’était le moment de plus me centrer sur moi. Il y a des choses qui m’ont moins parlé côté management où je trouvais que je n’étais pas assez soutenu pour certaines choses. Mais je suis parti en super bons termes, les CEO de Colors sont des potes d’enfance, ça reste la famille. Contractuellement on ne bosse plus ensemble, mais pour le reste ça n’a rien changé.

Pour tout te dire, ce qui a motivé ma proposition d’interview, c’est ton titre« OM2 », une sacrée bastos ! On est d’accord que ça renvoie au doigt du milieu ?
C’est ça, exactement. Mais c’est aussi une manière de dire : On ne vise que le centre, que dans le mille. Ce que l’on sort, ce sont des strikes. Après, est-ce que le tir impressionnera les gens ? C’est autre chose. Mais nous on a tiré quelque part au centre, ça peut être aussi entre les deux yeux.

Je vois « OM2 » comme un titre fait à l’instinct, sans trop de préparation. Une sorte de one shot créatif…
Pour le titre, ouais. Ma manière d’écrire se fait très au feeling. Une prod’ va m’inspirer, sans que je me sois dit avant qu’il y a un message à faire passer. J’écoute la prod », je me fais une sorte de pseudo-yaourt dans ma tête, des mots me viennent… et c’est souvent comme ça que sort la première phrase. Je ne fais jamais de repêchage d’une partie d’un texte que j’aurais écrite dans un bus avec une partie d’un texte que je n’aurais finalement pas « rec » [de l’anglais « record » pour « enregistré », NDR]. Pour « OM2 », quand j’ai reçu la prod », ça m’a dévasté ! Je l’ai reçue dans l’après-midi et le soir j’ai appelé Moh Ciss pour lui dire qu’il fallait que je vienne « rec » ! Pour le clip, ce sont mes nouveaux managers qui m’ont dit : « Ça faut qu’on clippe ». On a tourné à Onex et dans la cour intérieure du CEPTA [un établissement scolaire basé au Petit-Lancy, NDR]. Entre l’enregistrement du titre et le tournage, il y a eu une dizaine de jours.

Concernant les sapes que vous portez dans le clip, ça s’est passé comment ? Est-ce qu’elles seront disponibles à la vente ?
J’étais déjà parti dans l’idée de faire des pulls OG Brax, mais pas pour du merchandising. C’était plus pour du visuel en concert, pour le staff. Là, j’ai reçu les pulls cinq jours avant le tournage, on a habillé tout le monde avec pour que ça donne quelque chose d’uni. Et ça m’a permis en plus de me renouveler vu que c’est mon premier titre hors Colors… Concernant la vente, une série de hoodies et quelques t-shirts vont accompagner la sortie du projet Only Middle 2 prévu pour la rentrée. Ce qu’il faut savoir, c’est que j’ai collaboré avec des Genevois concernant la fabrication des vêtements. Pour moi c’était important d’investir localement.

J’ai vu passer une de tes stories Facebook avec la photo de Georges Floyd où tu reprends les premières lignes du morceau « OM2 » qui sont, pour rappel, les suivantes : « Un bon négro c’est un nègre mort/un raciste qui se respecte c’est un porc » et tu écris : « Vous comprenez mieux maintenant ? ». Est-ce que des gens ont mal compris ou mal interprété ces premières lignes du titre ?
Alors j’ai eu quelques retours où les gens se demandaient si moi, réellement, je pensais qu’un noir était un « bon négro » à partir du moment où il était mort [Ces premières lignes du morceau renvoient à la formule raciste : « un bon nègre est un nègre mort », NDR] et non, bien sûr, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Pour moi, c’est une phrase raciste qui résume ce qui se passe actuellement et ce qui se passe depuis très longtemps [il s’attarde sur le « depuis », NDR]. Il existe aussi un autre sens à cette phrase : c’est comme s’il fallait attendre le décès tragique d’une personnalité noire pour la considérer à sa juste valeur. Là aussi le message envoyé est choquant. Avec par exemple des Kobe Bryant, Nipsey Hussle et Pop Smoke pour les plus récents. Devenus légendaires après leur mort.

