Ce vendredi 23 mars se produisait Disiz la Peste, à la Salle Communale de Genève, dans le cadre du Festival Voix de Fête. L’artiste n’est pas un néophyte de repreZent puisqu’il nous a déjà accordé quelques rencontres privilégiées par le passé. Toujours très disponible, Disiz s’est à nouveau montré authentique, franc, modeste et lucide. Le genre d’artiste avec lequel on pourrait refaire le monde, des heures durant et en sortir enrichi de sa culture musicale, technique, littéraire, cinématographique et geek. Notamment.

Rarement là où on l’attend, l’artiste tout fraîchement quadra se targue d’évoluer constamment et d’avoir la chance de pouvoir développer les projets qui correspondent à la réalité du moment, la sienne. Au travers de ses productions méticuleusement travaillées, Disiz parle de lui, de ses ressentis, sans jamais fustiger. Sans cesse dans le développement et la découverte, il prépare un nouvel album tout en poursuivant la présentation de « Pacifique », sorti au mois de juin 2017. Rencontre.

disiz
Disiz c’est 17 ans de carrière, 11 albums, la bagatelle de 57 clips, 2 livres, du théâtre, du cinéma… Une « longue carrière comme Maldini »… Quel regard portes-tu sur ta carrière jusqu’ici ? Est-ce qu’elle s’est toujours déroulée comme tu le souhaitais ?
Non ! Enfin… Je dirais plutôt que je ne regarde jamais derrière moi, ce que j’ai fait avant. C’est peut-être un défaut, mais je suis toujours excité par ce que je vais faire après. Et je crois que, sans le vouloir, c’est le secret de ma longévité. Je ne m’arrête pas à contempler ce que j’ai déjà accompli. Là, je suis déjà dans ce que je vais faire demain.

Quand on écoute ta musique, on ressent très fortement une diversité qui sort du registre purement hip-hop. Parfois même, tu t’es essayé à des mélanges surprenants sur le moment, mais que l’on a retrouvés des années plus tard dans le rap. Comment se déroule ton processus créatif pour « faire du Disiz » et te montrer parfois précurseur ? 
Pour être très honnête, c’est de l’orgueil. C’est comme ça que j’ai commencé la musique. Quand j’ai commencé le rap, je voulais être le meilleur rappeur de toute l’histoire de la planète, de l’univers (rires)… Quand je montais sur scène, au départ je voulais séduire mon quartier. Après, c’est comme quand tu jettes un caillou dans l’eau et que les ondes se propagent : le premier cercle, c’était mon quartier. Une fois que j’ai séduit mon quartier, je voulais séduire ma ville et puis je voulais séduire Paris… Et une fois que j’ai atteint Paris, je voulais séduire la France. Et donc, quand je dis que c’est de l’orgueil, moi je ne veux pas faire comme les autres. Ça ne m’intéresse pas. Je veux me faire remarquer, mais pour de bonnes raisons. Pas pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la musique en elle-même. Donc du coup, je cherche à être pertinent, à être intéressant. Et je dois gérer un équilibre, parce que je ne veux pas me transformer, je veux rester moi-même. Mais dans la forme, j’essaie d’amener une sorte de singularité dans ce que je propose. C’est ce qui fait que ça peut être précurseur, parfois.

Mais là, je l’intellectualise. Ce n’est pas aussi clair que ça, en réalité… Par exemple, après mon premier album « Poisson rouge », j’ai fait ce que j’appelle un « album du bled » : j’ai mélangé des sonorités mbalax (rythme musical sénégalais, NDLR) avec des compositions électroniques. Et si tu regardes, le résultat ressemble à l’afro trap d’aujourd’hui. Mais à aucun moment, je me suis dit « là, je suis en train de créer un son nouveau ». J’avais juste envie, en tant que métis de mélanger des sonorités qui n’allaient pas forcément ensemble au premier abord. Et mon curseur pour savoir si c’est de bon goût, c’est de savoir si j’aime bien, si ça me fait danser, si ça m’excite quand je suis en studio. Ce curseur, c’est mon curseur à moi. Et c’est aussi en ce sens-là que ça s’apparente à de l’orgueil.

