lonepsi

C’est devenu comme une sorte de tradition, à chaque interview on ne peut s’empêcher de demander à l’artiste que l’on rencontre quel est son premier souvenir marquant avec le Hiphop. C’est une question d’une simplicité absolue, mais dont la réponse en dit beaucoup sur la personne qui se trouve en face de nous, sur son approche du rap du moins. Qu’en est-il pour Lonepsi ?
Ma première rencontre avec le rap c’était avec l’album de Booba « Temps Mort », c’est un album qui m’a suivi et qui me suit encore aujourd’hui de par la qualité des morceaux, mais aussi de l’homogénéité qu’il y a entre eux. Chaque morceau, il y a une suite logique entre eux. C’est un album dont je ne me lasse pas. C’est ma première vraie rencontre avec le rap. Il y avait aussi un autre morceau de Ol’Kainri qui me vient à l’esprit là… mais vraiment « Temps Mort » de Booba c’est quelque chose d’impressionnant.

Mais si « Temps Mort » a marqué durablement Lonepsi, ce n’est pas lui qui l’a fait passer de l’écriture au rap.
J’ai commencé le rap il y a à peu près 5 ans avec mes meilleurs amis et à ce moment-là il n’y avait aucun lien entre ce que j’écrivais dans mon carnet quand j’allais plus ou moins mal et ce que je rappais avec mes potes, c’est-à-dire une suite d’insultes, de vannes et d’egotrip. Mais à un moment donné, j’avais envie de faire quelque chose avec lequel je me sens plus à l’aise, quelque chose qui me ressemble plus. J’ai alors décidé de prendre un de mes textes que j’écrivais dans mon carnet, il n’y avait pas forcément de rimes, j’ai décidé d’en rajouter quelques-unes pour que ça ressemble à un texte de rap, et je me souviens que le retour que m’avait fait le peu de personnes qui me connaissaient à l’époque… j’avais été ravi de constater que les gens pouvaient apprécier ce genre de musique et le fait que les gens aiment ma musique et qu’en même temps je me sente bien avec ce que je fais musicalement parlant, c’est à dire en cohérence avec ma personnalité, mes valeurs, mes principes, je me suis dit que j’avais trouvé ma voie, que j’allais continuer à faire ce genre de textes.

Tes textes justement, pour toi c’est plus un exutoire ou une sorte de thérapie ?
Un peu des deux, j’écris à la fois pour essayer de me comprendre un peu mieux, comprendre l’événement qui s’est mal passé dans ma vie… mais oui, sans l’écriture, sans la musique, je pense que je serais le personnage que je décris un peu dans mes textes. C’est-à-dire un personnage un peu triste, avachi sur lui-même, replié et justement, la musique, l’écriture, me permet d’évacuer toutes ces mauvaises ondes, ces mauvais événements et de les sublimer en quelque chose de positif, d’artistique.

C’est très personnel, mais pourtant beaucoup se retrouvent dans ce que tu écris, c’est important pour toi ?
Je tiens à ne jamais jouer, à ne pas avoir de rôle… Je ne veux pas être le porte-parole de la souffrance des autres parce que si un jour je me considère comme celui qui va parler « à la place de », toute l’authenticité qu’il y a dans mes textes se perdra parce que je penserai non plus à ma propre histoire, mais à celle des autres… je pense qu’une part de la magie se perdra en même temps. Donc pour répondre à ta question, je ne fais pas attention à ce que les autres pourraient ressentir, je ne m’imagine pas la souffrance de l’autre en fait, à part si elle a eu un impact sur moi, là je peux en faire un texte, mais sinon non. Je pense d’abord à moi, c’est un message que je m’adresse à moi et par ricochet, dans un second temps, elle parle à d’autres personnes.

Mais est-ce que tu t’attendais à de tels ricochets ?
Non… Je me souviens quand je faisais mes premiers textes que mes potes, tous ceux qui rappaient avec moi, me disaient que ça n’allait jamais marcher, qu’il fallait que je raconte plus des histoires où j’ai fait des conneries plutôt que de parler d’une souffrance hyper subjective et qui donnent l’impression qu’elle n’est arrivée qu’à moi. Je me souviens, je faisais écouter mes morceaux à mes potes dans la voiture et ils me disaient « c’est énorme ce que t’as fait, mais ça ne pourra jamais marcher », mais je m’en foutais complètement. C’était mon pari de pouvoir parler à tout le monde juste en me racontant moi, en racontant mon histoire.

T’es aussi arrivé au bon moment, les gens sont ouverts maintenant à écouter un rappeur parler de ses sentiments…
Oui, mais si on prend, si on revient un peu avant le rap, on prend l’exemple de Brel qui parlait de ses faiblesses, de ses sentiments, de ses incertitudes, pour moi c’était un rappeur sauf qu’on n’appelait pas ça du rap. Mais c’était un homme qui avait du charisme, qui avait une street-credibility si on pouvait parler de ça à l’époque, et qui pour autant était accepté par la grande majorité du public francophone. Je ne me suis pas dit « tiens dans le rap y’a une ouverture, je peux enfin parler de mes sentiments ». Je me suis totalement foutu de la tendance actuelle, je me suis juste dit qu’il y a 50 ans, 40 ans, 30 ans, y’avaient des hommes comme Brel, Brassens ou Ferré qui pouvaient parler de leurs sentiments et à qui parlait à un public.

Tu cites des grands noms de la chanson française et ça nous fait penser aux annotations sur ta page de rap genius, où les gens commencent à débattre à propos de Schopenhauer… dans une interview pour les Inrocks tu évoquais de la bibliothèque de ton père, est-ce que tu ne serais pas cette bibliothèque pour ton public ?
Non ce serait bien trop arrogant de ma part de penser ça… non… non… j’aimerais faire passer le goût de la lecture, le goût de la culture tout simplement parce que je ne cite pas que des auteurs, aux jeunes qui m’écoutent, mais aussi au plus âgé, à n’importe qui en fait, ça serrait vraiment bien. Si je pouvais faire ça, mais ce n’est pas mon objectif, mais si ça arrive par hasard c’est un bonus, une sorte de victoire.

Justement au chapitre des objectifs, tu te dessines vers quoi aujourd’hui ?
Je ne dirais pas que je n’ai pas d’objectifs parce que oui j’en ai un, c’est de pouvoir vivre, disons confortablement sans me soucier des fins de mois grâce à ma passion, grâce à ma musique. Si ça peut se faire, enfin je dirais même que ça se fait aujourd’hui parce que je vis actuellement de ma musique… Mais peut-être qu’un objectif pourrait être de parler à plus de personnes, que ma musique soit un peu plus, je ne sais pas, pas forcément plus médiatisée, mais un peu plus écoutée. Être un peu plus connu ça pourrait être un objectif, mais ça, c’est un objectif que tous les rappeurs ont. Après je ne sais pas, il y a plein de contradictions qui viennent dans ma tête parce que ce n’est pas un objectif d’être connu pour moi. Le principal objectif c’est de rester fidèle à ma musique, à mes valeurs, j’ai envie de terminer un morceau, d’entrer dans ma voiture, de prendre la route et d’être content quand j’écoute la musique que je viens de faire. Mais c’est difficile de parler d’objectifs parce que c’est ce que je fais maintenant alors qu’un objectif c’est quelque chose que l’on veut atteindre… alors comme je l’ai déjà ça ne peut plus être un objectif, mais de maintenir cette santé-là pourrait être mon objectif, conserver cette santé artistique.