Autour de la mort de Floyd, j’ai lu/vu le manque d’indignation de certaines personnes. Peut-être qu’ils ou elles ne se sentent pas concerné/es. Ou, sans aller jusqu’aux violences policières, peut-être qu’ils/elles ne subissent pas de discriminations au quotidien. Personnellement, je me suis toujours dit que les témoignages pouvaient faire changer l’état d’esprit des gens qui minimisent les discriminations. Toi, en tant que noir qui a grandi à Genève, as-tu subi des discriminations sous quelques formes que ce soit ?
Je suis arrivé en Suisse dans les années quatre-vingt et c’était une autre époque. Le racisme ambiant était beaucoup plus voyant et perceptible. Par exemple, j’ai le souvenir qu’à douze-treize ans, je me suis battu avec des adultes parce qu’on m’avait traité de sale nègre. Je pouvais tomber sur un groupe de skins [pour Skinheads, NDR] et avoir des échanges virulents. Et à l’école, j’ai subi beaucoup de racisme. De la part d’autres enfants, de parents et même du racisme institutionnel. Je me souviens que les parents d’un enfant avec qui je m’étais battu avaient dit devant moi et devant la prof que j’étais un sale négro. Et la prof n’avait rien dit, n’avait pas repris. Plusieurs fois les profs ne relevaient même pas les insultes racistes. Des exemples, j’en ai plein. En quatrième primaire [ancien système qui correspond à la 6P d’aujourd’hui, soit 9-10 ans, NDR], j’avais rendu un devoir sur lequel il y avait quelques taches d’encre parce qu’on écrivait à la plume. Et la première chose que la prof’ m’a dite en me rendant mon travail c’est : « C’est quoi ce travail de nègre ? ». À un enfant de 9 ans ! tu t’imagines comment tu te construis à travers ça ? Bref, ce sont des traumatismes. Tu te construis par rapport à ça dans une société qui s’est développée sur du sexisme et du racisme ; quoi qu’on en dise.
Ensuite le racisme prend différentes formes avec l’âge : discrimination à l’embauche ou délit de faciès quand une voiture de police passe à côté de toi en baissant la vitre pour te regarder de haut en bas. J’ai été contrôlé plein de fois. Bon ensuite t’as les gens agrippés à leur sac dans le tram ou qui changent de places…
Enfin, il y a la légitimité accordée aux témoignages. Demande aux gens noirs autour de toi s’ils ont été pris tout de suite au sérieux : « Mais arrête, y’a pas de racisme en Suisse ! », « T’abuses, arrête de faire ta victime ! ».

Par exemple, j’ai le souvenir qu’à douze-treize ans, je me suis battu avec des adultes parce qu’on m’avait traité de sale nègre.

C’est fou cette différence de traitement… personnellement, je n’ai été contrôlé qu’une seule fois dans ma vie. Pour revenir à Georges Floyd et aux USA, il y a également la vidéo d’Amy Cooper qui a beaucoup tourné. Tu l’as vue ?
Non, par contre j’ai vu celle de l’agent du FBI posé sur une terrasse qui est interpellé sur la base d’un délit de faciès [Après quelques recherches, il s’avère que la vidéo date de 2019 et que ce n’était pas un agent du FBI, mais un ambulancier. Ce qui ne change rien au propos, NDR]. Tu comprends que les policiers essaient à chaque étape de l’interpellation de justifier l’embarquement qui va suivre. Jusqu’à ce qu’ils découvrent dans sa poche ses papiers et qu’ils le relâchent. Il n’y a même pas besoin d’être aux States pour voir ça. Dans la police, il y a certaines personnes qui seraient prêtes à t’embarquer sous n’importe quel prétexte.
Ici, pour rester dans le même thème, mais dans un autre contexte [les personnes noires à des postes clés, NDR], tu remarqueras que dans certains corps de métiers il n’y pas de noirs/es représentés/es. Pourquoi il n’y a aucun présentateur noir à la RTS ? Même dans les studios on n’en voit pas. Et pourtant ils disent : « Nos institutions ne sont pas racistes. Nous ne sommes pas racistes ! ». Mon c*l, il y a des gens racistes dans vos institutions ! Récemment on tombait de haut en apprenant que l’ancien directeur du Crédit Suisse était noir [Tidjane Thiam qui a annoncé sa démission en février 2020, NDR]. Il y a encore du taff à faire, ce n’est pas fini ! Ce n’est pas avec des manifestations que ça va changer, c’est toute une mentalité à faire évoluer. Et ça passe aussi par une autre manière de consommer. On ne peut plus donner de l’argent à des sociétés qui ont des lobbys en Afrique et qui sont racistes. Moi, depuis la pub H&M avec le petit noir en hoodies « Coolest monkey in the jungle » [parue en 2018, NDR], je ne consomme plus à H&M, c’est fini.
L’année passée, une amie à moi a acheté un livre de premières lectures à Payot dans lequel chaque lettre de l’alphabet correspond à des mots et des histoires. Et à la lettre « n », c’est « nègre ». En racontant qu’ils vivent tous tout nus et qu’ils chassent le zèbre pour se nourrir. J’ai demandé des explications à Payot et ils m’ont répondu que c’était un livre de premières lectures avec lequel les enfants apprenaient à lire il y a cinquante ans en arrière. Et que la publication était accompagnée d’un prospectus qui explique qu’il s’agit d’un travail de mémoire sur l’édition romande [il s’agit de « Mon premier livre » qui fut la lecture des écoliers/ères vaudois/ses de 1912 à la fin des années septante. Le livre a été réédité une dernière fois en 1969. Payot a décidé de ressortir cette dernière édition accompagnée d’un avertissement destiné à « lever toute ambiguïté », NDR]. Mais si tu es raciste, tu as ta bible et t’es content. Même s’il y a un prospectus explicatif. Tu prends le prospectus, tu le déchires, tu donnes le livre à ton gosse. En plus le livre est sold-out. Donc on vit quand même dans un système qui permet ça.