Est-ce que tu recherches une cohérence générale quand tu crées un album ?
Oui ! Pendant longtemps, il fallait que tout soit cohérent, que mon propos soit cohérent, qu’il n’y ait pas de contradiction, que tout soit comme l’architecture d’une cathédrale, que tout soit bien en place, au bon endroit. Mais j’ai moins de plaisir là-dedans, c’est quelque chose qui commence à me frustrer. En fait, l’apothéose de ce processus, c’est précisément « Pacifique ». Mais aujourd’hui, ce que j’ai envie de faire est moins dans ce registre. C’est beaucoup plus dans la fulgurance.

Est-ce que tu te rappelles de ta toute première rencontre avec le hip-hop, les prémices de cette histoire d’amour ?
rapineC’était par la télé… Par l’émission Rapline présentée par Olivier Cachin. Ça a été immédiat ! J’ai vu des mecs qui me ressemblaient et qui faisaient une musique dans un environnement que je connaissais, des grands bâtiments, etc. C’était comme la première fois que j’ai vu Bruce Lee : je suis allé dans ma chambre et j’ai commencé à faire du karaté avec mes peluches ! Là, j’ai vu des rappeurs, je suis allé dans ma chambre, j’ai écrit un texte. C’était nul ! Mais je voulais à tout prix faire ça ! Je me souviens que je me mettais devant ma classe, avec ma casquette et je rappais… Je devais avoir 10-11 ans…

Y’a-t-il un titre ou un album qui t’a donné envie de te lancer dans le rap ?
En fait, c’était un concert. J’ai vu NTM sur scène au Palais des Sports avec Ideal J en première partie. Je rappais déjà à ce moment-là, mais sans penser à le faire de manière plus sérieuse. Mais quand je les ai vus sur scène, que j’ai ressenti cette puissance, ça m’est apparu comme une évidence : c’est sûr que c’est ça que je veux faire ! Et je me rappelle encore de la sensation que j’ai eue ce jour-là. J’ai vu la démonstration de puissance et je me suis dit « OK, moi aussi je veux être comme ça ». Et je m’en suis donné les moyens.

pacifique disiz
Pour ton dernier album, « Pacifique », tu as appris à jouer du piano et tu as travaillé le chant… Était-ce le prérequis nécessaire pour pouvoir raconter les épisodes de la vie sentimentale de Disiz que l’on y trouve ?

Non, ce n’était pas pour ça. C’était parce que je ne voulais pas me retrouver sur scène, à chanter avec de l’autotune comme ça. Je voulais vraiment éviter de risquer une panne avec l’autotune, de ne pas avoir assez confiance en moi, de chanter faux et de m’afficher. Donc je me suis donné les moyens d’avoir une technique minimale pour assurer mon chant et sortir ma voix avec une prestation à toute épreuve, dans n’importe quelle situation.
Et aussi, comme j’aime beaucoup la pop, je voulais apprendre quelques accords pour pouvoir savoir de quoi je parle. Pas juste être dans quelque chose de trop freestyle.

Dans « Passage secret », tu répètes « chacun son soma » (tiré du roman d’Aldous Huxley, « Le meilleur des mondes » : drogue artificielle de synthèse incitée à être consommée pour mieux permettre à l’État de contrôler ses citoyens, NDLR). Mais quel est le soma de Disiz ? Ce péché mignon dont il ne peut se passer…
Alors il y a des péchés avouables et des péchés inavouables… Donc, mon péché avouable, c’est le sucre, j’aime ce qui est sucré… En fait, il y en a un autre, c’est la boxe. C’est un peu mon soma aussi…

