isha

Quand on regarde son parcours, il est impossible de classer Isha dans la catégorie des rookies quand bien même une grande partie du public ne l’a découvert que récemment. Avant de rentrer dans le vif du sujet et afin de situer un peu les choses, nous lui avons demandé de nous parler de son premier souvenir avec le rap.
Mon premier souvenir c’est avec mon DJ de l’époque, j’avais 16 ans, je venais de faire mon premier texte et y’a un mec du quartier qui connaissait celui qui deviendra mon DJ et qui lui a dit « y’a un autre petit qui rappe, faudrait que tu essaies avec lui », donc j’ai posé mon premier couplet, il a aimé et ensuite il m’a proposé d’entrer dans leur collectif. C’est grâce à mon premier couplet posé en studio que j’ai pu entrer dans leur crew. C’était tous des mecs qui avaient 4-5 ans de plus que moi, qui rappaient depuis bien plus longtemps que moi aussi… Ce collectif s’appelait L’Agence.

Entre ce premier couplet et ton premier album, il s’est passé pas mal de temps puisqu’il est sorti en 2008.
C’est vrai, je rappais déjà depuis 4-5 ans, j’étais plutôt bien rodé… j’avais fait des battles, des passages radio, des cyphers un peu partout.

Donc tu sors ton premier album en 2008 puis tu entames ce que l’on peut qualifier de longue traversée du désert… pourquoi être revenu au rap finalement ?
C’est tout un cheminement, y’a des étapes, mais je crois qu’un des premiers déclencheurs c’est quand Kaaris, Joke, Niro et tous ces types ont débarqué avec leur son. Car même si j’avais arrêté le rap je suivais ce qui se passait et donc t’as une année où ces mecs ont débarqué avec leur couleur de son… c’est aussi une époque où la réalisation en termes de vidéos était beaucoup plus abouti. J’avais l’impression de vivre une sorte de tournant dans le rap et moi quand j’ai vu ça… tu vois ça faisait longtemps que je n’avais plus entendu des rappeurs qui me donnaient envie de rapper, de par leur charisme, leur créativité… Les premiers clips de Joke… quand j’ai vu ça jme suis dit qu’il fallait que je m’y remette.

Tes débuts dans le rap, ton retour… ça fait un peu discussion d’anciens et pourtant…
Les gens me pensent bien plus âgé que je ne le suis en fait… finalement je n’ai que 3 ans de plus que Gaba et JeanJass tu vois… C’est pour ça que ça j’aime pas quand ils me disent mon G ou autres parce que tu vois moi les mecs qui ont 3 ans de plus que moi je ne les considère pas forcément comme mes grands frères, ça me fait bizarre. Après c’est vrai que je suis beaucoup plus âgé qu’un Hamza et toute son équipe. J’ai l’impression d’être à la limite, du coup des fois ça crée des malaises, jme retrouve avec des mecs de 21 ans dans des freestyles où jme sens pas forcément à ma place, mais après jme retrouve avec des mecs comme Gaba et JeanJass qui me rappellent que je ne suis pas si vieux.

Mais finalement, est-ce qu’on est une fois vieux dans le rap ?
Hmmmmm je pense que ce n’est pas une question d’âge… quand t’es plus dans le coup t’es plus dans le coup tu vois. T’as des mecs qui aujourd’hui ont à peine 30 ans et qui sont complètement dépassés. Ils comprennent plus les codes, pas internet, rien… Moi j’ai la chance d’être encore dedans donc je peux dire que je ne suis pas encore vieux. Par contre j’ai quand même du me remettre un peu à la page pour ce qui est de la promo sur le web. Ces posts où tu tagues 40 personnes c’est plus possible par exemple et pourtant…

Du coup est-ce que tu aurais un conseil à donner aux plus anciens ?
Je pense qu’il ne faut pas hésiter à demander aux plus jeunes en fait… J’ai parfois l’impression qu’il y a une sorte de honte chez les plus vieux à aller demander un coup de main aux plus jeunes du genre « ces mecs m’admiraient y’a 10 ans, je vais pas aller leur dire que je suis perdu ». Il faut savoir reconnaître quand on ne maîtrise pas un truc, ne pas hésiter à faire entrer des jeunes dans ton équipe, etc. Il faut simplement mettre son ego de côté et aller demander aux ptits frères. C’est vrai que c’est un peu bizarre et si ça se trouve, ces mecs y’a 10 ans ils seraient venus nous demander comment faire. En fait les choses s’inversent mais au final ils sont contents de rendre service. Pour moi c’est important de le dire, d’être clair là dessus et de dire merci à tous ces jeunes qui m’ont aidé. C’est aussi quelque chose de nouveau dans le rap, on peut remarquer qu’il y a beaucoup plus de partage, d’entraide entre tous tout simplement parce que les frontières ont disparu.