Extraits de la réédition de « Mon premier livre » publiée en août 2019.

Moi, depuis la pub H&M avec le petit noir en hoodies “Coolest monkey in the jungle”, je ne consomme plus à H&M, c’est fini.

Revenons sur une autre ligne issue de « OM2 » : « Je mets mon expérience de vie au service de la jeunesse comme dans GTO » [pour Great Teacher Onizuka. Manga japonais paru de 1997 à 2002, NDR]. Quelle est ton expérience du coup ?
C’est tout ce que j’explique là. Mon expérience de jeune immigré qui a vécu dans un pays qui n’est pas le sien avec sa famille. Avec ses mauvaises comme ses bonnes expériences. Du coup j’ai une manière de parler avec les gosses assez décomplexée. Je leur parle comme si c’était mes petits frères. Pour faire le parallèle avec GTO, il s’agit d’un chef de gang qui se retrouve professeur dans un lycée. Et du coup il partage son expérience de vie avec les ados. Moi, je leur faire aussi part de mon expérience et je n’ai aucun complexe à leur parler de ce qu’il m’est arrivé.

Quel regard portes-tu sur ton parcours musical jusqu’à maintenant ? Et puis pourquoi ce changement de blaze en fait ?
Dans un sens je dirai que j’aurai pu faire nettement mieux. J’ai eu des années creuses et j’en garde des semis-regrets. Aussi par rapport à certains choix que j’ai faits aux mauvais moments. Mais dans l’ensemble, je suis plutôt content. Je suis resté fidèle à mes convictions et mes idées. Le fond de ma musique est resté le même que lorsque j’ai commencé.
Le changement de blaze est arrivé à un moment où j’ai décidé d’arriver moins nerveux sur les titres. Braccobrax c’était de l’énervé, un grain de voix énervé. Og Brax, le fond reste le même, mais la manière est plus douce. Je suis moins en train de gueuler derrière un micro. Je suis plus en train de te frapper derrière un micro… mais pas frapper et gueuler en même temps [RIRES]. Dans le sens où le rap reste frontal.

De mon point de vue, j’ai l’impression que tu fais partie des anciens ici. Mais est-ce qu’il t’a manqué un petit sursaut pour définitivement imposer ton style à Genève. Qu’est-ce que t’en penses ?
Y a pas longtemps sur twitter, un gars m’a inclus dans ses trois rookies [de l’anglais « débutant », NDR] préférés, ça m’a fait marrer ! Mais je pense qu’il manque encore le projet qui m’assoit réellement où les gens se disent « Ok, OG BraX c’est super sérieux ». Un projet qui permettrait de m’absenter une année sans tomber dans l’oubli. Un projet pour lequel les gens auraient des attentes. Pas que ce soit un éternel recommencement où chaque projet que je sors donne l’impression que c’est mon premier.

Merci pour ta participation ! Le mot de la fin ?
D’abord merci beaucoup de m’avoir proposé cette interview pour parler de mon titre, c’était un plaisir. Tu as assuré ! Mon nouveau projet Only Middle 2 sortira à la rentrée. J’ai hâte de faire découvrir ces quatorze titres où je partage mon vécu et mes pensées, tout ça sur des prods très différentes les unes des autres. Je me suis beaucoup investi dans ce projet et j’espère que les gens seront réceptifs.

Entretien réalisé par Marty MacFly
Photo Gabriel Balague