« Poisson étrange » est un hommage au petit Aylan Kurdi (enfant migrant retrouvé mort sur une plage turque en 2016, NDLR). Est-ce que cet « étrange poisson rouge » fait écho à celui de ton premier album éponyme ? Deux garçons partis trop tôt à cause de l’insensée nature humaine ? Deux drames qui auraient pu être évités. Et l’incompréhension qui en découle…
Oui, il y a un écho, mais qui n’est pas volontaire. En fait, les choses qui me touchaient à 20 ans sont les mêmes choses qui me touchent aujourd’hui par exemple, l’injustice, la cruauté humaine. Sur ces aspects, je n’ai pas changé. Ça me transperce de la même manière. Donc forcément ce petit de chez moi qui s’est fait tuer pour des raisons futiles ça me touche et l’histoire du petit Aylan me touche également. Mais le lien se fait après coup. Quand j’écris « Poisson étrange », je ne pense pas du tout au « Poisson rouge ». En réalité, je n’avais même pas remarqué ce lien, avant que tu me poses la question. Et ça me permet de constater que je suis toujours touché par les mêmes choses.

C’est aussi cette incompréhension que tu exprimes dans « Autre espèce » ?
Oui, c’est ça… Ce morceau, ce n’est pas un egotrip. Quand je dis « je n’ai rien à voir avec vous », ça ne signifie pas « je suis meilleur que vous, je suis plus fort ». Au contraire, j’exprime une certaine souffrance à ne pas me reconnaître dans certains comportements humains. Ou de ne pas me faire comprendre. En aucun cas, je n’y affirme être meilleur qu’un autre… Ça, je peux le faire dans d’autres morceaux.

Précisément, tout au long de ta carrière, on retrouve régulièrement des couplets ou des titres entiers qui s’adressent à la « concurrence », formulés en « MC, tu… »… S’agit-il d’un exercice de style bon enfant, dans la veine hip-hop ou doit-on y comprendre un message envers certains MC’s ?
Si je vise quelqu’un de précis et que je ne le dis pas, pour moi c’est un truc de faux-cul. Donc, non, je ne vise personne. De la même manière qu’au basket avec le trash talking, quand tu joues, il n’y a rien de personnel… Tu veux juste montrer que t’es le plus fort. Je pars toujours avec une mentalité de conquérant. Le jour où je perds cette force-là, j’arrêterai le rap. Pour moi, cette démonstration de puissance, elle est inhérente à cette musique. Tu dois démontrer que t’es affûté, que t’as un esprit très smart, que tu fais des punchlines. Je veux que chaque MC qui entend ces couplets se dise « Ah ben, Disiz il est là quand même ! ».

Pour terminer, quelques questions directes de fans que l’on a glanées autour de nous :

Peut-on s’attendre à d’autres « Bête de bombe » ?
À l’esprit de ces morceaux oui… Mais ce n’est pas un objectif en soi. Si ça correspond à l’esprit du moment, pourquoi pas…

À quand le retour de MC Lagaffe ?
(Rires). Non… Ça, c’était une bonne idée et je n’aime pas reprendre les bonnes idées. Je trouve que le résultat est nul… Souvent les « 2 », même au cinéma sont moins bons que les « 1 ». Après il y a des exceptions…

Le Parrain ? De Niro et Pacino pour la première fois dans le même film…
Mmmmh… Je préfère le Parrain 1… Marlon Brando a tellement tout déchiré dans ce film ! Tu ne peux pas test le Parrain 1 ! (Rires) Non, mais j’allais dire Terminator… Terminator 1 est génial, mais le 2 est encore au-dessus ! Mais bref, MC Lagaffe, non je referais pas…

As-tu prévu un autre titre geek, comme « Go go gadget », en mettant en scène DBZ (Dragon Ball Z, ndlr) ou les Chevaliers du zodiaque, par exemple ?  
Pourquoi pas… En fait, sans le savoir, tu as trouvé un indice sur ce que je fais. J’ai déjà fait un son en rapport avec DBZ… Je ne sais pas comment je vais le sortir, je ne sais pas si je vais le sortir, mais en tout cas, j’ai un son en rapport avec DBZ qui est très très chaud !

À l’évidence, tant dans un entretien que dans sa musique, Disiz parle de lui avec ouverture et sincérité. Aujourd’hui, bien dans ses baskets, la tête sur les épaules, les yeux tournés vers les étoiles, gageons que Disiz n’a pas fini de nous surprendre. Et de nous toucher.

Par Sadri