On va un peu revenir à tes projets maintenant… Ton retour est marqué par « La vie augmente vol. 1 », je pense qu’on peut clairement dire qu’il y a eu un après. Comment t’as vécu ce nouvel intérêt pour toi, pour ton rap ?
Je vais mentir si je dis que c’était une surprise dans le sens où quand t’es en studio tu regardes ce qui se fait et moi j’avais le sentiment que ce que je m’apprêtais à proposer était quand même différent de ce qui se faisait. Ma seule interrogation portait sur comment la nouvelle génération allait accueillir mon projet. Et de les voir partager mes sons, venir à mes concerts… ça, c’était un peu une surprise quand même. Je ne pensais pas que ça allait plaire aux plus jeunes, je pensais que j’allais parler beaucoup plus aux mecs de ma génération. Et finalement quand tu viens à mes concerts tu t’aperçois qu’il y a de tout dans le public. Après c’est peut-être aussi du au fait que j’ai beaucoup tourné avec Caba, JJ, Roméo… donc j’ai pris un peu leur public et je sens qu’il a vraiment kiffé mon personnage.

Et si on peut se dire qu’il y a un après le vol.1, on peut remarquer un avant le vol. 2 de par ton évolution musicale…
Je n’ai pas envie de rester dans une sorte de zone de confort. J’ai toujours envie de voir un peu ailleurs, d’amener de nouveaux ingrédients à ma sauce. J’ai besoin de ça, de tester de nouvelles choses. Des sons comme « Frigo américain », je n’avais jamais fait un morceau conceptuel comme ça. C’est un peu des exercices pour moi, jme dis qu’il faut essayer en fait.

Tu dis aussi « maintenant je sais que c’est qu’une question d’ouverture »…
C’est dans la nature, tu sens que tous les problèmes qu’il peut y avoir dans le monde c’est souvent à cause de ça. Les gens sont très fermés, ils ont peur et tout.. et finalement j’ai compris, c’est quelque chose que la musique m’a donné, j’ai eu la chance de fréquenter des gens de partout, de tous les horizons, et jme dis que je dois continuer dans cette voie-là. C’est ça la clef.

Je continue de te citer « j’ai horreur des mecs qui reproduisent les mêmes albums »…
Pour moi c’est un peu une escroquerie. Ce truc de se dire « j’ai fait un truc qui marche alors je vais continuer ». Pour moi si t’as un truc qui marche faut le garder, mais il faut y apporter à chaque fois quelque chose de nouveau, y ajouter des éléments pour faire évoluer ton son. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Certains reprennent exactement la même formule et ils la reproduisent depuis 10 ans. C’est aussi ce qui m’avait fait arrêter le rap, tout le monde faisait la même chose, utilisait les mêmes recettes, tous les albums se ressemblaient.

Du coup tu te sens bien maintenant, dans une époque où on est totalement libre musicalement…
Oui, et y’a aussi toutes ces influences caribéennes, dancehall et tout. Ça ouvre de nouveaux horizons, ça nous permet d’aller là où on ne pensait pas aller.

Avec le recul on peut se demander pourquoi ça n’a pas été fait avant finalement, pourquoi on n’est pas allé puiser dans les musiques africaines plus tôt ? Ça paraît tellement logique d’aller sampler la musique de nos parents, nos grands-parents…
Je sais pas… franchement je sais pas. Le rap il a quoi, 30 ans en France? Donc il fallait peut-être laisser un temps pour que les jeunes replongent dans les musiques africaines, qu’on retourne aux sources. Tu vois les mecs de banlieues avant on n’écoutait pas de musique africaine, maintenant il y a aussi une nouvelle scène dans laquelle on peut s’identifier, qui n’est pas trop blédarde non plus, qui utilise nos mots. C’est là qu’on commence à se dire que nous aussi on peut y aller. Je me rappelle que cette musique c’était la musique de nos darons… au mariage cainfri on râlait parce que c’était toujours les mêmes rythmiques et tout. Aujourd’hui on écoute ça car eux aussi ils ont adapté le truc. C’est plus jeune, ça parle à la diaspora.

Tu seras en Suisse les 1 et 2 juin, peux-tu nous parler de ton rapport avec le rap suisse ?
J’en avais pas vraiment avant de venir… je connaissais Double P.A.C.T à l’époque, mais j’avais aucun lien. C’est quand j’ai connu les Makala et la SWK que j’ai découvert qu’il y avait toute une scène, un public et tout. Les mecs qui ont tourné avant moi m’avaient prévenu, ils m’ont dit « tu verras, les Suisses c’est des gros consommateurs de rap », mais avant de venir chez vous j’en avais aucune idée.

On est finalement comme les Belges, on est une sorte de force tranquille que personne ne voit venir, mais qui arrive fort…